mercredi, mars 31, 2010

TV




Mercredi 7 avril à 20h35 et jeudi 8 avril à 15h15 sur France Ô : Zinat, un film d'Ebrahim Mokhtari (Iran, 1999).

Zinat est la première femme de l'île de Qeshm, dans le sud de l'Iran (Golfe Persique), qui retira le voile traditionnel (Borqué) porté dans cette région pour exercer sa profession d'infirmière. Il y a treize ans, elle devient responsable du dispensaire du village et s'implique dans des activités sociales et politiques. Le 26 février 1999, elle se présente aux premières élections locales organisées en Iran sous l'impulsion du président Khatami. Comme il est interdit de filmer en public le jour-même des élections, le réalisateur installe sa caméra dans la maison de Zinat et filme les réactions positives et négatives exprimées par les visiteurs, en particulier sur la place des femmes dans la société iranienne. Au lendemain des élections, il montre le quotidien du village tandis que Zinat nous présente son programme pour changer la vie des habitants.
Vendredi 9 avril à 21h 30 sur Histoire : Les derniers jours de Zeugma.

IRAK : DES LÉGISLATIVES AUX RÉSULTATS INCERTAINS


Le 7 mars avaient lieu les élections législatives dans tout l’Irak. Aux 19 millions d’électeurs inscrits en Irak (sur une population d’environ 30 millions) s’ajoutait presque un million et demi d’Irakiens expatriés un peu partout dans le monde, qui devaient voter entre le 5 et le 7 mars dans les ambassades de 16 pays. Le total des candidats était de 6. 218, dont 1. 801 femmes, se répartissant sur 12 listes regroupant 74 partis. Entre 500 et 600 observateurs internationaux étaient présents, ainsi que 200 à 300 000 observateurs locaux, pour 10 000 centres de votes et 46 000 bureaux locaux.

Les résultats non définitifs mettent au coude à coude le Mouvement national irakien, mené par l’ancien Premier ministre Iyad Yallawi, dont la liste est créditée de 91 sièges sur 325 sièges. Il est talonné de très près par la coalition État de droit du Premier Ministre sortant Nouri Al-Maliki, qui obtient 89 sièges mais qui a demandé un recomptage. Un des principaux changements de ces législatives est l’adoption d’un système de listes “ouvertes”, où les électeurs pouvaient choisir des candidats individuels dans chaque liste, au lieu de voter pour la totalité d’une liste “fermée” comme précédemment. Ce système, recommandé par l’UNAMI, avait déjà été utilisé pour les élections des Conseils provinciaux mais c’était la première fois qu’il servait aux législatives.

Autre changement, le nombre de sièges au Parlement est passé de 275 à 325. Selon la constitution irakienne, un siège correspond à 100 000 électeurs, mais il y a des sièges réservés d’office : 8 sièges vont ainsi aux Irakiens vivant à l’étranger et 8 aux diverses minorités religieuses, yézidis, shabaks, chrétiens, mandéens.

Parmi les principales listes, l’Alliance nationale irakienne est une coalition de grands partis chiites, l’Unité irakienne d’Al-Hakim, le mouvement d’Al-Sadr, le mouvement de la Réforme nationale de l’ancien Premier ministre Jaafari, et les partis religieux Dawa et Fadhila. La liste comprend aussi l’ancien ministre du Pétrole Ahmad Chalabi et une coalition des Tribus d’Irak.

État de droit, la liste du Premier Ministre irakien, Nouri Al-Maliki, comprend des membres du parti chiite Al-Dawa en sécession. Bien que se déclarant officiellement laïque et multi-ethnique, les candidats en sont en fait largement chiites, avec quelques petits partis sunnites, chrétiens et kurdes.

Al-Iraqiyya ou Mouvement irakien national, mené par l’ancien Premier ministre Iyad Allawi se présente comme une coalition laïque de chiites et de sunnites, mais dont les grandes figures sont sunnites, avec Tariq Al-Hashimi, vice-président irakien, à la tête de son nouveau parti, le Renouveau, et surtout le controversé Saleh Al-Mutlak, et son Front national du dialogue, dont les liens avec le parti Baath interdit ont failli le faire interdire d’élections par la Haute Commission électorale irakienne.

Al-Tawafuq ou Front irakien de la Concorde, est un parti sunnite qui a perdu sa position dominante par rapport à 2005, au profit de la liste d’Iyad Allwai. Il s’est allié pour ces législatives à un parti sunnite turkmène et comprend plusieurs candidats indépendants. L’Unité irakienne rassemble le Mouvement du réveil, un parti sunnite qui a remporté la majorité des sièges aux élections provinciales d’Anbar en 2009, le Parti constitutionnel irakien du ministre de l’Intérieur Jawad al-Bolani et un autre mouvement sunnite. Ahmed Abu Risha, le leader du Réveil, menait la liste.

Du côté kurde, l’Alliance du Kurdistan et la liste Gorran ont fait campagne à part, n’ayant pu s’entendre pour se coaliser, contrairement aux législatives de 2005, en raison des relations tendues entre l’UPK et son mouvement dissident.
La campagne électorale a été émaillée de quelques violences dès février, parfois directement dirigées contre des candidats ou des partis, comme Saleh Al-Mutlaq, dont le bureau a fait l’objet d’une attaque à la bombe, ou bien le Quartier général de l’Alliance nationale irakienne. Al-Qaïda a d’ailleurs appelé les sunnites à boycotter ces élections, à grands renforts de menaces, mais sans succès.

Les attaques contre la population civile n’ont pas faibli. Le 3 mars, deux voitures piégées ont explosé à Baquba (Diyala) tuant 33 personnes et en blessant 55. À Mossoul, plusieurs assassinats et intimidations de chrétiens, des attentats contre des églises, ont fait plus de 20 victimes dans cette communauté et obligé 680 familles à se réfugier temporairement dans la plaine de Ninive, protégée par les Peshmergas kurdes. Le jour même du scrutin, 38 personnes ont été tuées et 110 blessées à Bagdad, dans des attaques ciblant directement les électeurs. Auparavant des flyers émanant de groupes sunnites en rébellion ont appelé la population à ne pas se rendre aux bureaux de vote. Les attaques ont été principalement menées avec des roquettes, des mortiers, et des bouteilles de plastiques bourrées d’explosifs et dissimulées dans des poubelles, pour contourner l’interdiction d’accès à tout véhicule près des bureaux de vote. Le bilan fourni par l’Iraqi Body Count Project est d’au moins 228 morts du 12 février au 7 mars. Nonobstant les violences annoncées contre les électeurs qui allaient braver les appels au boycott, la participation au scrutin, si elle a été moindre qu’en 2005 est restée relativement importante.

Dès février, les intentions de participation au scrutin étaient assez conséquentes. Les sondages officiels faisaient état de 63% d’intention de vote parmi les chiites contre 58% pour les sunnites et 67% chez les Kurdes. Les résultats préliminaires ont montré une participation nationale de 62.4%, la province ayant le plus voté étant celle de Duhok, avec 80% de participation, suivie par Sulaïmanieh avec plus de 70% de participation. Le dépouillement a été marqué par une grande incertitude dans les résultats, tant les scores respectifs des listes ont été serrés et variables au fur et à mesure que le comptage des différentes provinces avançait.

Alors que le 11 mars, 30% seulement des bulletins avait été comptabilisé, la liste du Premier ministre Nouri Al-Maliki paraissait en tête dans 9 des 18 provinces de l’Irak, tandis qu’Iyad Allawi dominait, sans surprise, les provinces sunnites arabes, ce qui a incité peut-être un peu trop hâtivement, des journaux étrangers, comme l’Irish Times à proclamer Nouri Al-Maliki vainqueur avec 100 sièges remportés sur 365.

De même, le parti kurde Gorran a été donné vainqueur en se fondant sur les résultats de Sulaïmanieh, la ville, alors que la province n’avait pas encore été dépouillée, et l’Alliance du Kurdistan a d’abord été annoncée comme ayant remporté 8 sièges sur 12 à Kirkouk.

