Les tribulations du moine Riccoldo


Riccold de Monte Croce, Pérégrination en Terre Sainte et au Proche Orient, suivi de Lettres sur la chute de Saint-Jean d'Acre.
Traduction René Kappler.

Présentation de l'éditeur :

"En 1288 débarque à Saint-Jean d'Acre Riccolda da Monte Croce, missionnaire dominicain de Florence, du couvent de Sainte-Marie-Nouvelle.

C'est à Baghdad qu'il apprend, trois ans plus tard, la chute de Saint-Jean d'Acre (18 mai 1291), le massacre de trente de ses frères et du patriarche Nicolas. Il voit affluer sur le marché de Baghdad les survivants promis à la servitude. Il y achète un psautier, et même une tunique de son ordre, transpercée et auréolée de sang. Angoisse profonde, scandale pour la foi et tentation du désespoir qu'il exprime et conjure dans d'admirables "Lettres à l'Eglise triomphante...
Commentatorie de perditione Acconis".

Histoire sanglante, sur fond de désastre. Le Royaume latin de Terre sainte s'effondre, mais la mission de Riccold n'est pas de soutenir cet empire par les armes, elle est de conquérir et de sauver des âmes.

Le Liber Peregrinationis en est le témoignage. Quelques mois en Terre sainte, les pas dans les pas du Christ, pour confirmer sa vocation de "pêcheur d'hommes", puis Riccold s'enfonce au coeur de l'Orient. Dix ans durant il vivra sous la suzeraineté des Mongols, les "Tartares" ; il découvre et note l'étonnante diversité des peuples, des rites, des croyances, des moeurs, le contraste entre barbarie et humanité. Il apprend l'arabe, et le voici à même de prêcher et de discuter de théologie avec les chrétiens d'Orient, Jacobites et Nestoriens, et surtout, à Baghdad, qui malgré la chute du Califat, est resté le coeur de l'Islam, de rencontrer longuement de savants docteurs musulmans, d'admirer la perfection de leurs moeurs, et d'entreprendre une réfutation en règle du Coran.

Tout cela, le
Liber Peregrinationis le raconte avec passion ; les rencontres, les expériences, les incidents, les épreuves, tout prend vie dans ce récit, riche témoignage et document inestimable.

Ni les
Lettres ni la Pérégrination n'étaient jusqu'à présent accessibles en français. Pour la Pérégrination, nous éditons également le texte latin, d'après un manuscrit exceptionnel, inédit, annoté de la main même de Riccold."

Table des chapitres

INTRODUCTION

PEREGRINATION

La Galilée
Nazareth
La Judée et la Terre promise
Bethléem
Jérusalem encore
Du Saint Sépulcre du Seigneur
La Turquie et les Turcomans
Les Tartares
La Perse
Les Curtes
Ninive
Les Jacobins
Les Nestoriens
Les Sarrasins

LETTRE SUR LA CHUTE DE SAINT-JEAN D'ACRE
BIBLIOGRAPHIE
INDEX DES NOMS DU TEXTE LATIN
INDEX ANALYTIQUE DE LA
PEREGRINATION

Document exceptionnel et savoureux récit géographique, d'un Florentin du XIII° siècle, contemporain de Dante, sur les peuples de l'Orient, dont les "Curtes". La plupart du temps, naturellement, ils en prennent tous pour leur grade, dans les conventions du genre sur la "bestialité" des peuples nomades, avec des stéréotypes qui, de toute façon, étaient les mêmes chez les citadins de Baghdad ou de Mossoul, quelle que fusse leur confession.

Ainsi, voici comment Riccoldo nous introduit la Turquie et les Turcomans :

"L'Arménie traversée, nous entrâmes en Turquie, et nous y trouvâmes les Turcomans, des hommes presque sauvages qui sont sarrasins et habitent d'ordinaire sous terre, comme les taupes. Ils sortent des cavernes creusées dans la terre, comme des rats, et forment à l'improviste une armée. Ils sont féroces et courageux, surtout les femmes, et je ne rapporterai qu'un trait à ce sujet : une femme turcomane enceinte suivait à pied les chameaux. Une nuit, dans le désert, elle accoucha en silence. Or au matin on vit avec étonnement que la mère avait pris l'enfant sur elle et suivait les chameaux, comme avant."

Les Tartares, c'est-à-dire les Mongols, ne sont pas plus avenants :

"A notre entrée en Turquie, nous découvrîmes le peuple horrible et monstrueux des Tartares. Les Tartares diffèrent beaucoup de toutes les autres nations du monde par l'aspect, les moeurs et les rites.

