Coup de projo sur : musique des Kurdes d'Iran et la collection Christensen
En 1962, Dieter et Nerthus Christensen collectent des enregistrements de musique au Kurdistan d'Iran, lors d'une mission d'ethnomusicologie et d'anthropologie, sponsorisée, entre autre, par le musée d'anthropologie et l'institut d'ethnomusicologie de Berlin. Les enregistrements originaux sont aujourd'hui déposés aux archives de l'univeristé de l'Indiana (département musique traditionnelle). Comme pour la musique des Kurdes d'Irak, le Smithsonian Global Sound project les réédite.
- Pishderamedî Mahor, le premier morceau, fut enregistré à Mahabad, le 23 juillet 1962, avec Asker Tarzan, de Meraqe, au tar et Mohammed Hatemî, de Mahabad, au dimbek. Ces deux musiciens étaient des professionnels qui jouaient pour la radio locale. Le pishdemared est une introduction aux pièces musicales jouées sur le mode indiqué (ici Mahôr).
- Xanê Keyqa et son Pashbend ont été enregistrés le 24 juillet 1962 à Mahabad. Le chanteur est Hadji Hemedersh, du village d'Indigars, de la tribu Debokri au nord de Mahabad. La pochette nous renseigne sur ce dengbêj (ou goranîbêj en parler local). Âgé de 70 ans au moment de l'enregistrement, il restait un fameux conteur, bien que son élocution pâtisse alors de la perte de plusieurs de ses dents ! Ce beyt qu'il interprète relate les exploits d'un vaillant Kurde appelé Xanê Keyqa. La chanson, répandue dans la région occidentale des Mokrî, peut dater du 19° siècle ou d'un peu plus tôt. Après la récitation du poème épique (beyt) le pashbend (c'est-à-dire la suite) est un chant d'amour.
Texte : Viens Khan, Ô Khan, toi le plus élevé, le sublime, toi dont l'autorité était assez grande pour laisser reposer une assiette sur le tranchant d'une faux,- ta mère supportera ton malheureux destin-, quand tu montas ton cheval brun aux jambes noires pour prendre la route de Herîr, Khoy et Salmas : "Je jure par Dieu et le Prophète que je prendrai une lance de 18 qed, et n'épargnerai aucun hommes des Kamênî, Khoy et Bilbas, dussent-ils se cacher au plus inaccessible endroit. Viens, Khan ! Viens Khan, toi mon Khan du diwan ! Il est parti avec son armée à Shno et les a dispersés à Kewneladjan, en ce jour - ta mère supportera ton malheureux destin - quand tu chargeais tous tes biens sur le dos des buffles et renvendiquais Kermanshan, quand tu as conquis pour moi la plus haute place du Diwan et a laissé la dernière place aux lâches, viens Khan...
Pashbend : C'est le printemps, comme tristement chante le rossignol ! Combien de temps encore me lamenterai-je de mon amour pour toi ? Ô ma fleur, mon bouton de rose, tu as affermi mon coeur, tu as affermi mon coeur. Mes entrailles brûlent du désir de te revoir, j'ai perdu l'esprit et le sens et la raison. Mon âme pour toi se sacrifie, mon coeur est tien, je n'ai rien gardé pour moi, sois fidèle ! Mes entrailles brûlent du désir de te revoir, j'ai perdu esprit, sens et raison, je suis emplis de douleur, mon coeur s'est changé en kebab. Je suis ivre, sans avoir bu ni bière ni vin.
- Shor Mehmûd et Xatû Merzêngan : Enregistré à Hadjiabad le 26 juillet 1962. Récit et chant par Shêr Alî, un goranîbêj-paysan du village de Hadjiabad, près de Miandoah. Il est mentionné que Shêr Alî en plus de chanter et de réciter, mime l'histoire de la tête et des mains.
Cette histoire est connue sous le nom de Pirdewan (le gardien du pont). Shêr Alî l'avait apprise des années auparavant d'un derviche nommé Mehmûd. De l'avis des Kurdes qui étaient dans l'assemblée, c'est une histoire très ancienne, que peu connaissaient encore. Son récit se passe dans la région de Mangur, au sud-est de Mahabad.
