mercredi, avril 30, 2008

TURQUIE : L’AKP, LE DTP ET LE CHP MENACES D’INTERDICTION


Trois partis représentés au Perlement d’Ankara sont menacés de fermeture par décision judiciaire : a formation gouvernementale AKP, le parti pro-kurde DTP et le vieux parti kémaliste CHP, fondé par Atatürk lui-même.
La menace qui pèse sur le premier défraie la chronique bien au-delà des cercles politiques turcs, puisqu’il s’agit non seulement du parti au pouvoir, élu avec 47% des voix, mais aussi de celui qui a bénéficié d’une certaine faveur de la part des instances de l’Union européenne, malgré un enlisement des réformes engagées depuis sa première élection.
Pour un certain nombre de propos et une réforme, au demeurant minime dans les faits, mais à grande portée symbolique en Turquie (celle d’autoriser le port du foulard islamique à l’université), l’AKP et ses dirigeants vont être poursuivis pour « activités antilaïques », avec l’accord de la Cour constitutionnelle. En plus de la dissolution du parti, le procureur général Abdurrahman Yalçinkaya a requis 5 ans d’exclusion de la vie politique à 71 cadres et dirigeants, dont, bien sûr, Abdullah Gül, l’actuel président de la Turquie, et Recep Tayyep Erdo?an, son Premier ministre.
La classe des magistrats en Turquie fait souvent figure de « vieille garde kémaliste », hostile à tout changement qui pourrait remettre en cause les principes fondateurs de l’Etat turc depuis 1923. N’ayant plus aucune représentation politique à l’Assemblée, c’est dans les tribunaux que se manifeste l’opposition à la « menace islamiste » qu’est censée incarner l’AKP et les atteintes à « la turcité », dont les principaux coupables désignés sont les Kurdes en général et le parti du DTP en particulier.
Mais l’affaire est portée directement au coeur de l’Union européenne, qui juge la procédure peu démocratique et incompatible avec les règles de la vie politique au sein de l’Europe. Le commissaire à l’élargissement, Olli Rehn, a immédiatement critiqué cette décision en soulignant que « dans une démocratie normale, ces problèmes politiques doivent se régler dans les urnes, pas devant les tribunaux » et en laissant entendre que la dissolution de l’AKP, si elle avait lieu, pourrait amener une suspension des négociations d'adhésion de la Turquie. Jan Marinus Wiersma, le vice-président du groupe socialiste au Parlement européen, renchérit en affirmant même que la fermeture du parti au pouvoir entraînerait « automatiquement » l’arrêt des négociations. Le député allemand Jorgo Chatzimarkakis, membre du groupe de l’Alliance des démocrates libéraux, également partisan de la suspension de la candidature turque en cas d’interdiction de l’AKP, y voit les menées de « l’Etat profond » contre la démocratie en Turquie, et somme les « kémalistes turcs » de s’adapter au 21ème siècle, en comparant même ces agissements aux dictatures sud-américaines des années 1970 et 1980.
Quant à Joost Lagendijk, le co-président de la Commission parlementaire Europe-Turquie il désapprouve le fait que la Cour constitutionnelle ait accepté de recevoir la plainte, tout en disant s’y être attendu, « car, connaissant la composition de la Cour constitutionnelle, cela ne pouvait qu’arriver. Je pense que c’est très mauvais pour la Turquie, de deux façons. D’abord, cela nuit à son image à l’étranger. Je suis certains que ceux qui sont contre l’accession de la Turquie en Europe vont se réjouir, parce qu’ils auront un argument de plus : pourquoi devrions-nous négocier avec un pays dont le parti au pourvoir risque d’être fermé ? La seconde raison est, qu’en conséquence, les six ou neuf prochains mois, nous ne verrons plus aucune nouvelle réforme. Le gouvernement sera occupé à se battre avec l’opposition (...) une fois encore, cela fera de 2008 une année perdue, comme 2007 l’a été. »
Même son de cloche chez le rapporteur pour la Turquie au Parlement européen, Ria Oomen-Ruijten, qui accuse les magistrats turcs de se comporter comme les « propriétaires de l’Etat ».
Le procureur général Abdurrahman Yalç?nkaya est également à l’origine de la procédure de fermeture contre le DTP, le parti pro kurde, qu’il accuse d’être une atteinte à « l’intégrité indivisible de l’Etat et de la nation". Il réclame aussi 5 ans de prison contre 221 membres du DTP, dont 8 députés.
Ahmet Türk, le chef du groupe DTP au Parlement, s’exprimant sur la fermeture possible de l’AKP et celle de son parti, y voit lui aussi un effet du conflit entre l’Etat profond et le reste de la société en Turquie : « Il y a trois Etats en Turquie. Le premier veut des changements et avancer sur la route qui mène à l’Union européenne ; le deuxième cherche à préserver le statu quo dans le pays et le dernier veut rendre l’Etat conforme à l’image que s’en fait l’Etat profond et ses gangs. » Mais il met aussi l’AKP face à ses responsabilités dans le pourrissement de la situation : « L’AKP ne doit certainement pas se présenter comme une victime des conflits opposant les forces internes de l’Etat. Ils n’ont pas su tirer parti du pouvoir que leur avait confié la nation, de manière efficace. Malheureusement, le parti dirigeant est responsable de la situation actuelle dans notre pays. »
Ahmet Türk accuse aussi l’AKP de ne pas défendre la démocratie face aux partisans du statu quo. Il appelle le gouvernement à engager enfin des réformes démocratiques et à « lancer une guerre d’indépendance en faveur de la démocratie », notamment en résolvant la question kurde, qui en est une condition majeure.
Mais un troisième parti, plus inattendu, s’est ajouté à la liste des mouvements politiques menacés de fermeture : il s’agit du CHP, pourtant principal adversaire de l’AKP et du DTP, accusé de transfert de fonds occultes en faveur d’une chaîne de télévision nationaliste, Kanal Türk, d’un montant de 3 millions de lires turques.
Mustafa Özyürek, le leader adjoint du parti, a affirmé, dans une conférence de presse, qu’il ne s’agissait que d’une avance destinée à financer des annonces publicitaires. Mais des experts judiciaires y ont vu le signe d’un partenariat occulte du CHP au sein de Kanal Türk, ce qui est en violation de plusieurs articles de la Loi sur les partis politiques.
Les charges portées contre le CHP ont été présentées au procureur général d’Istanbul et à la Cour constitutionnelle en mai 2007. Cette affaire rend le CHP susceptible d’être dissous, comme cela s’est déjà vu dans le passé, sur des affaires similaires de financements illégaux, mettant en cause des partis politiques.

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