IRAK : DES LÉGISLATIVES AUX RÉSULTATS INCERTAINS


Le 7 mars avaient lieu les élections législatives dans tout l’Irak. Aux 19 millions d’électeurs inscrits en Irak (sur une population d’environ 30 millions) s’ajoutait presque un million et demi d’Irakiens expatriés un peu partout dans le monde, qui devaient voter entre le 5 et le 7 mars dans les ambassades de 16 pays. Le total des candidats était de 6. 218, dont 1. 801 femmes, se répartissant sur 12 listes regroupant 74 partis. Entre 500 et 600 observateurs internationaux étaient présents, ainsi que 200 à 300 000 observateurs locaux, pour 10 000 centres de votes et 46 000 bureaux locaux.

Les résultats non définitifs mettent au coude à coude le Mouvement national irakien, mené par l’ancien Premier ministre Iyad Yallawi, dont la liste est créditée de 91 sièges sur 325 sièges. Il est talonné de très près par la coalition État de droit du Premier Ministre sortant Nouri Al-Maliki, qui obtient 89 sièges mais qui a demandé un recomptage. Un des principaux changements de ces législatives est l’adoption d’un système de listes “ouvertes”, où les électeurs pouvaient choisir des candidats individuels dans chaque liste, au lieu de voter pour la totalité d’une liste “fermée” comme précédemment. Ce système, recommandé par l’UNAMI, avait déjà été utilisé pour les élections des Conseils provinciaux mais c’était la première fois qu’il servait aux législatives.

Autre changement, le nombre de sièges au Parlement est passé de 275 à 325. Selon la constitution irakienne, un siège correspond à 100 000 électeurs, mais il y a des sièges réservés d’office : 8 sièges vont ainsi aux Irakiens vivant à l’étranger et 8 aux diverses minorités religieuses, yézidis, shabaks, chrétiens, mandéens.

Parmi les principales listes, l’Alliance nationale irakienne est une coalition de grands partis chiites, l’Unité irakienne d’Al-Hakim, le mouvement d’Al-Sadr, le mouvement de la Réforme nationale de l’ancien Premier ministre Jaafari, et les partis religieux Dawa et Fadhila. La liste comprend aussi l’ancien ministre du Pétrole Ahmad Chalabi et une coalition des Tribus d’Irak.

État de droit, la liste du Premier Ministre irakien, Nouri Al-Maliki, comprend des membres du parti chiite Al-Dawa en sécession. Bien que se déclarant officiellement laïque et multi-ethnique, les candidats en sont en fait largement chiites, avec quelques petits partis sunnites, chrétiens et kurdes.

Al-Iraqiyya ou Mouvement irakien national, mené par l’ancien Premier ministre Iyad Allawi se présente comme une coalition laïque de chiites et de sunnites, mais dont les grandes figures sont sunnites, avec Tariq Al-Hashimi, vice-président irakien, à la tête de son nouveau parti, le Renouveau, et surtout le controversé Saleh Al-Mutlak, et son Front national du dialogue, dont les liens avec le parti Baath interdit ont failli le faire interdire d’élections par la Haute Commission électorale irakienne.

Al-Tawafuq ou Front irakien de la Concorde, est un parti sunnite qui a perdu sa position dominante par rapport à 2005, au profit de la liste d’Iyad Allwai. Il s’est allié pour ces législatives à un parti sunnite turkmène et comprend plusieurs candidats indépendants. L’Unité irakienne rassemble le Mouvement du réveil, un parti sunnite qui a remporté la majorité des sièges aux élections provinciales d’Anbar en 2009, le Parti constitutionnel irakien du ministre de l’Intérieur Jawad al-Bolani et un autre mouvement sunnite. Ahmed Abu Risha, le leader du Réveil, menait la liste.

Du côté kurde, l’Alliance du Kurdistan et la liste Gorran ont fait campagne à part, n’ayant pu s’entendre pour se coaliser, contrairement aux législatives de 2005, en raison des relations tendues entre l’UPK et son mouvement dissident.
La campagne électorale a été émaillée de quelques violences dès février, parfois directement dirigées contre des candidats ou des partis, comme Saleh Al-Mutlaq, dont le bureau a fait l’objet d’une attaque à la bombe, ou bien le Quartier général de l’Alliance nationale irakienne. Al-Qaïda a d’ailleurs appelé les sunnites à boycotter ces élections, à grands renforts de menaces, mais sans succès.

Les attaques contre la population civile n’ont pas faibli. Le 3 mars, deux voitures piégées ont explosé à Baquba (Diyala) tuant 33 personnes et en blessant 55. À Mossoul, plusieurs assassinats et intimidations de chrétiens, des attentats contre des églises, ont fait plus de 20 victimes dans cette communauté et obligé 680 familles à se réfugier temporairement dans la plaine de Ninive, protégée par les Peshmergas kurdes. Le jour même du scrutin, 38 personnes ont été tuées et 110 blessées à Bagdad, dans des attaques ciblant directement les électeurs. Auparavant des flyers émanant de groupes sunnites en rébellion ont appelé la population à ne pas se rendre aux bureaux de vote. Les attaques ont été principalement menées avec des roquettes, des mortiers, et des bouteilles de plastiques bourrées d’explosifs et dissimulées dans des poubelles, pour contourner l’interdiction d’accès à tout véhicule près des bureaux de vote. Le bilan fourni par l’Iraqi Body Count Project est d’au moins 228 morts du 12 février au 7 mars. Nonobstant les violences annoncées contre les électeurs qui allaient braver les appels au boycott, la participation au scrutin, si elle a été moindre qu’en 2005 est restée relativement importante.

