UNE NOUVELLE LOI SUR LES LANGUES « NON TURQUES » DANS L’AUDIOVISUEL


Le 29 avril, le Parlement turc a adopté une loi autorisant la radio et la télévision nationale turque (TRT) à diffuser des programmes en langues « autres que le turc ». Le Directeur général de la TRT, Ibrahim Şahin, a confirmé qu’il prévoyait de diffuser des émissions en kurde, arabe et persan dans un premier temps.

En 2004, la TRT avait déjà diffusé 30 minutes d’émissions en kurde par semaine, en plus de laisser la place à d’autres langues minoritaires, répondant aux demandes répétées de l’Union européenne, malgré l’hostilité de l’armée et d’une partie de la classe politique turque, qui y voient là un encouragement au « séparatisme ».

L’adoption de cette loi a provoqué diverses réactions en Turquie. Hasip Kaplan, le représentant du parti pro-kurde DTP pour Şirnak, commente cette décision : « C’est un vandalisme culturel d’interdire à 20 millions de Kurdes de parler leur langue maternelle. Ces 20 millions de citoyens kurdes, qui font leur service militaire et paient leurs impôts, ont le droit d’attendre de la TRT des programmes en langue kurde. Notre pays ne va pas se diviser parce que l’on chantera des airs folkloriques ou qu’on lira des poèmes. Au contraire, cela renforcera notre fraternité. »

Certains intellectuels kurdes estiment que cela améliorera le moral des Kurdes en Turquie. Ainsi, Tarik Ziya Ekinci voit ces émissions en langue kurde comme un facteur qui pourra contribuer grandement à l’instauration de la paix sociale en Turquie : « C’est un pas important, et je crois que cela aidera à ce que le sang ne coule plus et à faire taire les armes. » Şerafettin Elçi, le dirigeant du parti-pro-kurde KADEP pense lui aussi que cela peut donner aux citoyens kurdes le sentiment que l’Etat se soucie d’eux, tout en apportant quelques nuances : « Jusqu’à présent, la politique officielle a été le déni de l’existence d’une langue kurde. Cela signifie le rejet et le déni des Kurdes. Cette loi envoie le message qu’une telle politique est abandonnée. De ce point de vue, c’est assez significatif et important, en termes d’acceptation officielle de la langue kurde. Cependant, si les programmes suivent la ligne de la politique étatique, ils n’auront pas grand sens pour les Kurdes. Il serait plus significatif d’accorder une plus grande liberté aux chaînes privées, qui répondent mieux aux attentes populaires. »

C’est à Diyarbakir que Recep Tayip Erdoğan, a annoncé ces programmes en langue kurde, en même temps que la reprise du plan GAP. Le Premier ministre turc a affirmé sa volonté d’améliorer la démocratie et la qualité de vie en Turquie. Mais Diren Keser, directeur de production pour la chaîne kurde GünTV, par ailleurs cité dans son discours par le Premier ministre, se montre réservé, en rappelant que Gün TV n’émet pas, pour le moment, dans des conditions très faciles, et que les programmes de radio et de télévision en langues autres que le turc, déjà permis depuis le 25 janvier 2004 se sont, dans les faits, heurtés à beaucoup de restrictions. Diren Keser souligne que Tayyip Erdogan a, quatre mois auparavant, tenu les mêmes propos dans un discours, sans que cela ait changé quoi que ce soit à la situation.

Gün TV émet 4 heures par semaines, soit 45 minutes par jour. Les émissions d’apprentissage de la langue kurde et les programmes destinés aux enfants sont interdits. Ils ne peuvent diffuser que des informations, de la musique et des émissions portant sur la culture traditionnelle. Tous les programmes diffusés en kurde doivent être obligatoirement sous-titrés.

Sur la question de la langue kurde dans l’espace public turc, Me SezginTanrikulu s’était heurté vivement et publiquement avec le Premier ministre, lors d’une rencontre entre ce dernier et 17 ONG et représentants de la société civile. Recep Tayyip Erdogan avait déclaré que « le traité de Lausanne ne prévoyait pas l’usage public du kurde » (voir Bulletin de l’IKP d’avril 2008). Sezgin Tanrikulu, dans une interview donné au journal Zaman, revient sur cette question du droit à l’éducation dans sa langue maternelle, en précisant qu’il s’agit, en principe, d’une éducation à tous les niveaux de scolarité, dans cette langue mais qu’en l’état actuel des choses, la Turquie s’avère même incapable de permettre l’apprentissage de la langue kurde à ses citoyens : « La Turquie a ouvert la voie pour l'apprentissage des langues maternelles, mais seulement dans des cours privés. Beaucoup de ces cours ont été fermés, d'ailleurs, en raison des règlements trop restrictifs. Ils étaient seulement ouverts aux gens de plus de 15 ans, et trouver des professeurs était très difficile. L'apprentissage d'une langue maternelle doit se faire dans toutes les écoles publiques. Il doit y avoir des cours facultatifs dans les écoles publiques. Nous demandons aussi l'ouverture de départements de kurde dans les instituts et les universités. De plus, tous les obstacles et restrictions à l'émission de programmes en langues autres que le turc doivent être levés. En ce qui concerne les programmes, il n'y a pas d'obstacles légaux, en vérité. La loi indique que ce type de programme est permis. Mais les réglementations du Conseil suprême de la radio et de la télévision (RTÜK) indiquent que cela ne peut être fait que par la TRT. Nous avons porté l'affaire devant le Conseil d'Etat concernant cette règle, mais notre dossier a été rejeté sur le motif que nous n'avions pas le droit de déposer une telle plainte. » (Zaman).

Enfin des politiciens kurdes, dont Osman Baydemir, maire de Diyarbakir, ont boycotté le discours tenu par Recep Tayyip Erdogan à Diyarbakir, dénonçant son refus de reconnaître les Kurdes comme une minorité en Turquie, avec des mesures de protection culturelle et une forme d’autonomie politique.

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