Par l'aspect : ils ont le visage très fort et très large, des yeux petits, comme d'étroites fentes transversales au milieu du visage ; peu de barbe, au point que beaucoup d'entre eux sont très semblables à des singes, surtout les vieillards.

Par les moeurs : ils diffèrent des autres peuples car ils n'ont ni courtoisie, ni pudeur, ni gratitude, ni attachement à un lieu comme les autres nations. Mais ils semblent haïr toute espèce de cité et de maison d'habitation. Cités, châteaux, maisons et édifices, ils détruisent presque tout. Et plus on s'humilie devant eux, plus ils vous mettent à mal."

Sur la religion, allusion aux pouvoirs des lamas ou autres moines bouddhistes ou yogi ? Le terme "bagsi" a plus tard donné bakhshi, ce terme passé dans le chamanisme et qui, chez les Kurdes et Turcs du Khorassan, désignent les fameux "bardes". En tout cas ces bagsi semblent des ancêtres de Foudre bénie dans Tintin au Tibet :

"Il faut savoir que les Tartares, plus que tout autre peuple au monde, honorent les baxites (lat. baxitas), à savoir certains prêtres des idoles : ce sont des Indiens, très savants aux moeurs très réglées et rigoureuses. Ils connaissent d'ordinaire les arts de la magie, prennent aide et conseil auprès des démons, donnent à voir beaucoup de tours de prestige, et font certaines prédictions. Un des plus grands d'entre eux passait pour voler, mais en vérité il fut établi qu'il ne volait pas : il marchait près du sol, sans toucher terre, et quand il semblait s'asseoir il ne prenait appui sur aucun objet solide."

J'adore la restriction : "Oui, bon, faut pas exagérer, il ne fait QUE marcher et s'asseoir en l'air, on ne va pas en faire un plat."

Sur la "sympathie" des chrétiens d'Orient envers les Mongols, que l'on a souvent supposeée car les nouveaux venus avaient été frottés de christianisme nestorien et surtout considéraient les musulmans comme l'adversaire à abattre, une nuance apportée par le dominicain :

"Ces hommes répandirent une telle horreur dans toutes les régions d'Orient que dans plusieurs cités la seule crainte que leur nom inspirait suffit à faire avorter des femmes enceintes. Qui pourrait raconter quels massacres sans fin ils firent : ils n'épargnaient personne, sauf les Chrétiens. Quand ils arrivèrent à une ville d'Orient proche de Baldach (lat. Baldac) où il y avait un très grand nombre de Chrétiens, le Chan ordonna que personne ne devait entrer dans les demeures des Chrétiens ; ils ne devaient tuer que les Sarrasins. Les Chrétiens recueillirent presque tous les Sarrasins dans leurs maisons. Quand il l'apprit, le Chan ordonna de tuer aussi bien les Chrétiens que les Sarrasin."

A Mardin, assiégée huit mois, le prince artoukide Qara Arslan ibn Ghazi choisit de régler le problème en faisant d'une pierre deux coups : sauver sa tête, se débarrasser de son père Nadjm ad-Dîn Ghazi al-Saïd b. Artouq Arslan, et au final d'occuper son trône :

"Ils arrivèrent à une ville très bien fortifiée et inexpugnable. Il leur était tout à fait impossible de la prendre et les habitants refusaient de se soumettre. Dieu frappa alors le peuple de la cité d'un affreux ulcère : ils étaient pris d'une horrible enflure et mouraient soudain. Mais alors même le roi de la cité refusait de se rendre aux Tartares. Son propre fils lui trancha la tête et les mains et les plaça dans une grande corbeille, puis il prit les clefs de la cité, les mit entre les mains coupées dans la corbeille, et, sortant de la cité, il alla porter cette offrande au chef des Tartares. Cette offrande fut si bien accueillie par ce peuple tellement cruel qu'aussitôt ils levèrent le siège et confirmèrent à perpétuité le parricide sur son trône, ainsi que sa postérité, et lui accordèrent les plus grands privilèges. Par la suite il n'y eut plus aucune place forte qui refusât de se soumettre."

Sur Erzouroum, sans surprise, nous lisons que c'était déjà une glacière : "Avançant à travers la Turquie dans une région très froide, nous trouvâmes une belle ville dans un site très élevé, et qui s'appelle Arzerrum (lat. Arçerrum). Le froid est si vif que nous y trouvâmes quantité d'hommes amputés : ils avaient perdu, qui le nez, qui un pied ou les deux pieds, ou les jambes ou les mains, sous l'effet du froid."

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