Le 12 mars, la coalition État de droit était encore en tête avec près de 179 000 voix, suivie par l’Alliance nationale irakienne avec 160 000 voix, tandis qu’Al-Iraqiyya d’Iyad Allawi en faisait 124. 00 et l’Alliance du Kurdistan arrivait en quatrième place avec 100 000 voix. Cet ordre se maintint avec le dépouillement de Bagdad, le 13 mars, même si une percée des Sadristes fut enregistrée à Sadr City, le quartier chiite de la capitale. Mais la liste de Maliki l’emportait dans la province chiite emblématique de Kerbalah, à Basra et à Wasit. À Mossoul, Iyad Allawi reculait devant les nationalistes d’Al-Hadhba mais l’emportait à Anbar. Dans la Région du Kurdistan, l’Alliance du Kurdistan fut donnée sans surprise vainqueur à Duhok avec 170 00 votes, suivie de très loin par l’Alliance islamique (31 000 voix), le parti Gorran n’obtenant qu’un score insignifiant (12 000) dans cette province, bastion historique du PDK. À Sulaïmanieh, alors que Gorran avait d’abord semblé prendre la tête, l’Alliance du Kurdistan repassa devant son rival. Mais la surprise fut surtout à Kirkouk, où le parti kurde était donné comme largement favori, et qui se retrouva, avec seulement 120 664 voix, légèrement dépassé par la liste sunnite Al-Iraqiyya et ses 123 862 voix. Iyad Allawi apparut d’ailleurs en tête pour tout l’Irak le même jour, en dépassant les listes chiites.

Mais le soufflé sunnite devait un peu retomber dès le 17 mars, alors que 91% des buleltins avaient été recensés. À Kirkouk, l’Alliance kurde repassait devant la liste sunnite avec un avantage de 3 198 voix et cet écart devait s’accroitre au fur et à mesure que le dépouillement des votes progressait dans des districts à majorité kurde. De même, Al-Iraqiyya, qui avait dépassé le 17 mars l’État de droit de 9 000 voix, – ce qui avait incité Nouri Al-Maliki à réclamer un recomptage des voix en parlant de « fraude »– se faisait de nouveau battre par 40 000 voix en faveur de la liste chiite dès le lendemain.

Mais le 20 mars, Iyad Allawi dominait à nouveau avec un avantage infime de 8 000 voix. Par ailleurs, les réclamations et accusations de fraude se sont fait entendre de toutes parts, aussi bien de la part de Maliki contre son rival sunnite que des partis sunnites contre la liste du Premier ministre, ainsi que des Kurdes contre Allawi à Kirkouk, ce dernier leur renvoyant la politesse. Gorran, dont le score fut faible à Mossoul attaqua de même Al-Iraqiyya dans ce secteur, bien que ce soit surtout la liste Al-Hadhba qui semble devoir l’emporter.

Divers partis, kurdes comme arabes, accusèrent aussi l’étranger de manipulations et de fraudes : les USA, l’Iran, l’Arabie saoudite, etc. Finalement, devant les résultats très serrés entre Nouri Al-Maliki et Iyad Allawi, et sur l’insistance du Premier Ministre, il a été décidé de recompter les votes, au moins pour Bagdad, le 19 avril.

Le Parlement devant élire le Premier Ministre et le président, ces élections portaient aussi sur la gouvernance directe du pays. En toute logique, le poste de Premier Ministre doit revenir au vainqueur des législatives, mais Al-Iraqiyya et État de droit ayant fait un score quasi-identique, les chiites de l’Alliance nationale irakienne et surtout les Kurdes se trouvent donc une fois de plus dans la position de « faiseurs de rois ».

lundi, mars 29, 2010

NEWROZ CALME EN TURQUIE, SANGLANT EN SYRIE


Pour le Newroz 2010, la Secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a adressé le 20 mars ses vœux de nouvel an au nom du gouvernement américain et de ses citoyens aux « Iraniens, Afghans, Kurdes, Azéris et aux peuples d’Asie centrale. »

Hillary Clinton a déclaré que « le Newroz marquait le début d’une nouvelle année pleine de promesses et de possibilités. Familles et amis se réunissent pour renouer d’anciens liens et faire des projets d’avenir. Aux États-Unis, des centaines de milliers d’Américains feront honneur à cet héritage et à cette histoire. « L’équinoxe de printemps est un temps de réflexion et de renouveau dans toutes les cultures et les continents, signifiant l’espoir de la renaissance, santé et prospérité. C’est une occasion de se rappeler tout ce que nous avons en commun – les aspirations que nous partageons tous pour un avenir pacifique et prospère, et pour réaffirmer les droits de l’homme et les libertés fondamentales qui sont un droit inné et universel pour nous tous. Comme l’écrit la poétesse iranienne Simin Behbahani : « Nous sommes tous des parties d’un même corps, semblable en notre essence. » Par le Newroz, nous honorons ces liens communs. Nous tournant vers l’année à venir, redoublons d’effort pour promouvoir une compréhension et un respect mutuels. Travaillant ensemble, nous pouvons faire face à des défis communs et saisir les occasions partagées qu’offrent ce nouvel an et ce siècle encore neuf. »

Le discours de la Maison blanche a bien sûr été vu comme un message non dénué d’arrière-pensées politiques à l’adresse des Iraniens et des Afghans, la nouveauté étant que les Kurdes étaient nommés explicitement.

Au Kurdistan de Turquie, les festivités de Newroz se sont déroulées sans incidents majeurs contrairement à l’année dernière, bien que les récentes vagues d’arrestation au sein du parti kurde BDP aient pu faire craindre de nouvelles émeutes. À Istanbul, une trentaine de personnes dont des adolescents qui brandissaient des drapeaux du PKK et scandaient des slogans pro-Öcalan, ont été arrêtées. À Yuksekova (Hakkari) et à Diyarbakir les cérémonies ont été, comme d’habitude, importantes et très politisées, rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes. Les mesures de sécurité étaient importantes, avec fouilles et contrôles. À Diyarbakir, plus de 3000 policiers étaient mobilisés et des hélicoptères survolaient la ville.

Si les manifestations ont été pacifiques, le ton des discours, de la part des élus BDP, a été plus virulent et le gouvernement AKP a été directement sévèrement et directement mis en cause pour la tiédeur de ses réformes et l’insuffisance de ses initiatives sur la question kurde. Selahattin Demirtaş, leader du BDP, a condamné le refus, de la part d’Ankara, de dialoguer avec le PKK. La veille, le Premier Ministre tirc, Recep Tayyip Erdoğan avait pourtant appelé à la « réconciliation », en qualifiant les feux de Newroz de « lumière d’amour, d’amitié et de faternité, et non de violence et de haine ».

En Syrie, par contre, le Nouvel An kurde a été sanglant à Raqqa, où les forces de sécurité ont tiré sur la foule, faisant un ou deux morts et une quarantaine de blessés. Les festivités étaient organisées par le Parti de l’union démocratique (interdit), et rassemblaient environ 5000 personnes. Selon les partis politiques kurdes locaux, les incidents auraient été prémédités par le Baath lui-même : le général Khalid Al-Halabi, à la tête de la Sécurité de Raqqa et Abdul Razzak Al-Jassim, dirigeant de la Sécurité du Baath dans cette même ville, auraient convenu, une semaine avant le Newroz, d’envoyir leurs hommes aux manifestations afin d’y provoquer des troubles.

Le jour même de la cérémonie, des milices du Baath seraient ainsi venues sur les lieux de la fête en brandissant des drapeaux syriens et des portraits du président Bachar Al-Assad. Les forces syriennes ont allégué l’existence de drapeaux de l’Union démocratique, du PKK et de portraits d’Öcalan dans le cortège pour justifier l’usage de gaz lacrymogènes et de jets d’eau pour disperser les manifestants, dont certains auraient riposté en jetant des pierres. Les forces de l’ordre ont alors ouvert le feu au hasard sur la foule, tuant peut-être deux personnes, dont un adolescent de 14 ans à coup sûr, et en blessant une quarantaine d’autres.

Parmi les blessés conduits à l’hôpital, dont certains dans un état critique, plusieurs ont été ensuite arrêtés et détenus. Le bâtiment hospitalier lui-même a été cerné par la police et seulement deux des blessés ont pu recevoir la visite de leurs familles.

