Nûbar : El Qitt'etu fî behrî recez-il mettwîyy-îl mexbûn
Ayant à écrire sur le Nûbar, j'ai trouvé amusant de la traduire et même, de le transposer en un lexique franco-kurde, histoire de donner une image plus parlante aux Kurdes non arabophones ou aux Français, d'un exemple de dictionnaire rimé à l'usage des enfants, écrit en 1683 pour des élèves ayant tout juste achevé la mémorisation du Coran et devant poursuivre leurs études, soit des enfants de moins de 12 ans au plus, ce qui explique que le vocabulaire choisi est simple et concret. Le sheikh Khanî était un bon pédagogue.
"Quand les voiles de l'accident sont levés, c’est un ravissement ;
Le coeur s'évade du chagrin, le rossignol de la roseraie est heureux
Mufte’îlun mefa’îlûn, mufte’îlûn mefa’îlûn
Le rajaz est beau quand il s’élide et que le quatrième pied est muet
Qu’est-ce que l’homme et la femme ? Mêr et jîn, zewcet est épouse.
Le père c’est bab et la mère da, et frère est bira.
Le fils est kur, la fille est keç, le beau-père est xezûr, , l’oncle paternel est mam.
La tante est met, turban* est shash, qu’est-ce que la grand-mère ? pîreda."
*Ici, on se demande logiquement que vient faire ce turban entre "tante" et "grand-mère". Non ce n'est pas une variante de "ta mère en short", soit "ta grand-mère en turban. C'est que Khanî met souvent un "intrus" dans un champ lexical, quand il s'agit de distinguer des faux amis ou des faux cousins, soit des mots ressemblant mais de sens radicalement différent. Ici, c'est en fait pour différencier les deux arabes 'emmet (tante) et 'emame (turban).
"Le paiement est kirê, la garantie est gerew, la perte c’est ziyan et le mensonge est derew.
Vendre c’est firoshtin*, donner c’est dan, qu’est-ce que kirrîn ? acheter."
*Sh est mis évidemment pour le S cédille.
Les épaules sont mil, le coeur est dil
La joie, le contentement, qu’est-ce que c’est ? Shahî ; mourir c’est mirin, pleurer c’est girîn.
Vache et âne sont ga et ker. Qu’est-ce que ban ? le toit et la porte est der.
Le front est enî, la bouche est dev, le visage rihin, la nouvelle c’est neba.
Le blé c’est genim, l’orge ceh, la nectarine shilîl, la vigne rez.
Xurme est la poire, le raisin est tirî ; Vends : bifirosh ! Le prix est beha.
Shîr est le lait, le bétail pez, le yaourt est mast, la crème to.
La laine hirî, la plume perr, jaune est zer, kevî* vêtement ;
* pour l'arabe "qeba".
Apprends vent et ba, poussière et toz.
*S’ensuivent six noms arabes se rapportant à la poussière.
La peur est tirs, et le bruit deng ; birûshk le tonnerre et l’assourdissement bêhishî
Le savoir et la connaissance sont ‘elamet, le chagrin xem*
*Khanî traduit "besse" par xem en indiquant aussi que c'est le synonyme d'eshkera, clair, évident, apparu .
Le mensonge est direw, le lait caillé est le dew, qu’est-ce que l’oie ? qaz et la perdrix qew.
La ceinture est kinar, le canal cû, l’air, le temps, l’atmosphère hewa.
L’or est zêr, l’argent zîv*.
Qu’est-ce que sifir ? le cuivre ; paxir l’alliage, le bronze, et l’étain qela.
*là encore beaucoup de synonymes arabes donnés pour les deux mots. Il s'agit, ne l'oublions pas, d'un lexique pour apprendre l'arabe et non le plus de mots kurdes possible. Par ailleurs, le niveau de langue kurde du Nûbar montre que les jeunes élèves de Khanî, en plus de parler très bien leur langue maternelle, en maîtrisaient déjà l'écriture et la lecture. Rappelons donc cette évidence : en 1683, l'enseignement dans les kuttabs (écoles coraniques, l'équivalent de nos écoles primaires) kurdes était bilingue. Le kurde fut donc enseigné pendant au moins deux siècles sous l'Empire ottoman, jusqu'à son interdiction par la République turque. S'il y eut donc un déficit de culture et de civilisation au Kurdistan durant tout le 20° siècle, ce ne fut pas le fait des Kurdes et d'un manque inhérent à leur histoire, mais d'une barbarie extérieure qui leur fut imposée et récemment au regard de leur propre histoire.
"Nombreux, beaucoup : gelek ; là-bas li wê, ici li hêr.
Non est ne, pour nous ji bo me ra, si eger, la lampe çira.
Où est li ku ; comment kuwe ; en dessous li bin, au-dessus li ser.
Apprends que par-derrière est ji pashê wî, tu es, tu yî, pour nous li bo me ra."
Pour en savoir plus sur l'histoire des madrassas et écoles au Kurdistan sous l'Empire ottoman, on se reportera utilement à cet article.
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