L'après-génocide : Arménie turque et Arménie russe

Ou comment les dachnak tentèrent désespérément de réarméniser l'Arménie turque, alors sous occupation russe :

"Dans un pays détruit et ruiné, il faut reconstruire les habitations, ensemencer les terres, apporter des outils, du bétail, des médicaments, constituer des stocks de nourriture et de combustible, avant le retour de l'hiver implacable du plateau arménien. Les jeunes - l'"avenir de la nation" - font l'objet d'une attention particulière. Outre des orphelinats destinés aux enfants arméniens "rachetés" à prix d'or aux tribus kurdes, on improvise des écoles et quelques cabinets de lecture. La volonté de restauration est évidente et elle est en soi remarquable, mais elle se heurte au principe de réalité. Plus de la moitié des rescapés des vilayets orientaux s'est déjà dispersée en Transcaucasie, dans le piémont caucasien, sur les rives de la mer Noire. Face à une majorité musulmane hostile ( Kurdes, Turcs, Lazes), les Arméniens sont devenus totalement minoritaires en Arménie turque : pour assurer leur sécurité, les paysans doivent s'organiser en milices d'autodéfense. L'avenir de l'Arménie turque dépend du sort des armes, à un moment où la victorieuse offensive ottomane et les désertions en masse des soldats russes, entre juillet et octobre 1917, entraînent la dislocation du front caucasien et annoncent l'invasion de la Transcaucasie."
En Arménie russe, la démographie n'est guère plus facile à gérer :

"A Yérévan, la révolution de Février et la chute du tsar avaient provoqué une forte commotion. Le gouvernement de la province s'était transformé en Comité exécutif et en Conseil militaire provisoire qui tentèrent d'harmoniser leur action avec les différents soviets qui s'étaient spontanément créés, ainsi que de maintenir la concorde entre les nationalités. En effet, selon les statistiques officielles, sur les 1 120 242 habitants de la province de Yérévan en 1916, 669 871 sont arméniens, 373 582 sont tatars, 36 508 sont kurdes, 16 103 russes, 12 624 tziganes. A Yérévan même, les chiffres sont plus favorables aux Arméniens : sur 51 286 habitants, 37 204 sont arméniens, mais 12 557 Tatars constituent le quart de la population urbaine."

La "Longue Marche" d'Andranik Ozanian le têtu :

"Le 6 juin, emporté par la fureur et la haine des "massacreurs turcs", refusant d'accepter les conditions honteuses du traité de Batoum et de reconnaître la République d'Arménie "créée de la main des Turcs", il quitte Dilidjan pour tenter de rejoindre les Anglais qui opèrent en Perse. A la tête de 3 500 combattants, cavaliers et fantassins de Mouch, Sasoun et Van, traînant derrière lui 2 canons, 40 chameaux et 20 000 réfugiés, Andranik arrive à Nakhidjéwan, franchit l'Araks à Dchougha, entre en Perse, mais est refoulé par les Turcs qui marchent sur Tabriz. Il parvient au moins à protéger l'exode des Arméniens, des Djélos et des Assyro-Chaldéens qui ont réussi à échapper aux massacres de Salmas et d'Ourmiah (juin-juillet 1918). Dès lors, nouveau Moïse guidant son peuple vers la Terre promise, il remonte vers le nord et gagne en guerroyant le Zangézour. Toutes les hautes terres du Nakhidjéwan, du Zangézour et du Karabagh, où les communautés arméniennes et musulmanes sont imbriquées, deviennent le théâtre d'affrontements sanglants. Andranik et ses hommes détruisent systématiquement les villages musulmans, refoulent brutalement les nomades tatars, installent à leur place les réfugiés arméniens et assurent, à terme, le rattachement du Zangézour à l'Arménie. En revanche, les Anglais qui, depuis la fin de la Grande Guerre, représentent la seule force militaire alliée en Transcaucasie, les empêchent de prendre le contrôle du Karabagh (décembre 1918). En mars 1919, refusant de déposer les armes, Andranik, ses espoirs effondrés, est contraint de quitter le Zangézour. Après une éprouvante traversée hivernale du Daralakiaz, il arrive avec sa division spéciale - désormais réduite à 1 350 hommes - dans la plaine de l'Ararat, et refuse d'être reçu en "héros national" à Yérévan où "gouvernent les traîtres qui ont abandonné sa patrie", l'Arménie turque, mais se rend auprès du catholicos. Il donne alors à ses fidèles l'ordre déchirant de dispersion, et quitte l'Arménie pour commencer un long périple qui le mènera de Constantinople aux Etats-Unis, où il meurt en 1927, sans avoir cessé de prêcher la libération de l'Arménie turque. Les autorités soviétiques ayant refusé d'accueillir sa dépouille en Arménie, le corps embaumé du tragique héros est transféré à Paris et déposé au cimetière du Père-Lachaise (1928). Depuis le début de l'an 2000, Andranik repose enfin à Yérévan."