La plupart des mouvements de défense des droits des Kurdes, Human Rights Watch et Amnesty International ont condamné cet incident et Amnesty International a lancé un appel aux autorités syriennes, craignant notamment l’usage de la torture et de mauvais traitement contre les blessés emprisonnés. Un membre britannique du Parlement européen a alerté le 23 mars la Commission européenne sur les événements de Raqqa. Emma McClarkin a notamment interrogé l’Union européenne sur les moyens d’inciter la Syrie à cesser ses manquements aux droits de l’homme envers sa minorité kurde.

Human Rights Watch a demandé instamment à la Syrie de faire la lumière sur les tirs de Raqqa : « Les autorités syriennes doivent mener une enquête indépendante sur les tirs des forces de sécurité le 21 mars 2010, qui ont fait au moins un mort et en ont blessé d’autres, au nord de la Syrie » a ainsi déclaré Joe Stork, directeur adjoint du département Moyen-Orient de HRW, avant d’ajouter que les autorités syriennes doivent éviter de transformer les célébrations du Nouvel An en « tragédie ». « Les responsables qui commandaient les forces à l’origine des tirs à balles réelles doivent être traduits en justice. » L’organisation de défense des droits de l’Homme a par ailleurs confirmé un certain nombre important de blessés en indiquant que le décompte et l’identité exacts des victimes était difficile à établir car les forces de sécurité interdisaient tout accès à l’hôpital. Human Rights Watch a également rappelé que les incidents meurtriers étaient presque réguliers en Syrie, surtout au moment de Newroz, et que les autorités usaient régulièrement de violences disproportionnées pour contenir ces manifestations : « En mars 2008, les forces intérieures de Sécurité syrienne ont ouvert le feu sur les Kurdes célébrant le Newroz dans la ville Qamishli, la principale ville kurde de Syrie, tuant 3 personnes et en blessant 5 autres » a notamment indiqué Joe Stork, et aucune enquête n’a été menée. 

dimanche, mars 28, 2010

Au tribunal des saints

Les saints du zen le sont par décret populaire. Nul besoin de procès en canonisation.

Henri Brunel, L'année zen.

Il en va de même pour les soufis et, j'imagine les gurus indiens, de quelque voie qu'ils soient. Il n'y a vraiment que les catholiques qui aient eu cette idée singulière, risible au plus haut degré, de soumettre la sainteté, cette étincelle insaisissable d'or mouvante dans une âme, aux mains des juristes. Imagine-t-on, en islam, le cas Hallâdj, Rûmî, Dhu-l-Nûn, Sohrawardî, aux mains des fuqaha ? Toutes les fois que les soufis et 'arif musulmans sont passés en jugement c'était pour hérésie... Pour la sainteté, ils avaient au moins la décence de ne pas s'en mêler.

ERBIL : DÉCOUVERTE ARCHÉOLOGIQUE MAJEURE ET RESTAURATION DE LA CITADELLE


Une équipe d’archéologues tchèques, menée par Karel Nováček, de l’université de Bohème occidentale, a mis au jour dans la citadelle d’Erbil, des outils datant de 150 000 ans, soit le Paléolithique moyen. C’est jusqu’à présent les plus anciens artefacts humains retrouvés dans la région.

« Historiquement, a déclaré Karel Nováček, c’est la première fois que les Tchèques sont impliqués au nord de la Mésopotamie. Mais nous n’avions pas choisi Erbil – c’est elle qui nous a plus ou moins choisis. Une société privée tchèque spécialisée dans la conservation historique était présente sur place depuis 2004 et nous avons pu ainsi y démarrer une activité. Nous avions dans l’idée qu’Erbil – une cité dont l’histoire remonte à 6000 avant J.C– serait idéale pour une expédition tchèque. » Le projet a dû pourtant faire face à un certain nombre de contraintes, avec lesquelles l’équipe a dû composer, notamment le fait qu’au rebours de beaucoup de sites archéologiques, Erbil offre la particularité presque unique en son genre d’avoir été constamment habitée et de l’être encore : actuellement, avec une population d’un million, c’est la troisième ville d’Irak après Bagdad et Mossoul “Contrairement aux cités assyriennes de Nirud ou de Ninive, qui n’ont pas duré au-delà du Moyen-Âge, Erbil a survécu. Les autres sites ont été par conséquent bien plus faciles à fouiller. À Erbil, en comparaison, il a été bien plus difficile de fouiller dans le sous-sol. »

Travailler dans une ville encore en activité a en effet obligé les chercheurs tchèques à utiliser différentes méthodes pour sonder des endroits intéressants: “À Erbil, il est impossible de se contenter de fouiller un peu partout, en découpant une zone en morceaux, comme cela se faisait au XIXe siècle. Nous avons donc choisi une combinaison de méthodes pour une reconstitution en mosaïque – en prenant des mesures géophysiques non invasives, en étudiant les bâtiments existants, le terrain, en analysant les anciennes photographies aériennes et les clichés satellitaires. Nous avons aussi examiné les documents datant d’il y a 50 ans, avant que beaucoup des anciens sites de la ville n’aient été détruits ou altérés. » Selon le spécialiste tchèque, l'équipe a pu reconstituer des « rubans » d'informations qui serviront à une meilleure compréhension d'Erbil dans son ensemble - une ville dont l'ancien centre, appelé « citadelle », se dresse à une hauteur de près 30 mètres au-dessus du reste de la ville. Avec son mur d'enceinte – elle est bâtie sur une couche d'anciennes fondations et de bâtiments datant de 6000 ans avant JC. « La Citadelle selon toute vraisemblance, a une histoire ininterrompue allant de 6000, peut-être même 7.000 années avant Jésus-Christ. Dans ses niveaux, elle conserve des vestiges de l'architecture originale monumentale de la ville assyrienne: des temples et des palais royaux, le temple d'Ishtar etc.. Pour le reste de la ville, nous sommes sur un terrain plus hypothétique, mais nos recherches donnent à penser qu'il y avait une zone plus vaste, qui faisait partie de l'ancienne ville assyrienne. »

Les archéologues tchèques ont opéré aussi en-dehors de la citadelle, profitant de la construction prévue d'un immense hôtel et centre commercial dans la nouvelle partie de la ville. Ils ont été alors en mesure de creuser neuf mètres dans le sous-sol et c'est là qu'ils ont finalement découvert des outils datant du paléolithique moyen, vieux de 150.000 années : des silex tranchants utilisés par des Homo sapiens ou des hommes de Néanderthal (Homo neanderthalensis), puisqu’à l’époque les deux espèces se côtoyaient encore en Mésopotamie. “Nous ne saurons probablement jamais qui a véritablement fabriqué ces outils – pas sans preuves anthropologiques concrets : ce sont juste les vestiges de l’un des peuples préhistoriques qui ont habité la région. Ce n’était pas du tout prévisible sur un site comme Erbil. Dans une zone d’habitat, une telle trouvaille a un caractère presque unique. Aussi, l’identité de ceux qui utilisaient ces outils – servant à couper la viande ou des peaux d’animaux – restera probablement un mystère. »

Les outils découverts à Erbil pourraient être les plus anciens jamais retrouvés dans la région. “Nous ne sommes pas certains de leur âge exact et si ces objets sont plus vieux qu’une découverte faite par les Américains il y a 50 ans. Mais les leurs étaient situés à 150 km d’ici, donc il est certain que c’est au moins la plus ancienne trouvaille à Erbil. »

L’équipe tchèque a commencé ses travaux en 2006 et fera part de ses découvertes dans des publications courant 2010. Mais Karel Nováček espère continuer les fouilles dans le futur. “Concernant le Palélolithique, il a encore une foule de recherches que nous pouvons mener, bien que cela requiert un matériel lourd. Mais il y a aussi d’autres possibilités : En 2007, les bâtiments datant de l’Empire ottoman – sans doute les seuls exemples restés intacts en Irak – ont été vidés de leurs habitants qui ont été relogés. Une rénovation attentive des édifices historiques a commencé. Mais le plan a rencontré des obstacles et les bâtiments sont restés vides deux ans, ce qui n’est pas bon. Nous espérons pouvoir conduire des recherches lorsque les choses redémarreront. »

De fait, les plans de restauration de la Citadelle sont trop lentement mis en place et plusieurs experts ont appelé le Gouvernement kurde à se soucier davantage de son patrimoine historique et archéologique, en soulignant que si des travaux importants n’étaient pas menés pour consolider les remparts, ils pourraient s’affaisser et des bâtiments s’effondrer. Plusieurs de ces grandes demeures ottomanes gardent en effet une décoration intérieure impressionnante, avec des fresques peintes, des fenêtres aux verres colorés, des arcades aux piliers en bois ou en marbre. Mais les murs et les toits (dont certains effondrés) sont en trop mauvais état pour assurer une protection efficace contre les intempéries.