Xaleresh était un chef de tribu qui devait fournir chaque année au Shah d'Iran 7000 cavaliers. Une année, un seul homme manquait. Le Shah lui proposa alors de s'acquitter de son tribut soit en trouvant un cavalier, soit en épousant sa fille, la belle Xatû Merzêngan.
Alors que Xaleresh se morfondait, son neveu, le fils de son frère, qui s'appelait Shor Mehmûd, quand il apprit le marché, proposa à son oncle de devenir le 7000ème cavalier manquant contre la main de sa cousine, la belle Xatû Merzêngan.
Xaleresh accepta et Shor Mehmûd partit avec ses 6999 cavaliers pour combattre dans l'armée du Shah. Il combattit sept ans à Tepewlat Turkman et sept autres années à Khams-ul-Mehreban. Quand il voulut rentrer chez lui, le voyage de retour lui prit un an. Naturellement, en bon Kurde, Shor Mehmûd ne songea pas à donner régulièrement de ses nouvelles à sa promise, si bien qu'au bout de 15 ans, Xatû Merzêngan n'avait plus beaucoup d'espoir de le revoir.
Un jour qu'elle est assise au bord de la rivière avec ses suivates, un groupe de cavaliers approche. Les femmes autour lui disent qu'il s'agit de Shor Mehmud, mais elle refuse d'y croire tout d'abord. Elle s'adresse à lui au moyen d'une chanson, il lui répond de même et enfin elle le reconnaît.
Mais voilà l'oncle, Xaleresh, refuse d'honorer sa promesse et de les marier. Shor Mehmûd, indigné, laisse alors trois choix à son oncle : soit il lui donne sa fille, soit il le combat ou quitte le pays avec les siens. Xaleresh fait semblant de réfléchir mais se prépare, avec ses homes, à partir secrètement pour Djewalereshan, dans la région de Gagesh. Mais Xatû Merzêngan, qui n'est au courant de rien, remarque les préparatifs du départ et questionne sa mère, qui l'instruit alors de la décision de son père. Xatû court alors réveiller son cousin, lui apprend que ce n'est pas le moment de dormir, que son père est en train de faire ses bagages avec les hommes de la tribu. "Va et persuade-les de rester contre un boisseau d'or que je leur offrirai s'ils acceptent."
Shor Mehmûd leur fait alors cette offre et les Kurdes lui répondent avec regret : "Shor Mehmûd nous t'aimons et voudrions te suivre. Mais ton oncle est rusé et nous a fait jurer sur le Coran que nous le suivrons jusqu'à Dejwalereshan. Comme nous ne pouvons rompre notre serment, voilà ce que nous ferons : nous le suivrons comme dit là-bas, resterons trois jours, et puis nous reviendrons et tu auras Xatû Merzêngan, de qui nous ne demandons pas d'argent ; nous ne voulons que votre bonheur."
Mais Shor Mehmûd est impatient et bouillant. Il galope jusqu'aux pâturages d'été des Haledinan et parle à leur chef, lui demandant des hommes pour reprendre sa fiancée. Le chef des Haledinan accepte mais lui demande un peu de temps pour rassembler ses cavaliers. Shor Mehmûd, très impatient, ne peut attendre et s'élance tout seul sur les traces de son oncle.
Xatû Merzêngan, qui a dû suivre son père dans les montagnes, fait, une nuit, un rêve, où elle voit Shor Mehmûd tomber d'un pont et se noyer. Or, le jour suivant ce rêve, la tribu franchit un pont et elle reconnait celui de son rêve. Terrifée, elle parle au gardien du pont, sans s'apercevoir que son père, caché dessous, écoute toute leur conversation.
Xatû Merzêngan dit au gardien qu'il verra sans doute venir un magnifique cavalier, avec une longue lance, et qu'il doit l'aider alors à franchir le pont. Le gardien promet. Mais quand Xatû retourne vers les siens, Xaleresh sort de sa cachette, et dit au gardien que le cavalier attendu est un homme mauvais, qui mettra la vie de tous en danger s'il lui laisse franchir ce pont. Xaleresh offre à l'homme 100 tomans et lui demande de jurer sur le Coran qu'il l'empêchera de franchir le pont et qu'il dira au cavalier ces paroles : qu'une grande tribu dont il ne sait le nom a passé le pont, qu'il y avait parmi eux une belle fille montée sur une mule blanche, que son nom était Xatû Merzêngan, et que la mule blanche s'est battue avec une mule noire, que Xatû est tombée du pont et s'est noyée. Le gardien jure sur le Coran de raconter à Shor Mehmûd cette histoire.
