De quelques dentistes français pilleurs de tombeaux ottomans

Après les moines syriaques qui auraient volé en 397 une mosquée aux musulmans pour en faire un monastère, voilà qu'une autre mosquée doit aussi ramer pour récupérer ses carreaux.

À l'occasion de l'ouverture du nouveau département d'art islamique du Louvre, le ministre turc de la Culture et du Tourisme, Ertuğrul Günay, a en effet été en mesure d'affirmer que 'tous les carreaux de céramique' montrés dans ce musée repère de fieffés recéleurs, 'appartiennent à la Turquie', et ce après avoir chargé deux agents en mission de 'prendre subrepticement' des photos des objets volés. Pourquoi 'subrepticement', mystère, parce qu'aux dernières nouvelles, il n'est pas interdit de prendre des photos au Louvre. Imaginez la scène : Dupont et Dupond (version fez sur la tête, pour changer du melon) photographiant 'subrepticement' les panneaux, en guettant le fourbe conservateur qui pourrait les surprendre, le tout au milieu de 50 Japonais qui mitraillent au Nikon… 

Enfin, ils ont réussi à obtenir leurs clichés sans se faire kidnapper ni par les gardiens ni par Belphégor, s'il passait par là. Ayant ramené les 'preuves' au ministre, ce dernier, 'après analyse" a pu 'déterminer que des carreaux provenaient de la mosquée Piyalepaşa', datant de la fin du XVI siècle, d'autres des tombeaux de Selim II, Murat III, d'Eyüp Sulan et de la bibliothèque Mahmud I. C'est à se dire que si on enlève des salles tout ce que la France a piqué aux Ottomans, il ne restera plus grand chose, hormis le Plat au porte-étendard, peut-être (et c'est fort dommage car celui-là ils pouvaient le récupérer et se le garder…).

Le musée du Louvre, comme tout voleur malhonnête pris sur le fait, nie, bien sûr, que les carreaux proviennent de Piyalepaşa Cami, prétendant, dans son catalogue, que les carreaux ont été apportés par Germain Bapst, qui ne les a pas du tout détachés à coups de canif des murs de la mosquée, car il s'est avéré, lors de la dernière restauration de Piyalepaşa, que la pièce qui pouvait contenir ces panneaux n'existait pas, et que donc, cette provenance n'était que "légende". 

N'importe quoi, a rétorqué Ertuğrul Bey, je vois bien, moi, que ce sont les carreaux de la Piyalepaşa. Comment je le sais ? Parce que je suis ministre de la Culture et qu'on ne me la fait pas, hé ho !" Œil de lynx, profiling de criminologie, et tout ça…

Et donc, partant de son intime certitude et conviction, le ministre a décidé de lancer une 'étude scientifique' sur cette question, en attendant un mandat d'arrêt et de perquisition, qui sait… Déjà, la Turquie a demandé au même musée de leur retourner un panneau qui provient de la tombe de Selim III, afin de le 'rendre' au musée de Sainte-Sophie.

L'article de Hürriyet se termine sur la liste de tout ce que ces Français sans gêne (gaffe, ils ont les noms !) ont volé à la Sublime Porte :

– Le sieur Albert Sorlin Dorigny, dentiste de son état, pour les carreaux du mausolée de Selim III et de celui de Murat III, ainsi que de la bibliothèque Mahmud I. Amené à travailler à la restauration de la bibliothèque sus-mentionnée, entre 1894 et 1898, il avait, paraît-il, la sale manie de remplir ses poches de tous les carreaux qu'il trouvait sous ses pieds.

– Le sieur Jean Bari, lui aussi dentiste de son état (à croire que c'est une manie dans la profession) se serait, lui, "servi" sur la tombe d'Eyyüp Sultan entre 1919 et 1920.

– Et Germain Bapst, donc, qui n'était pas dentiste mais ancien joailler, et qui a fini par embrasser la carrière d'historien, d'archéologue et de tire-laine des mosquées.

Cela dit, s'il fallait jouer au jeu des restitutions d'objets volés au cours de l'histoire, cela pourrait donner lieu à d'amusants inventaires, auprès desquels les batailles de familles autour des buffets et confituriers d'aïeux ne seraient que doux babils. Puisque nous n'avons pas pas le mauvais goût facile, nous ne ferons aucune allusion à une restitution de biens d'Arméniens, de Syriaques et de Grecs quelque peu empruntés entre 1895 et 1955, car je suis sûre que le ministre Ertugrul Bey, dont l'œil de la vigilance acérée est bien aiguisé, comme nous avons vu, peut nous assurer qu'il n'y a jamais eu de telles gens dans le pays. C'est vrai, quoi, à part des Turcs, que peut-on s'attendre à trouver en Turquie ?

Mais si l'on prend le temps de flâner parmi les vitrines de Topkapı, on peut se faire plaisir en photographiant (subrepticement, bien sûr) quelques pièces intéressantes que l'Iran, par exemple,  pourrait réclamer : ainsi le trésor des Safavides, ramené dans les bagues ottomanes après la prise de Tabriz, en 1514 ; ou celui du sultan mamelouk al-Ghuri, saisi par Selim Ier, en 1516, après la bataille de Marj Dabiq, autour duquel l'Égypte et la Syrie (surtout cette dernière qui a besoin de se dérider quelque peu, en ce moment) pourraient tenter de départager ce qui leur revient mutuellement, puisque le mamelouk, qui avait planqué ses sous et ses bas de laine dans la Citadelle d'Alep, était bel et bien souverain d'Égypte.

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