Selon la Haute Commission pour la restauration de la citadelle d’Erbil (HCECR) 40 % des bâtiments courent un grave danger, 20% sont dans un état qualifié de « moyen ». Fin 2007, le gouvernement avait décidé la restauration de la Citadelle et demandé à ses habitants (des réfugiés dont les villages avaient été détruits par Saddam) de quitter les lieux moyennant compensation. Une seule famille avait été requise pour rester dans la Citadelle de sorte que l’occupation humaine continue depuis des millénaires ne soit pas interrompue. Après l’évacuation, le gouvernement a demandé au HCECR et à l’UNESCO de superviser les restaurations et d’œuvrer pour que le site soit sur la liste du Patrimoine mondial. Mais les lenteurs et l’échec des équipes ont décidé le gouvernement à remanier la direction de la Commission, il y a trois mois.
“Pendant presque un an, rien n‘a été fait pour la Citadelle », a déclaré Dara Yaquobi, le nouveau chef de la commission. Cet architecte, qui a déjà travaillé dans la Citadelle pendant les années 1980, s’est dit prêt, avec l’UNESCO, à reprendre le travail. La rénovation de la citadelle doit se faire en trois phases. D’abord, les maisons seront soigneusement documentées et un plan général mis en place. Dix maisons, parmi celles en plus mauvais état, seront immédiatement restaurées. Selon Dara Yaqoubi, l’UNESCO s’estime prêt à commencer ce sauvetage en avril prochain.

La deuxième phase du projet est de reconstruire les infrastructures de la Citadelle, dont le système de canalisation d’eau, l’électricité, le téléphone, Internet, et de rénover la plus grande partie des maisons restantes. Dara Yaquobi a indiqué que le Gouvernement kurde avait débloqué 12.9 de $US pour cette phase.

Enfin, la partie autour de la Citadelle appelée « zone-tampon », sera elle aussi remise à neuf : le voisinage, les boutiques, elles-mêmes assez anciennes et dans un état assez semblable à celui de la Citadelle. “Je pense que dans 10 ans, la Citadelle sera en assez bon état », assure Dara Yaqoubi. L’architecte se plaint cependant, de l’absence de contacts soutenus avec l’UNESCO dont les visites à son équipe sont trop rares : « Leur temps est très limité, je ne peux pas les rencontrer facilement. Quand ils viennent à la Citadelle, ils sont extrêmement prudents et protégés par des forces de sécurité. Il n’y a aucun besoin de telles procédures car le Kurdistan est sûr. »

Ce mois-ci, il a été cependant annoncé dans une conférence de presse que l’UNESCO a accepté de faire figurer « provisoirement » la Citadelle d’Erbil sur la liste du patrimoine mondial. Après la rénovation, cinquante familles seront autorisées à vivre sur place, dont Khalis Younis Mustafa, propriétaire d’un magasin d’antiquités situé dans la Citadelle même : “Les gens qui vivront dans la Citadelle devront être éduqués afin d’en prendre soin, de ne pas la détruire. Le gouvernement doit faire de cette citadelle un endroit vivant. Les gens qui y vivent doivent parler l’arabe et l’anglais car beaucoup de touristes la visitent et ils voudront poser des questions sur son histoire. »

samedi, mars 27, 2010

RAPPORT 2009 DE HUMAN RIGHTS WATCH SUR LA SITUATION DES KURDES EN SYRIE ET EN IRAN


Human Rights Watch-Royaume Uni a publié ce mois-ci son rapport annuel pour 2009, qui étudie notamment la situation des Kurdes, qui continuent de faire face à une politique d’intimidation et de discrimination principalement en Syrie et en Iran.

En ce qui concerne la Turquie, le rapport suggère au gouvernement d’accorder plus de droits culturels et spécifiques à ses deux minorités kurdes et roms : « Il y a des indications sur une levée des interdictions encore en vigueur sur l’usage de langues autres que le turc, et la Réglementation des programmes de diffusion turcs a introduit une législation en septembre permettent d’émettre 24 heures en d’autres langues, à la télévision et à la radio. »

En Syrie, par contre, le rapport se montre beaucoup plus sévère, estimant qu’1,7 million de Kurdes continuent de souffrir de discrimination, d’une absence de représentation politique, et de restrictions sérieuses concernant leur expression culturelle et sociale. « Il y a tout particulièrement un certain nombre de mesures mises en place pour réprimer l’identité kurde, en restreignant l’usage de la langue kurde en public, à l’école et sur les lieux de travail. Les publications en langue kurde sont interdites ainsi que les célébrations des fêtes kurdes, comme le Nowruz, le Nouvel an traditionnel kurde. »

Le rapport ajoute que 300 000 Kurdes continuent de se voir refuser la citoyenneté, et que le décret présidentiel 49 remet en cause les droits des citoyens kurdes à la propriété dans les zones frontalières, ce décret affectant particulièrement les Kurdes. « Les Kurdes en Syrie se plaignent que cela leur interdit de facto de vendre, d’acheter ou d’hériter de terres. » De plus, plus de 150 Kurdes ont été emprisonnés pour des motifs politiques en 2009, surtout après des manifestations et des célébrations de Newroz. Le 20 mars 2009, la police a utilisé un bulldozer pour abattre les estrades dressées pour la fête dans cinq villes et villages kurdes.

En dehors de ces arrestations, Human Rights Watch mentionne 19 décès de Kurdes faisant leur service militaire, alors que les corps des victimes portaient des traces de torture ou de blessure par balles qu’elles n’avaient pu s’infliger elles-mêmes.

En Iran, la situation n’est guère plus réjouissante dans le domaine des droits de l’homme ainsi que celui des minorités, tels les habitants de l’Ahwaz, du Khuzistan, du Baloutchistan, du Turkmenistan et, bien sûr, du Kurdistan, qui font tous face à une lourde politique d’intimidation et de répression, allant en s’aggravant. Le rapport indique que dans les jours qui ont suivi les résultats des élections présidentielles, alors que tout le pays était gagné par la contestation, une série d’exécutions massives a eu lieu dans les prisons des régions frontalières du pays, en guise d’avertissement lancé aux populations locales, sans doute pour les dissuader de prendre part au mouvement.

Les Kurdes sont parmi ceux qui ont payé le plus lourd tribut à cette politique d’exécution : “Le 11 novembre, Ehsan Fattahian a été exécuté après avoir été condamné préalablement à dix ans de prison en exil, sa peine ayant été alourdie en haute cour. Nous exprimons nos craintes que Fattahian ait été torturé en détention, et que son procès ait été entaché d’irrégularités. Plusieurs ressortissants de groupes minoritaires attendent dans les couloirs de la mort, accusés de terrorisme, de trahison ou d’agissements contre la sécurité nationale. »

Human Rights Watch-Royaume Uni aborde aussi la situation des droits de l’homme en Irak et au Kurdistan d’Irak, en soutenant le Centre indépendant des media au Kurdistan et l’ONG allemande WADI, qui œuvre pour éradiquer la pratique de l’excision dans la région kurde, ceci avec le soutien du gouvernement du Kurdistan et du ministre hollandais des Affaires étrangères. Le rapport indique que des visites officielles dans les prisons de la Région kurde en novembre 2009 ont montré la volonté du Gouvernement régional kurde pour fournir des installations adéquates et faciliter la réinsertion. Notant que les violences domestiques et les crimes dits « d’honneur » restent un problème dans tout l’Irak, que des milliers de femmes irakiennes sont tuées ou battues chaque années, HWR prend acte que dans la Région kurde ces crimes sont désormais punis aussi sévèrement que les autres et ne sont pas traités différemment par les autorités judiciaires. “Les mutilations génitales féminines [FGM] sont aussi très répandues. Mais le Gouvernement régional kurde et un pourcentage croissant de la population prennent de plus en plus conscience de leur existence et du besoin de traiter ce problème.”

vendredi, mars 26, 2010

Conférence : Le réveil culturel des chrétiens d'Alep au XVIIº siècle



Dans le cadre des Lundis du CERMOM
(Centre de Recherche Moyen-Orient et Méditerranée), conférence de
Bernard Heyberger, de l'École Pratique des Hautes Études :


Le réveil culturel des chrétiens d’Alep au XVIIe siècle


Lundi 29 mars à 18h00
Salon d'Honneur de l'INALCO- 2 Rue de Lille 75007
M° Rue du Bac ou Saint-Germain des Près
contact: aboubackr.chraibi@inalco.fr

cinéma : Les Murmures du vent


Sortie le 31 mars des Murmures du vent, un film de Shahram Alide (Kurdistan, 2009), Acacias Films, 1h17. Avec Omar Chawshin, Maryam Boubani.