Quand Shor Mehmûd arrive et qu'il entend ce récit, de douleur, il descend de cheval, fait ses ablutions rituelles, prie, saute du pont et se noie en demandant pardon à Dieu.
Quand Xatû Merzêngan revient au pont, pour se renseigner, elle voit le cheval de Shor Mehmûd, sans son cavalier. Questionnant le gardien du pont, elle apprend toute l'histoire. Elle écrit alors une lettre racontant la vérité, qu'elle cache dans la selle du cheval de son cousin. Puis elle fait ses ablutions, prie, et prend le même chemin que Shor Mehmûd.
Peu de temps après, les cavaliers promis par la tribu de Haledinan arrivent au pont, voit le cheval et trouvent la lettre. Furieux, ils tuent le gardien, attaquent la tribu de Xaleresh .
Un peu plus tard, la mère de Shor Mehmûd vint sur le pont et laissa tomber dans l'eau une fleur, en chantant l'épopée qui a ainsi survécu dans la bouche et la mémoire des hommes.
- Qazelê Nalî : Nalî est un poète mystique soranî, ici chanté par un derviche, Hemebor, âgé de 33 ans, de Yekshawa. Il appartenait à une tariqat près de Saqiz mais vivait aussi à Yekshawa, qui appartenait à la fameuse famille de Baba Miri Mokkri. Il s'accompagne lui-même au def.
Texte :
Ay, ay, ay, grand Dieu, Seigneur des mystères
Couvert de soie précieuse, prince des terres brûlantes
Oh toi le sceau de notre religion, toi dont la stature est d'un jeune pin
Qui a la beauté de la quatorzième lune, - O Messager de Dieu je me repens -
Toi qui est environné et protégé de nuages.
Ay, ay, ay,
Il n'est pas comme Darius, il n 'est pas comme Alexandre,
Non, il n'a pas la pompe de Salomon
Il est le prince des volées d'Anges - O messager de Dieu je me repens-
Il a apposé le sceau de notre religion,
Il n'est pas le Jésus des chrétiens, il n'est pas Moïse de la montagne de Tûr,
Oui, il est le roi d'Esra, oui il a clamé de la place du mihrab
Je me prosterne sur ton seuil,
Tout-puissant je me sacrifie pour toi,
Il est le désir de mon coeur, celui de me perdre en Toi.
Je me prosterne sur Ton seuil, Dieu je serai ton hôte
Je me sacrifie pour Toi.
Debout ! Voici Mohammed, par Dieu !
Il a toqué à la porte et l'univers a tremblé.
Ta dignité est ronde et immense, Seigneur des Seigneurs,
Ton nom est Mohammed Ami, ton titre est Prophète.
Oh par ton doux visage ô messager, mon oeil droit est la Résurrection.
Maintenant je suis démuni, je serai ton sacrifice,
Aujourd'hui est un jour précieux !"
- Leyli çûye humam a été enregistré à Bawale, le 25 septembre 1962. Le chanteur est Hasan, 32 ans, un paysan de Bawale, qui s'accompagne au daîre. Une jeune fille, Leyla, va au hammam. Elle ordonne d'abord à sa servante de prendre tous les objets nécessaires à sa toilette. Puis elle entre au hammam qui, de sombre qu'il était habituellement, s'illumine comme un clair de lune par la beauté de Leyla. Puis on nous détaille la vêture de la jeune fille au fur et à mesure qu'elle se dévêt. Un strip tease en chanson, quoi.
Il est mentionné que ce type de chant, accompagné au dâire, est très populaire à Kermanshan et Kulyai, et que, contrairement aux autres formes de chants, il est interprété sans déchoir par des hommes ayant un certain rang nobiliaire, "lors des longues soirées d'hiver où les tribaux kurdes boivent du "brandy" produit par les juifs du coin et fument de l'opium en chantant et écoutant ce type de musique, s'échauffant ainsi les sens de toutes les façons.
Commentaires
Enregistrer un commentaire