Dès février, les intentions de participation au scrutin étaient assez conséquentes. Les sondages officiels faisaient état de 63% d’intention de vote parmi les chiites contre 58% pour les sunnites et 67% chez les Kurdes. Les résultats préliminaires ont montré une participation nationale de 62.4%, la province ayant le plus voté étant celle de Duhok, avec 80% de participation, suivie par Sulaïmanieh avec plus de 70% de participation. Le dépouillement a été marqué par une grande incertitude dans les résultats, tant les scores respectifs des listes ont été serrés et variables au fur et à mesure que le comptage des différentes provinces avançait.

Alors que le 11 mars, 30% seulement des bulletins avait été comptabilisé, la liste du Premier ministre Nouri Al-Maliki paraissait en tête dans 9 des 18 provinces de l’Irak, tandis qu’Iyad Allawi dominait, sans surprise, les provinces sunnites arabes, ce qui a incité peut-être un peu trop hâtivement, des journaux étrangers, comme l’Irish Times à proclamer Nouri Al-Maliki vainqueur avec 100 sièges remportés sur 365.

De même, le parti kurde Gorran a été donné vainqueur en se fondant sur les résultats de Sulaïmanieh, la ville, alors que la province n’avait pas encore été dépouillée, et l’Alliance du Kurdistan a d’abord été annoncée comme ayant remporté 8 sièges sur 12 à Kirkouk.

Le 12 mars, la coalition État de droit était encore en tête avec près de 179 000 voix, suivie par l’Alliance nationale irakienne avec 160 000 voix, tandis qu’Al-Iraqiyya d’Iyad Allawi en faisait 124. 00 et l’Alliance du Kurdistan arrivait en quatrième place avec 100 000 voix. Cet ordre se maintint avec le dépouillement de Bagdad, le 13 mars, même si une percée des Sadristes fut enregistrée à Sadr City, le quartier chiite de la capitale. Mais la liste de Maliki l’emportait dans la province chiite emblématique de Kerbalah, à Basra et à Wasit. À Mossoul, Iyad Allawi reculait devant les nationalistes d’Al-Hadhba mais l’emportait à Anbar. Dans la Région du Kurdistan, l’Alliance du Kurdistan fut donnée sans surprise vainqueur à Duhok avec 170 00 votes, suivie de très loin par l’Alliance islamique (31 000 voix), le parti Gorran n’obtenant qu’un score insignifiant (12 000) dans cette province, bastion historique du PDK. À Sulaïmanieh, alors que Gorran avait d’abord semblé prendre la tête, l’Alliance du Kurdistan repassa devant son rival. Mais la surprise fut surtout à Kirkouk, où le parti kurde était donné comme largement favori, et qui se retrouva, avec seulement 120 664 voix, légèrement dépassé par la liste sunnite Al-Iraqiyya et ses 123 862 voix. Iyad Allawi apparut d’ailleurs en tête pour tout l’Irak le même jour, en dépassant les listes chiites.

Mais le soufflé sunnite devait un peu retomber dès le 17 mars, alors que 91% des buleltins avaient été recensés. À Kirkouk, l’Alliance kurde repassait devant la liste sunnite avec un avantage de 3 198 voix et cet écart devait s’accroitre au fur et à mesure que le dépouillement des votes progressait dans des districts à majorité kurde. De même, Al-Iraqiyya, qui avait dépassé le 17 mars l’État de droit de 9 000 voix, – ce qui avait incité Nouri Al-Maliki à réclamer un recomptage des voix en parlant de « fraude »– se faisait de nouveau battre par 40 000 voix en faveur de la liste chiite dès le lendemain.

Mais le 20 mars, Iyad Allawi dominait à nouveau avec un avantage infime de 8 000 voix. Par ailleurs, les réclamations et accusations de fraude se sont fait entendre de toutes parts, aussi bien de la part de Maliki contre son rival sunnite que des partis sunnites contre la liste du Premier ministre, ainsi que des Kurdes contre Allawi à Kirkouk, ce dernier leur renvoyant la politesse. Gorran, dont le score fut faible à Mossoul attaqua de même Al-Iraqiyya dans ce secteur, bien que ce soit surtout la liste Al-Hadhba qui semble devoir l’emporter.

Divers partis, kurdes comme arabes, accusèrent aussi l’étranger de manipulations et de fraudes : les USA, l’Iran, l’Arabie saoudite, etc. Finalement, devant les résultats très serrés entre Nouri Al-Maliki et Iyad Allawi, et sur l’insistance du Premier Ministre, il a été décidé de recompter les votes, au moins pour Bagdad, le 19 avril.

Le Parlement devant élire le Premier Ministre et le président, ces élections portaient aussi sur la gouvernance directe du pays. En toute logique, le poste de Premier Ministre doit revenir au vainqueur des législatives, mais Al-Iraqiyya et État de droit ayant fait un score quasi-identique, les chiites de l’Alliance nationale irakienne et surtout les Kurdes se trouvent donc une fois de plus dans la position de « faiseurs de rois ».

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