Mam Baldar, l'oncle aux ailes, exerce depuis bien longtemps le métier de postier dans différents villages de montagne au Kurdistan Irakien. Mais il n'est pas un postier comme les autres puisqu'il transmet des sons et des paroles enregistrés sur des cassettes. Un jour, un commandant des partisans, loin de chez lui, demande d'enregistrer les premiers pleurs de son enfant qui va naître prochainement. En se rendant dans ce village, le postier découvre que tous les enfants ainsi que la femme du commandant ont été conduits dans une vallée éloignée afin d'assurer leur sécurité, et il se met donc en route pour les rejoindre là où ils sont.

Bandes annonces et videos sur Allo Ciné.

mardi, mars 23, 2010

Parution : Terre de légende : Le Kurdistan Iranien

La Revue de Téhéran vient de faire paraître un numéro consacré au Kurdistan iranien :


Articles consultables sur leur site.

La blague de Newroz


DIYARBAKIR (Turquie) (AFP) - Des dizaines de milliers de Kurdes se sont rassemblés dimanche en Turquie, pour célébrer le Nouvel An persan, en appelant le gouvernement à respecter ses engagements d'accroître les libertés des Kurdes.

On avait déjà lu cette perle en 2004, qu'à cela ne tienne, l'AFP adore donner dans le réchauffé concernant les bourdes. Visiblement, les Kurdes s'entêtent bizarrement, tous les 21 mars, à fêter le Nouvel An persan. On n'est pas plus serviable avec le voisin. Tout de même, l'an prochain je suggérerais aux Kurdes d'essayer le Nouvel An chinois, ça varierait un peu les réjouissances.


'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.


lundi, mars 22, 2010

Parution : Le Kurdistan et ses chrétiens






Docteur en sciences politiques de l'université de Bologne, Mirella Galletti a fait de nombreux séjours et accompli plusieurs missions dans le Kurdistan, spécialement en Irak. Elle a enseigné l'histoire et la culture kurdes dans les universités de Bologne et de Trieste, le droit des communautés islamiques à l'université Ca' Foscari de Venise, l'histoire des peuples transnationaux de l'Asie occidentale à l'université de Milan-Bicocca. Elle enseigne actuellement l'histoire du monde arabe et musulman à l'université de Naples "L'Orientale". La plupart de ses travaux ont été traduits en arabe, arménien, kurde et turc.





Broché: 399 pages
Editeur : Cerf (18 mars 2010)
Collection : L'histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10: 2204083410
ISBN-13: 978-2204083416

dimanche, mars 21, 2010

Sohrawardî : Dieu est la lettre volée



Suhrawardî a transformé l'ontologie de l'Islam en une métaphysique de la lumière. Cause finale de toute réalité, Dieu est intensité infinie de lumière, c'est-à-dire de réalité. Au lieu de comprendre cette infinie puissance dans le registre d'une transcendance où Dieu serait voilé, Suhrawardî explique l'abscondité divine par l'excès de sa manifestation, l'excès de l'illumination que son essence produit, l'excès de sa présence. L'infini est immanent au fini, mais il est voilé par son évidence, il est caché parce qu'il est apparent.

Tout le système de Sohrawardî est fondé sur l'évidence, l'Apparent, le clair, ce qui révèle. Rien n'est plus éloignée de sa philosophie que l'idée d'un certain ésotérisme, d'une certaine gnose – et aussi, parfois, du chiisme – selon laquelle la vérité est voilée, à charge d'être pénétrée, peu à peu, par un groupe d'initiés, après un enseignement progressif, sélectif. Sohrawardî, de ce qu'il laisse entendre à plusieurs reprises, reçut toujours ses certitudes de façon soudaine, par rêve ou par vision, de façon claire, illuminative, si éblouissante qu'elle aveugle ceux atteints de "cette ophtalmie spirituelle qu'on appelle la bigoterie", comme les hiboux injurient la huppe prétendant y voir clair le jour. Finalement, pour Shihâb ad-Dîn, "la Lumière des lumières, l'Être Nécessaire", c'est un peu la lettre volée d'Edgar Poe : c'est parce qu'Il est là, sous notre nez, qu'Il crève nos yeux, que nous n'y voyons rien.

C'est en cela que je prends souvent le Sheikh de l'Ishraq pour référence devant tout texte prétendant à être une révélation divine : s'il y a de l'ombre, du codé, de l'obscurité, de l'alambiqué pour tout cacher aux profanes, dès que ça sent la petite cuisine d'officine, comme disait à peu près Corbin, je laisse de côté. Les vraies révélations (le Coran, la Bible, la Bhagavad Gita, les dits du Buddha, et aussi les Dialogues avec l'Ange) sont pleines et riches de sens, mais jamais chiffrées. Elles sont même simplistes d'apparence, faites autant pour l'usage des chameliers, pêcheurs, bouviers et potiers, que des scribes et des princes. Nul besoin de 36 notes de bas de page pour les comprendre : un Ange, ça parle en clair et dans le concret, voire le trivial. Il faut juste, comme Erri de Luca fait de la Bible, en tourner et retourner chaque mot, comme un noyau d'olive en bouche, pour qu'enfin son évidence arrache, d'un seul coup sec, nos voiles, ceux que les maîtres de l'illusion ont mis entre la vérité et nous. Sohrawardî enseigne qu'il faut balayer, devant un texte, toute exégèse antérieure, et "lis le Coran comme s'il n'avait été écrit que pour ton propre cœur" et comme si c'était la première fois et que jamais personne n'avait commenté à ce sujet.

Lui, son essence est lumineuse, mais la luminescence ne s'ajoute pas à son essence. Et puis, l'intensité de sa luminescence est sa perfection, et cette intensité, qui est sa perfection même, est infinie, c'est-à-dire qu'il est faux que l'on puisse concevoir rien de plus complet, de plus parfait, et il est faux qu'il y ait, de quelque manière que ce soit, perfection supérieure à la sienne. L'intensité de sa luminescence nous est cachée par l'intensité même de sa manifestation, dans la mesure où il est vrai de dire qu'il est le principe de la procession infinie des lumières douées de perception, et qu'il domine, par sa luminescence, l'ensemble des lumières, et où c'est l'intensité même de sa luminescence qui voile sa luminescence. Comme le soleil, malgré sa masse corporelle, est caché à nos vues par son apparaître même.

Philosophies d'ailleurs II, Pensées arabes et persanes, Christian Jambet.

samedi, mars 20, 2010

Newroz dans le monde



image NASA

Pour savoir, où que vous soyez, à quel moment et quelle heure commence exactement le Newroz, se reporter sur la carte (évidemment il est préférable de connaître l'alphabet arabo-persan).

En France, ce sera très exactement ce soir, à 18h32 et 13 minutes secondes (merci à Legleg).

TV, radio : Les toits de Paris, Louis Massignon, Gilles Veinstein


TV

Lundi 22 mars à 20h40 sur Cinécinéma Club : Les Toits de Paris, de Hiner Saleem, 2007.








Radio :

Dimanche 21 mars à 6h00 sur France Culture : Louis Massignon ; la substitution, avec Souâd Ayada et Christian Jambet, philosophes, et François Angelier (rediff.). Cultures d'Islam, A. Meddeb.

