Où l'on reparle du Verdoyant


Et pour finir, last but not least, où il est fait mention de Khidir, mon prophète fétiche.

"Pour accomplir l'union de l'Âme et de l'Intelligence, il faut imiter Khezr. Le roman, pris dans son entier, a pour sens ésotérique cette simple injonction : se faire le disciple de Khezr.

Ce personnage, Khadir ou Khezr, est le guide initiatique de Moïse, selon une brève séquence du Coran (sourate La Caverne, XVIII, 59-81). Par l'exemple, il enseigne au prophète la vérité intérieure de la révélation littérale, secret dont il est le dépositaire. C'est pourquoi dans l'islam shî'ite, Khezr sera l'homologue de la personne de l'Imâm éternel, qui possède la science du sens caché, tandis que Moïse représentera la mission éternelle de la prophétie, la révélation du sens apparent. Le prophète possédera la double science de l'apparent et du caché en recevant la lumière dévolue à Khezr. C'est aussi par Khezr que le pèlerin intérieur passe par la religion de l'obéissance légale à la vérité ésotérique de cette loi. Khezr se trouve également identifié à Elie. Dans la perspective du soufisme, que nous retrouvons ici chez Nezâmi, il est le maître spirituel invisible, qui parle au coeur, l'organe par excellence de la révélation authentique. Il n'est point tel maître singulier à qui il faudrait offrir une obédience toute extérieure, mais, selon Henry Corbin, "Khezr est le maître de tous les sans-maître parce qu'il montre à tous ceux dont il est le maître comment être ce qu'il est lui-même : celui qui atteint la Source de la Vie... Il conduit chacun à sa propre théophanie."

Prendre Khezr pour guide, c'est éprouver la liberté intérieure suprême, répondre à la liberté infinie de l'impératif divin, en une coalescence où l'on ne contemple pas seulement la théophanie, mais où l'on se rend apte à devenir le miroir épiphanique lui-même, quand la théophanie se déploie dans le Soi. La médiation de ce devenir théophanique est Khezr. C'est pourquoi suivre Khezr, c'est devenir Khezr, selon l'annonce du Sage au disciple, telle que la rapporte Sohravardi dans le Récit de l'archange empourpré : "Si tu es Khezr, à travers la montagne de Qâf, sans peine, toi aussi, tu peux passer." Nous pouvons alors comprendre où se situe la scène utlime, poignante, du prince Bahrâm : la terre se fend, étroitement, une grotte s'ouvre en ce lieu que désigne, chez Sohravardi comme chez tant d'autres mystiques, la montagne de Qâf : la limite géographique des sept climats, le seuil de l'outre-monde. Ayant pérégriné par les sept climats et les sept couleurs, selon chaque nuit passée en compagnie de chaque épiphanie, chaque princesse dans l'épopée d'amour, le prince abandonne les sept climats et leur miroir féminin pour devenir Khezr, celui qui n'a cessé de le guider intérieurement et assumer la théophanie suprême."


"Postface aux Sept portraits", Christian Jambet.

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