IRAK : PERIODE POST-ELECTORALE DIFFICILE
Les tensions entre le gouvernement de la Région du Kurdistan et celui de Bagdad ne se sont pas apaisées, loin de là, après les élections des conseils provinciaux. De plus, la question de Kirkouk reste toujours en suspens, dans l’attente incertaine d’élections reportées indéfiniment, voire annulées, et la publication d’un rapport de l’ONU qui doit proposer des solutions alternatives au référendum prévu par la constitution irakienne. Les solutions les plus probables qu’a à proposer l’ONU sont de donner un statut « spécial » à Kirkouk, pour une durée de 10 ans. Ce statut prévoirait un « haut degré d’autonomie » à la province, mais sans lui donner le droit de rejoindre la Région du Kurdistan, et son financement dépendrait toujours du gouvernement central. Les Kurdes n’y voient ainsi qu’une façon de reporter à une date hypothétique la question de Kirkouk et d’évincer l’influence et la présence des forces de sécurité kurdes dans la région, ce qui rentre précisément dans les ambitions du Premier ministre irakien actuel, le chiite Nouri al-Maliki. Ainsi, le 26 mars dernier, des troupes de la 12ème division de l’armée irakienne, majoritairement arabes, se sont déployées sur les routes autour de la capitale provinciale, cherchant, selon les Peshmergas et les services de renseignements kurdes, à les contraindre à abandonner la ville. La réaction de Massoud Barzani ne s’était pas faire attendre et dès le 30 mars, il réclamait une fois de plus la tenue du référendum, tandis qu’une délégation de leaders kurdes, venus de Kirkouk, appuyaient cette demande. Le président de l’Irak lui-même, le Kurde Jalal Talabani avait déclaré, le 1er avril, que l’article 140 faisait partie de la constitution et que « personne n’y pouvait rien changer. »
Dans les provinces de Ninive, Sindjar et de la Diyala, où les élections ont pu se dérouler, le climat politique s’est également envenimé. Ces districts ayant massivement voté pour la Fraternité kurde alliée à des partis chrétiens et yézidis, beaucoup considèrent que les résultats de ce scrutin valent pour un référendum. Ainsi, des centaines de Kurdes, habitant surtout les villes de Sheikhan et de Sindjar (peuplées majoritairement de yézidis mais aussi de chrétiens et de Kurdes musulmans) ont défilé dans les rues de Mossoul, en réclamant leur rattachement à la Région du Kurdistan. La liste nationaliste arabe l’ayant emporté à Mossoul, après, il faut le dire, une épuration ethnique et religieuse qui, en quelques années, a vidé la ville de la majeure partie de ses Kurdes et de ses chrétiens, les composantes non arabes et non musulmanes de la province se plaignent à présent d’une sous-représentation dans l’administration du conseil provincial, dominé par les nationalistes et des partis islamistes qui auraient accaparé les fonctions dirigeantes. Avant les élections de 2009, les Kurdes avaient largement dominé les conseils provinciaux, en raison du boycott sunnite de 2005. Mais depuis le 31 janvier, la liste Al-Hadba détient 19 sièges sur 37 au conseil provincial de Ninive-Mossoul, contre 12 pour la liste kurde Fraternité.
« Nous venons en seconde position pour le nombre des sièges et nous méritons d’occuper des fonctions dans l’exécutif, explique Darman Khatari, le porte-parole de la liste Fraternité. Mais les élus du parti vainqueur al-Hadba ont rejeté ces demandes, qu’ils ont qualifiées de « déraisonnables. » Aussi, plusieurs responsables politiques kurdes locaux ont-ils appelé au boycott du conseil, en se retirant à l’issue de la première session. Hissou Narmo, le maire du district de Sheikhan, a déclaré à la presse kurde d’Erbil : « Nous, les représentants des trois districts, avons décidé de boycotter le conseil provincial de Ninive ; cela sera suivi d’autres mesures, dont la soumission d’un mémorandum aux trois membres du conseil de présidence à Bagdad. Si nos demandes ne sont pas entendues, nous soumettrons un mémorandum au parlement kurde (d’Erbil) demandant notre annexion par la Région kurde. » Quelques heures après cette annonce, Qassim Dakheel, le maire de Sindjar, district qui compte environ 70% de yézidis, a déclaré à l’AFP : « La liste Al-Hadhba (nationaliste arabe) a pris toutes les positions administratives importantes et écarté le reste des listes, surtout celle de la Fraternité (kurde). Ce qui se passe est une injustice et une marginalisation, ainsi qu’un retour au parti unique. Le boycott résulte d’une pression populaire, venant des habitants du district, qui sont descendus dans la rue pour réclamer que le nouveau conseil de Ninive soit boycotté. Les manifestants ont aussi appelé à la transformation de leur district en un gouvernorat indépendant, qui ferait partie du Kurdistan. » Le maire yézidi de Sindjar a affirmé qu’il ne reconnaissait plus l’autorité de Mossoul mais reconnaissait celle de Massoud Barzani, le président du Gouvernement régional du Kurdistan, et que Sindjar resterait détaché de Mossoul aussi longtemps qu’Al-Nujaifi en serait gouverneur.