Du lundi 22 au vendredi 26 mars à 6h00 sur France Culture : Collège de France - Histoire turque et ottomane : Les "esclaves de la Porte" dans l'Empire ottoman : recrutement, formation, carrières. Cours de Gilles Veinstein. L'Éloge du Savoir.



vendredi, mars 19, 2010

Coup de cœur du mois : Ibrahim Keivo


Bonne nouvelle : sortie le 20 mars d'un CD d'Ibrahim Keivo, intitulé Chants de la Djezireh, et regroupant les répertoires syriaques, kurdes – dont des chants yézidis–, arméniens et arabes. Bref tout le méli-mélo des peuples de la région, à l'image aussi de l'histoire personnelle d'Ibrahim Keivo, dont un des grands-pères, arménien, fut l'unique rescapé de sa famille anéantie lors du génocide de 1915, et qui fut recueilli dans une famille de kurdes yézidis.

Ibrahim Keivo apprend tout jeune à jouer du saz, du buzuk, du baghlama. Après des études secondaires à Hassakeh, il part à Alep étudier auprès de Nouri Iskandar. En 1993, il reçoit le Prix Ornina lors du Troisième Festival de chant syrien et en 1995, le Trophée d'Or d'Ornina.





Date de sortie d'origine : 20 mars 2010
Label: Inédit/maison des cultures du monde
Copyright: (c) Maison des Cultures du Monde
Durée totale: 1:18:32
Genres:
ASIN: B00393242W


jeudi, mars 18, 2010

Philosophies d'ailleurs II, Les pensées arabes et persanes

Avicenne prend ici pour modèle du sage accompli certains maîtres du soufisme. Le sage se distingue de deux autres types de fidèles à Dieu, l'ascète et le dévot. Se conformer à la Loi divine par crainte et espérance ne suffit pas à la sagesse, mais en diffère du tout au tout, étant un marchandage qui échange un renoncement aux plaisirs de cette vie contre les plaisirs sensibles du paradis. Or, ces plaisirs, dont Avicenne pense que le Coran les accorde à nos imaginations, sont le lot des hommes moyennement avancés sur la voie de Dieu. Les rechercher, c'est être encore attaché aux plaisirs que recherche l'âme animale, ceux de la concupiscence. Le salut véritable consiste en la proximité divine et suppose d'avoir accédé à la vie contemplative. Le paradis sensible récompense ceux qui, tout en agissant bien, ont été privé de la vie de l'intellect. La religion du commun ne conçoit pas Dieu comme Il est, Être, Bien et Intelligence, mais comme un moyen et l'assimile à ce qui n'est pas lui. L'ascète ne pense pas autrement que comme les hommes du commun, comme l'enfant impubère il ignore la vraie réalité et le vrai plaisir. Le sage les connaît, jusqu'à intérioriser les lumières du monde divin, L'activité théorétique lui offre le plaisir supérieur, analogue à celui que Dieu prend à soi-même. Cette critique discrète d'une certaine religion populaire annonce des thèmes analogues, chez Spinoza.

J'ai toujours aimé l'optimisme inhérent à la philosophie d'Avicenne et de Sohrawardî, à savoir que le Mal c'est le non-être, soit parce qu'il ne porte pas en lui la nécessité d'exister soit qu'il n'est pas conscient de lui-même, révélé à soi. Faire de Sohrawardî un crypto-manichéen est, de ce fait, un contre-sens, même si l'effort des Ishraqiyûn est de lutter contre la ténèbre intérieure. Il s'agit ici de vaincre le non-être et ses effets, un peu comme un trou noir intérieur que l'on doit vaincre au lieu que ce soit lui qui vous avale l'âme par illusion. Mais le Mal n'est pas un principe divin s'opposant au Bien. Il n'est pas, c'est tout. À nous ensuite de dire oui ou non à l'être, pour nous-mêmes, et c'est tout.

L'Être nécessaire est par soi-même bien pur. Au total, le bien, c'est ce que désire toute chose. Or, ce que désire toute chose, c'est l'existence ou la perfection de l'existence. Ne pas être, comme tel, personne ne le désire, mais seulement dans la mesure où l'être s'ensuivra, ou la perfection de l'être. Par conséquent, ce qui, en réalité, est objet de désir, c'est l'existence, et l'existence est bien pur et perfection pure.

Le bien est donc, au total, ce que toute chose désire dans la limite de sa définition, et ce par quoi se parachève son être. Le mal, en revanche, ne possède aucune réalité essentielle. Non ! Ou bien il est inexistence d'une substance, ou bien il est privation de bien-être dans la manière d'être de la substance. L'existence est donc bonté, et la perfection de l'existence est donc la bonté de l'existence. L'existence à laquelle ne se joint aucune privation d'être, aucune inexistence affectant la substance ou aucune privation de rien qui appartienne à la substance, l'existence qui est perpétuellement en acte, c'est elle qui est le bien pur, tandis que ce qui n'est par soi, qu'existence possible n'est pas bien pur. En effet, son essence est telle, par soi, que l'existence par soi ne soit pas pour elle nécessaire. Son essence souffre donc du non-être, et ce qui souffre de non-être d'une certaine façon n'est pas exempt du mal et de la déficience, sous tous les aspects de ce qu'il est. Ainsi le bien pur, c'est seulement l'Être nécessaire par soi.


Suhrawardî a transformé l'ontologie de l'Islam en une métaphysique de la lumière. Cause finale de toute réalité, Dieu est intensité infinie de lumière, c'est-à-dire de réalité. Au lieu de comprendre cette infinie puissance dans le registre d'une transcendance où Dieu serait voilé, Suhrawardî explique l'abscondité divine par l'excès de sa manifestation, l'excès de l'illumination que son essence produit, l'excès de sa présence. L'infini est immanent au fini, mais il est voilé par son évidence, il est caché parce qu'il est apparent.

Tout le système de Sohrawardî est fondé sur l'évidence, l'Apparent, le clair, ce qui révèle. Rien n'est plus éloignée de sa philosophie que l'idée d'un certain ésotérisme, d'une certaine gnose – et aussi, parfois, du chiisme – selon laquelle la vérité est voilée, à charge d'être pénétrée, peu à peu, par un groupe d'initiés, après un enseignement progressif, sélectif. Sohrawardî, de ce qu'il laisse entendre à plusieurs reprises, reçut toujours ses certitudes de façon soudaine, par rêve ou par vision, de façon claire, illuminative, si éblouissante qu'elle aveugle ceux atteints de "cette ophtalmie spirituelle qu'on appelle la bigoterie", comme les hiboux injurient la huppe prétendant y voir clair le jour. Finalement, pour Shihâb ad-Dîn, "la Lumière des lumières, l'Être Nécessaire", c'est un peu la lettre volée d'Edgar Poe : c'est parce qu'Il est là, sous notre nez, qu'Il crève nos yeux, que nous n'y voyons rien.

C'est en cela que je prends souvent le Sheikh de l'Ishraq pour référence devant tout texte prétendant à être une révélation divine : s'il y a de l'ombre, du codé, de l'obscurité, de l'alambiqué pour tout cacher aux profanes, dès que ça sent la petite cuisine d'officine, comme disait à peu près Corbin, je laisse de côté. Les vraies révélations (le Coran, la Bible, la Bhagavad Gita, les dits du Buddha, et aussi les Dialogues avec l'Ange) sont pleines et riches de sens, mais jamais chiffrées. Elles sont même simplistes d'apparence, faites autant pour l'usage des chameliers, pêcheurs, bouviers et potiers, que des scribes et des princes. Nul besoin de 36 notes de bas de page pour les comprendre : un Ange, ça parle en clair et dans le concret, voire le trivial. Il faut juste, comme Erri de Luca fait de la Bible, en tourner et retourner chaque mot, comme un noyau d'olive en bouche, pour qu'enfin son évidence arrache, d'un seul coup sec, nos voiles, ceux que les maîtres de l'illusion ont mis entre la vérité et nous. Sohrawardî enseigne qu'il faut balayer, devant un texte, toute exégèse antérieure, et "lis le Coran comme s'il n'avait été écrit que pour ton propre cœur" et comme si c'était la première fois et que jamais personne n'avait commenté à ce sujet.

