SHABAKS ET FAYLIS : DES KURDES DOUBLEMENT PERSECUTES
Un reportage de l’hebdomadaire kurde The Kurdish Globe attire l’attention sur la situation alarmante des Shabaks, ce groupe religieux kurde issu du chiisme comme les Alévis de Turquie, mais ayant développé, comme leurs cousins du nord, un culte original très éloigné du chiisme duodécimain des Irakiens. Moins connus et moins nombreux que les Yézidis, les Shabaks sont stigmatisés comme kurdes et comme « chiites ». Ils sont principalement localisés dans la province de Mossoul, et sont une cible privilégiée d’al-Qaïda. Ainsi le mouvement intitulé « Etat islamique en Irak » a récemment distribué des tracts dans la province, ordonnant aux Shabaks de quitter la région sous peine de connaître un « sort incertain ».
L’un d‘eux, s’exprimant sous couvert d’anonymat au Kurdish Globe a expliqué que sa communauté était prise entre deux feux dans la région : en tant que Kurdes, ils sont visés par les terroristes nationalistes et en tant que Shabaks, par les sunnites (majoritaires à Mossoul). Lui-même déclare avoir quitté la province il y a trois ans, en raison des attaques incessantes des insurgés contre son village, situé à seulement 15 km de Mossoul. Ce village s’était déjà rempli de familles shabaks ayant quitté la ville sous la menace : « Je pense que le motif principal qui se cache derrière cette déclaration est la volonté des partis islamistes sunnites de contrôler les zones habitées par les Shabaks, puisqu’ils sont kurdes et chiites. Nous demandons à Bagdad de trouver une solution à ces attaques. »
Selon un rapport émanant de la communauté shabak elle-même, plus d’un millier de personnes ont fui la province de Mossoul depuis 2004, et notamment des villages de Darwish, Bazawia, Kukjli, Khazna, et Fathlia, devant l’escalade de la violence.
Hanin Qado, président du bureau des minorités en Irak et membre du Parlement irakien dans le groupe de l’Alliance unie des chiites, mené par Abdul-Aziz al-Hakim, a demandé qu’une protection des minorités soit rapidement mise en place de la part de l’Etat irakien : « Ces menaces ont pour but de semer la discorde entre les composantes de l’Irak et à chasser (les Shabaks) hors de Mossoul. »
De son côté, Khasro Goran, un Kurde adjoint du gouverneur de Mossoul, explique que ce n’est pas la première fois, depuis 2004, que des extrémistes et des insurgés menacent les Shabaks. Selon lui, la principale raison en est qu’ils se considèrent comme kurdes et non arabes.
Des délégations de cette communauté se sont ainsi rendues plusieurs fois dans la Région du Kurdistan et ont demandé au gouvernement d’Erbil son aide. En attendant, ils attendent avec impatience l’application de l’article 140 de la constitution irakienne, qui leur permettra de se prononcer, par référendum, pour le rattachement de leur région à la Région du Kurdistan.
Les Shabaks sont estimés à 40 ou 60 000. Leur langue, le shabaki, est parfois reliée au dialecte kurde gorani, et comporte de nombreux emprunts au turc, à l’arabe et au persan. Ils sont répartis dans 35 villages à l’est de Mossoul.
Le nord et l’est de Mossoul, ainsi que la région de Ninive, comprend de nombreuses communautés non arabes et non musulmanes, qui sont particulièrement en but aux attaques des anciens baathistes et des sunnites extrémistes. En février dernier, l’enlèvement et la mort de l’archevêque chaldéen de Mossoul, Monseigneur Faraj Rahou, avait ému toute la communauté chrétienne d’Irak.
Autre groupe kurde durement persécuté et décimé en raison de son double statut ethnique et religieux, un nombre important de Faylis avait fui en Iran. Les Kurdes Faylis, vivent depuis des siècles sur la chaîne du Zagros, entre la frontière d’Irak et d’Iran. Contrairement à la majorité des Kurdes musulmans, ils appartiennent au chiisme duodécimain. Pour cette raison, accusés d’être « iraniens » par Saddam Hussein, lors de la guerre Iran-Irak, ils ont été déchus de leur nationalité et chassés du pays, ou bien déportés et exécutés en masse secrètement. Les réfugiés qui ont pu gagner l’Iran (plusieurs centaines de milliers dans les provinces de l’Ilam et d’Ahwaz) sont ainsi officiellement « apatrides » et vivent dans des camps comme celui de Jahrom. Seuls 760 d’entre eux, dans la province d’Ilam a pu avoir la nationalité iranienne, après une longue et difficile procédure. Beaucoup sont revenus en Irak après la chute de Saddam, et le nombre des Faylis qui a choisi, pour le moment, de rester en Iran tourne autour de 7000. Mais le responsable du camp de Jahrom, Gholamneza Ghasbarian, explique leur dilemme : « Quand ils reviennent en Irak, les gens disent « vous êtes Iraniens ». Ici, les gens disent qu’ils sont Irakiens et doivent repartir. En Irak, ils rencontrent beaucoup de problèmes – en premier lieu l’insécurité. Et puis ils sont exilés depuis si longtemps, ils n’ont plus de contacts là-bas, ni emploi ni maison. »
En 2005, la nouvelle constitution irakienne a stipulé que les Irakiens privés de leur nationalité pouvaient faire une demande afin de la récupérer. Cela serait une solution légale pour les Kurdes faylis, mais ils ne semblent guère optimistes : « Nous avons survécu au régime de Saddam, quand nous étions jetés dans des bassins d’acide. « Mais vous ne pouvez séparer le passé du présent. Nous n’avons pas confiance en les gouvernements – l’ancien ou le nouveau. Nous ne pouvons pas retourner là-bas, pour des raisons de sécurité, politiques, et religieuses. »
Kurt Faili se plaint ainsi que des amis qui sont retournés en Irak ont reçu des cartes d’identité d’une couleur différente des autres cartes irakiennes – une source possible de discrimination. Dans certains gouvernorats irakiens, comme ceux de Missan, Wassit et Karbala, la procédure pour recouvrer sa nationalité s’est avérée longue et difficile.
Sans papiers officiels, les réfugiés qui reviennent en Irak ne peuvent avoir accès aux services de santé, à l’éducation et à l’emploi. Leur liberté de mouvement est aussi limitée. « Ce que nous souhaitons est la sécurité et la stabilité pour nos enfants. Des ambassades étrangères sont déjà venues ici en promettant de l’aide. Mais c’était il y a 28 ans et nous sommes toujours ici. (source unhcr org).
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