Pour sa part, Atheel al-Nujaifi, le gouverneur sunnite nouvellement élu de Mossoul a rejeté ces allégations, qu’il voit comme un refus de sa victoire électorale : « Un tel comportement, de la part de ces petits leaders kurdes, n’est pas en accord ave les grands leaders kurdes. La constitution irakienne est la loi et elle dit que Sindjar dépend de Mossoul », rétorque-t-il, en oubliant cependant que l’article 140 de cette même constitution nomme justement Sindjar comme un des districts ayant vocation à se prononcer par référendum sur son rattachement à la Région du Kurdistan. Al-Nujaifi a aussi qualifié ce boycott d’illégal : « Ce sont des employés administratifs sous l’autorité de la province de Ninive... Les gouverneurs de ces trois districts ne sont qu’une équipe administrative de l’Etat irakien, ils n’ont pas le droit de politiser leurs fonctions et leur pouvoir de façon partisane ou pour les intérêts d’un parti spécifique. Leur devoir est de calmer les choses, afin d’appliquer la loi et d’entamer un dialogue avec les responsables officiels » Insistant pour que les absents réintègrent le conseil provincial, le nouveau gouverneur de Mossoul les a également menacés d’être personnellement radiés de ce conseil, mais en ajoutant que cette radiation, purement personnelle, ne s’appliquait pas à la liste Fraternité en elle-même. De l’avis d’un avocat arabe sunnite, appartenant au parti nationaliste, ces désaccords sont inquiétants, par leur précocité à émerger après les élections : « Ce n’est qu’un début. Nous pouvons nous attendre à ce que cela empire. »
De fait, à Zummar, l’une des 16 villes à majorité kurde qui ont rejoint le mouvement de boycott, une attaque suicide à la voiture piégée a eu lieu contre un check-point surveillé par des peshmergas, tandis qu’un commandant de ces mêmes forces échappait, à un autre endroit, à un attentat, également à la voiture piégée. «La situation va devenir plus tendue s’il n’y a pas d’accord politique », estime Ahmed Qassim, âgé de 35 ans, un boutiquer arabe de la ville. Il y a des groupes armés, comme al-Qaïda, qui vont essayer d’exploiter ces disputes. Il va y avoir bientôt d’autres explosions, dans des zones arabes, en riposte aux bombes qui ont explosé aujourd’hui à Zummar. »
Dans la province de Diyala, qui comprend des districts kurdes rattachés arbitrairement par Saddam Hussein à une province arabe, les tensions n’ont pas faibli depuis l’été dernier, notamment entre les forces kurdes et irakiennes et les élections, là aussi, semblent avoir empiré les choses. Des soldats américains ont même été appelés pour escorter des membres du conseil provincial après que la police irakienne ait tenté d’investir le bâtiment, en affirmant que des mandats d’arrêt avaient été délivrés envers quelques-uns des membres du nouveau conseil. Un gouverneur a tout de même pu être élu mais là encore, beaucoup d’élus ont finalement appelé au boycott.
Dans le reste de l’Irak, des désaccords graves se font sentir également. Ainsi, dans la province de Wasit, à majorité chiite, toutes les factions politiques ont décidé de boycotter la dernière réunion du conseil, qui devait élire un gouverneur, alors que la veille, des manifestations de rue ont protesté contre le principal candidat en lice. A Basra, le Premier ministre Nouri Al-Maliki a dû intervenir personnellement pour arbitrer des querelles au sein de sa propre coalition, concernant également l’élection d’un gouverneur.
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