Lui, son essence est lumineuse, mais la luminescence ne s'ajoute pas à son essence. Et puis, l'intensité de sa luminescence est sa perfection, et cette intensité, qui est sa perfection même, est infinie, c'est-à-dire qu'il est faux que l'on puisse concevoir rien de plus complet, de plus parfait, et il est faux qu'il y ait, de quelque manière que ce soit, perfection supérieure à la sienne. L'intensité de sa luminescence nous est cachée par l'intensité même de sa manifestation, dans la mesure où il est vrai de dire qu'il est le principe de la procession infinie des lumières douées de perception, et qu'il domine, par sa luminescence, l'ensemble des lumières, et où c'est l'intensité même de sa luminescence qui voile sa luminescence. Comme le soleil, malgré sa masse corporelle, est caché à nos vues par son apparaître même.
Philosophies d'ailleurs II, Les pensées arabes et persanes, Christian Jambet.

Kawa en turc





Déjà la gloire internationale, Kawa le Kurde vient de sortir en turc aux éditions Avesta, traduit par Ferhat Öztürk. Juste avant le Newroz, ils ont le sens du timing....




21 Mart, Newroz, yılın ve baharın ilk günü. Çöllerin efendisi, Kudüs’ün kralı, İran’ın beşinci imparatoru, Arap Dehak, sarayının penceresinden Ninova düzlüğüne bakıyordu.”

Demirci Kawa ile zalim kral Dehak efsanesi Kürt halkının kurucu efsanesidir. Bu efsane dünyanın en eski bayramı olan ve bütün Kürtler tarafından kutlanan Newroz ile ilintilidir.

Omuzlarından iki yılan çıkan kral Dehak, her sabah canavarlarını insan beyniyle beslemek için iki genç insanı kurban ediyordu. Efsane, hekim kılığına girmiş üç cesur adamın, iki kurbandan birini, koyun beyniyle değiştirerek kurtardığını anlatır. Kurtulanlar dağlara kaçar ve o binlerce kaçaktan Kürt halkı meydana gelir. Dehak’ın saltanatının son yıllarında, on altı oğlu kurban edilen Kawa adında bir demirci, geriye kalan son oğlu kurban edilmek üzere kaçırıldığında isyan eder…

Bu efsanede, yazar “Buz kesmiş sözcükler ülkesi” adını verdiği bölümlerde, Kürdistan’ın yakın tarihine göndermede bulunur. Kürt dilinin yasaklandığı, inkar edildiği, insanların ağızlarında donup kaldığı ülkeyi anlatır. Demirci Kawa ile zalim kralın öyküsü asırlardır, dünyanın, şehirlerin ve iktidarın uzağındaki Kürtlerin tarihinde varlığını sürdürmektedir.

Sandrine Alexie
Sandrine Alexie École du Louvre’da (Louvre Okulu) İslam sanatı ve l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales’de (Doğu Dilleri ve Medeniyetleri Ulusal Enstitüsü) Kürt dili ve medeniyeti eğitimi aldı. Kürdistan’da araştırmalarını sürdüren yazar Observatoire Franco-Kurde’nin kurucularından biridir. Ehmedê Xani’nin kaleme aldığı, klasik Kürt edebiyatının büyük eseri Mem û Zin’i Akif Hasan ile birlikte Fransızcaya çevirdi.


Zilm didome, serhildan jî… û helbet efsane jî!

“21ê Adarê, Newroz, yekem roja sala nû û biharê. Mîrê beyabanê, qralê Qudsê, împaratorê 5. ê Îranê, Dehaqê ereb, di paca qesra xwe re li beriya Nînewa dinihêrt.”

Efsaneya neteweyî ya kurdî Kawayê Hesinkar, serhildana wî ya li dij qralê zalim Dehaq ku 21ê Adarê, yekem roja sala nû dest pê kiriye bû roman. 21ê Adarê cejna millî a kurdî ye û bi sedan salan e kurd wê pîroz dikin.

Di kitêba Sandrine Alexie de ku Ferhat Öztürk ji fransî wergerandiye tirkî, efsaneya Kawa bi dema me ve hatiye girêdan, di beşên “Welatê peyvên qeşagirtî” de nivîskar dîroka Kurdistanê a nêz bi bîr tîne, rewşa welatê kurdan ku zimanê wan lê hatiye qedexekirin, nasnameya wan hatiye înkarkirin radixe ber çavan, ew welatê ku peyv di devê mirovên wê de dicemidin.

Zilm didome, serhildan jî… û helbet efsane jî!

KAWA
Sandrine Alexie
Fransızcadan Çeviren: Ferhat Öztürk
ISBN:978-9944-382-69-4
21.5x13.5, 232 sayfa, 15 TL

Thèses répugnantes des ésotéristes et les mérites des fidèles de Mustazhir


Abû Hamid Ghazalî, on le sait, n'avait guère de sympathie pour les Kurdes. Cela dit, quand on lit la liste de tous ceux qu'il n'aime pas, entre les Kurdes, les Bédouins, les Turcs, les paysans, les Noirs, les Manichéens, les citadins, les jeunes, il ne lui reste plus grand-monde à aimer, hormis ceux qui obtempéraient à ses thèses, seuls gens "sensés".

Dans ses Thèses répugnantes des ésotéristes et les mérites des fidèles de Mustazhir, il s'en prend aux Ismaéliens. Comme ceux-ci étaient considérés comme les meurtriers du vizir Nizam al-Mulk, lequel tenait Ghazalî et haute estime et amitié, et l'avait mis à la tête de l'université de Bagdad, on peut comprendre sa détestation des Nizaris. Les "ésotéristes" sont donc les chiites (batinis) et les fidèles de Mustazhir, le calife abbasside, les sunnites bon teint. Prônant un certain rationnalisme religieux (et donc opposé à la philosophie grecque et à tout courant "mystique" ou "intuitif" quand il s'agit des dogmes, il passe en revue une liste d'imbéciles chroniques dont l'entendement faible fait qu'ils sont plus perméables aux déviances religieuses. En même temps, cela donne un aperçu des préjugés du temps, de ce qui se disait des uns et des autres dans la Bagdad seldjoukide. Cela donne en négatif l'idéal du "bon musulman" selon les critères d'Abû Ghazalî, le portrait standard du "croyant honnête".

Évidemment si je reproduis le passage, c'est que les Kurdes dégustent, mais il sont loin d'être les seuls :

Ne sont dupés par là que ceux qui perdent l'équilibre de leur état et la droiture du jugement. En effet, à ceux qui sont doués d'un intellect, il arrive des accidents qui aveuglent pour eux les voies de ce qui est juste et convenable, en les dupant par ce qui est incorrect et faux. Ils sont de huit sortes :
[Première sorte :] Un groupe d'homme dont les intelligences sont faibles et dont les vues sont basses, dont les jugements, en matière de religion, sont stupides, car ils sont d'un naturel rustique et sot (al-balâda), comme les Noirs, les balourds chez les Arabes ou les Kurdes, les rustres chez les Persans et les nigauds d'adolescents. Peut-être sont-ils, en nombre, le groupe humain le plus étendu ! Comment tenir pour lointaine leur acceptation de cela [l'erreur], quand nous sommes témoins de l'existence d'une communauté, résidant en certaines villes proches de Basra, qui adore des êtres humains, en soutenant que ces hommes ont hérité de leurs pères la Seigneurie divine – communauté connue sous le nom de Shabâsiyya ? Et voici qu'un groupe croyait que 'Alî était la divinité des cieux et de la terre, le Seigneur des mondes ! Ce sont des gens nombreux, une foule innombrable que ne contiendrait pas une région entière. Il ne faut pas s'étonner trop de l'ignorance humaine, quand le démon prête son assistance à l'homme et le domine, abandonné de Dieu.
Cela laisse entendre que les Kurdes, comme tant d'autres groupes hors-cité, sont perméables aux hérésies chiites. Second groupe stigmatisé par Ghazalî – qui, en tant que Persan lui-même, les connaît bien – les Zoroastriens, Manichéens et surtout crypto-Manichéens (zindiq), et, au fond, tous les nostalgiques de la sagesse de l'ancienne Perse, nostalgie qui perdura comme le montre les rêves de Sohrawardî :

[Deuxième sorte] : Un groupe d'homme dont l'État a été déraciné par l'État musulman, comme les descendants des Rois et des nobles de l'Ancienne Perse et les fils des Mages zoroastriens si présomptueux. Ceux-là sont dupés, et le ressentiment se cache en leur poitrine comme la maladie pernicieuse. Aussi, lorsque les lubies des faussaires les mobilisent, son feu se ranime en leur poitrine, et ils croient bon d'accepter n'importe quelle absurdité, par désir de tirer vengeance et de restaurer leurs affaires.