Les premiers pas de la République d'Arménie :

"La question du transfert du gouvernement arménien de Tiflis à Yérévan, vivement souhaitée par les Géorgiens, fait l'objet de discussions passionnées. Finalement, après un voyage interminable, le gouvernement et le Conseil national arrivent à Yérévan, le 19 juillet. Dans le discours qu'il prononça le soir même, Katchaznouni précise : "Notre Etat n'est pas l'Etat arménien, mais la République d'Arménie. cela signifie que notre Etat est la patrie de chacun des peuples qui l'habitent." Il falalit maintenant, selon ses propres termes, "tirer l'Etat du néant" et tenter de structurer de "chaos informe".

On décida de tripler les membres du Conseil national et on y invita les représentants des Yézidis, des Tatars et des Russes, pour en faire la première assemblée législative, qui prit le nom de Khorhourd (18 dachnka, 6 SR, 6 SD, 6 populistes, 2 sans-parti, 6 musulmans, 1 Russe, 1 Yézidi)."

Souvenir amusant des Croisades, où l'on met la République sous le signe d'une dynastie poitevine, qui régna sur Jérusalem, Chypre et la Cilicie, et descendant par ailleurs de la fée Mélusine...



Armes de Léon VI, dernier roi d'Arménie, né en Cilicie en 1342, mort à Paris en 1393

"Les couleurs de ce drapeau - rouge, bleu orange - auraient été choisies par référence aux couleurs des armes - azur, rouge, or -de la maison des Lusignan, la dernière famille régnante du royaume de Cilicie. C'est sans doute une tentative d'effacer l'éclipse, durant six siècles, de l'Etat arménien. Béni par l'Eglise, ce signe métaphorique de ralliement, confondu souvent à tort avec le drapeau de la FRA, allait diviser pendant soixante-dix ans la Diaspora, avant de devenir, en 1991, le drapeau de la troisième République d'Arménie."



Le sort de Kars ou quand les sikhs s'en mêlent :

"Une clause de l'armistice de Moudros autorisait l'armée ottomane à prendre ses quartiers d'hiver à Kars. Pour empêcher le retour des 60 000 réfugiés arméniens massés sans nourriture et sans feu à Alexandropol, et surtout pour empêcher l'incorporation de la province de Kars à l'Arménie, les musulmans (Tatars chiites ou sunnites et Kurdes) majoritaires face aux Arméniens, qui représentaient en 1914 environ 30% de la population, jetèrent, avec l'aide des officiers ottomans et des ittihadistes, les bases d'une choura ("conseil") : le Conseil national musulman. En janvier 1919, ce fut une véritable levée de boucliers des musulmans contre ces Anglais qui prétendaient les assujettir à un "pouvoir arménien" dans un pays "où il n'y avait plus un seul Arménien" ! Finalement, après plusieurs volte-face, le nouveau haut-commissaire anglais, le général Thomson, vint à bout de la résistance de la choura. A la mi-avril 1919, 1 500 sikhs et Gurkhas de l'armée britannique entrèrent à Kars, permettant le retour des réfugiés et l'arrivée des troupes arméniennes. Le 27 avril 1919, les Anglais transférèrent tous les pouvoirs aux Arméniens qui reçurent, outre la province de Kars, la ville d'Ardahan, le nord de la province du même nom étant attribué à la Géorgie."

Dernier volet, l'arménisation de l'Arménie sous Ter Minassian :

"La concentration des pouvoirs entre ses mains, de mai à novembre 1920, donna à ce haut responsable de la FRA les moyens de sa politique : imposer l'autorité du gouvernement arménien sur le territoire de la République en réduisant de force les foyers de soulèvement turco-tatars. Rompant avec le légalisme d'un Khatissian, il lança ses détachements de
fédaï sur les districts musulmans de la plaine de l'Ararat qu'il appelait le "Tatarstan" et "encouragea" brutalement au départ les musulmans de Zanguibazar (entre Yérévan et Edjmiatzin),
les Kurdes d'Oltil et les Tatars de Védibazar de la basse vallée de l'Araks, obligeant du même coup les khans de Nakhidjéwan à se soumettre. Son objectif était de donner une terre aux réfugiés et d'assurer une "patrie aux Arméniens" au moment où les nuées s'accumulaient sur l'Arménie. Il est difficile d'évaluer le coût humain de ces opérations et de préciser le nombre du musulmans qui gagnèrent l'Azerbaïdjan. Le premier recensement soviétique de l'Arménie confirme ces événements. En 1926, sur 881 000 habitants, 84, 4% sont Arméniens, 10,1 % Azéris et 0, 3 % Kurdes. L'arménisation de l'Arménie fut l'un des acquis durables de la première République indépendante. La "territorialisation" fut la condition de la création d'un Etat arménien au XX° siècle, et de la transformation de la communauté religieuse arménienne en une société politique."

XIV. La République d'Arménie (1918-1920).

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