On le voit, Ghazalî soupçonne un certain nombre d'Iraniens de déloyauté secrète envers l'islam, que ce soit par regret de leur suprématie politique ou fausse conversion, et aussi d'un ressentiment contre l'envahisseur "arabe". Pour Ghazalî, donc, cette cinquième colonne hérétique n'est même pas sincèrement chiite, mais use de cette dissidence pour ruiner l'État musulman. Ce qui est certain, c'est la fusion très fréquente de croyances chiites avec les vestiges des religions anté-islamiques (et presque toujours de la gnose néo-platonicienne). Concernant les Kurdes, le cas des Yarsans et, plus tard, des Alévis est à ce titre assez caractéristique.

Le troisième groupe, plus banal est fait d'hommes dont les ambitions ont été frustrées, ou qui ont été lésés, et qui espèrent, si le pouvoir actuel est renversé, profiter de l'aubaine en s'élevant socialement. La description du quatrième groupe est un des passages les plus drôles : il s'agit des snobs, de ceux qui ne veulent pas avoir la religion de tout le monde, qui se croiraient déshonorés s'ils partageaient la même foi que leur savetier :

[Quatrième sorte] : Un groupe d'hommes qui naît avec une disposition naturelle à aimer se distinguer du vulgaire, en se croyant au-dessus de toute ressemblance avec les gens ordinaires, et en s'octroyant l'honneur d'appartenir à une élite qui s'imagine s'élever jusqu'aux vérités. Ils pensent que le commun des hommes, en son ignorance, est semblables aux ânes pris de frayeur et aux bêtes de troupeaux lâchées en liberté. Telle est la maladie chronique qui prédomine chez les hommes d'esprit raffiné, s'exceptant des ignorants stupides. Tout cela est amour de ce qui est rare, étrange, aversion pour ce qui est commun et ordinaire et cela caractérise certains êtres humains, comme en témoigne l'expérience et comme le prouve l'observation.

Autre groupe d'égarés, ceux qui béent d'admiration pour les philosophes grecs et tâchent de les imiter en tout, même en ce qui contredit la révélation coranique. Il faut dire que l'engouement pour la philosophie d'Aristote et de Platon touchait aussi bien les cercles musulmans que chrétiens ou juifs. Ghazalî visera plus particulièrement Farabî (lui-même chiite) que, plus tard, Averroès défendra au nom de la philosophie (même si Farabî était un peu trop platonicien à son goût).

La sixième sorte concerne vraiment les membres de la communauté chiite, qui ont été gagnés par la propagande ismaélienne et sont séduits par une action plus radicale contre le pouvoir ababasside. Le septième compte encore des philosophes (aristotéliciens ou platoniciens) et aussi des "dualistes", c'est-à-dire manichéens, qui, par goût des honneurs ou appât du gain, fournissent en raisonnements sophistes et logiques les armes dialectiques que les fidawis ismaéliens vont employer pour persuader et rallier à leur cause les fidèles. Enfin, la huitième sorte est composée des viveurs, des jouisseurs, des libertins que les obligations religieuses ennuient et qui trouvent dans un nouveau courant religieux le moyen d'échapper à une loi trop pesante.


Prix littéraire de la Porte Dorée


C'est officiel, le dernier roman de Fawaz Hussain, En direction du vent, édition Non Lieu, est sélectionné parmi les ouvrages en lice pour recevoir le Prix littéraire de la Porte Dorée, qui "récompense un roman ou un récit écrit en français traitant du thème de l’exil."

L’annonce du livre primé aura lieu dans le cadre du festival “Paris en toutes lettres”, le 12 juin 2010 à 17h à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration Palais de la Porte Dorée, à Paris (XIIe) en présence des membres du jury, présidé par Mohamed Kacimi, écrivain, et composé de : Mehdi Charef, écrivain et cinéaste ; Arlette Farge, historienne ; Mehdi Lallaoui, cinéaste ; Florence Lorrain, libraire ; Alain Mabanckou, écrivain ; Valérie Marin La Meslée, critique littéraire ; Léonora Miano, écrivain ; Jacques Toubon, président du conseil d’orientation de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et Henriette Walter, linguiste.

Les dix ouvrages retenus par le jury sont :

- L'Arabe d’Antoine Audouard (L’Olivier)
- Le tombeau de Tommy d’Alain Blottière (Gallimard)
- Murmures à Beyoglu de David Boratav (Gallimard)
- Missak de Didier Daeninckx (Perrin)
- La mer noire de Kéthévane Davrichewy (Sabine Wespieser)
- Patries de Jean Fratoni (L’Harmattan)
- En direction du vent, de Fawaz Hussain (Non-Lieu)
- Tâche de ne pas devenir folle de Vanessa Schneider (Stock)
- Ru de Kim Thúy (Liana Levi)
- Jusque dans nos bras d’Alice Zeniter (Albin Michel)

mercredi, mars 17, 2010

Élections irakiennes : toujours les additions...



Diyala avec 75 % des voix :

- 173 989 pour Iraqiyya (sunnites menés par Allawi) ; 61 220 pour l'Alliance nationale irakienne (chiites) ; 42 218 pour État de droit, la liste de Maliki ; 31 494 pour l'Alliance kurdistanî ; 18 286 pour Tawafuq (sunnites) ; 5 558 pour Gorran ; 4 761 pour l'Unité irakienne (coalition nationaliste chiite-sunnite) ; 1 516 pour l'Union islamique du Kurdistan.

Dohuk avec 70% des voix :

- 213 941 pour l'Alliance kurdistanî, 39,987 pour l'Union islamique, 15 834 pour Gorran, 2048 pour Komal (islamistes kurdes), 101 pour la liste chiite Alliance irakienne (coalition plutôt opposée à Maliki).

Erbil avec 73% des voix :

- 298 805 pour l'Alliance, 73 780 pour Gorran, 45 234 pour Komal, 37 113 pour l'Union islamique, 313 pour l'Alliance nationale irakienne (chiites).

Kirkouk avec 75% des voix :

- 147 683 pour la liste sunnite d'Allawi, Iraqiyya ; 147 677 pour l'Alliance kurdistanî ; 24 436 pour Gorran ; 18 441 pour l'Union islamique du Kurdistan ; 12 671 pour Tawafuq (une liste sunnite) ; 9 917 pour l'Alliance irakienne ; 9 485 pour la liste de Maliki, l'État de Droit ; 5 347 pour Komal.

Ninive avec 80% des voix :

- 462 784 pour Iraqiyya, la liste sunnite d'Allawi ; 158 108 pour l'Alliance kurdistanî ; 47 994 pour Tawafuq (sunnites) ; 39 869 pour l'Unité irakienne (coalition sunnites-chiites nationalistes) ; 28 340 pour l'Alliance irakienne (chiites) ; 12 9921 pour la liste de Maliki ; 6 964 pour Gorran ; 3 220 pour l'Union islamique du Kurdistan ; 929 pour Komal.

Suleïmanieh avec 80% des voix :

- 248 023 pour l'Alliance kurdistanî ; 220 141 pour Gorran ; 79 557 pour l'Union islamique ; 61 775 pour Komal ; 150 pour l'Alliance irakienne chiite.

Ailleurs, c'est-à-dire dans les provinces ne contenant aucun district de population kurde d'origine, des partis kurdes obtiennent, ça et là, des voix :

L'Alliance kurdistanî : 15 062 à Bagdad ; 14 880 à Salaheddin ; 1 145 à Muthanna ; 914 à Babil ; 743 à Wassit ; 672 à Qadisiyah ; 401 à Najaf ; 289 à Dhi Qar.

Gorran : 1 256 à Bagdad ; 1 693 à Salaheddin.

L'Union islamique du Kurdistan : 710 à Bagdad.

Concert de soutien à l'Institut kurde