Ankawa : Samedi Saint

Réveil à 8 heures et on descend donc à l'heure pour le petit-déjeuner que nous avions programmé pour 9 heures quand Monseigneur s'était enquis de nos horaires. Il est déjà dans son bureau. Il nous salue et nous dit d'aller déjeuner et s'enquiert maintenant de notre programme de la journée. Nous voulons revoir la Citadelle et le bazar; dont Saywan m'avait dit qu'il avait été rasé, ce dont je m'indigne avec vigueur. Rabban me regarde d'un air amusé, avec l'air de trouver que j'en fais un cinéma pour quelques boutiques délabrées, et me répond normes sanitaires, regard vers le futur et non toujours tourné vers le passé etc. Comme je ronchonne encore, il nous dit, toujours avec le sourire, qu'il nous prêtera tous les mouchoirs que l'on veut pour que nous allions pleurer sur place et je ne peux pas m'empêcher de me marrer à mon tour, devant son air ironique. C'est ça, paie-toi ma tête, Sayyid.

Après déjeuner, de retour dans son bureau , Roxane a la bonne idée de s'enquérir de son programme à lui, où cas où l'on pourrait se croiser. Réponse : « Je reste ici, je travaille très tard. » Après un temps il ajoute : « Jusqu'à 16 heures... Après il y a la messe. » Très tard, 16 heures ? C'est pas le moment de demander la permission de minuit, j'ai l'impression. Roxane assure qu'on sera sûrement rentrées, ce qui fait qu'on a droit à un grand discours sur les libertés individuelles, et le respect des programmes respectifs, et la liberté de décision (tout juste si on ne nous sort pas le libre-arbitre divin), dans une attitude de compréhension infinie, bras croisés sur le coeur et l'air de dire : « Débrouillez-vous avec votre conscience. »

Au pied de la Citadelle , nous voyons très vite que les boutiques tiennent toujours debout. Où diable ont-ils rasé ? Ce n'est qu'en avançant plus loin que nous voyons à la droite de l'entrée, un espace vide qui sert désormais de parking plus ou moins provisoire. Il n'y avait effectivement pas grand-chose à cet endroit-là, et ça n'a rien à voir avec le coeur du Bazar historique, contrairement à ce qu'affirmait Saywan et même quelques journaux français. Je comprends l'absence d'émotion de Monseigneur et ses moqueries. Evidemment, on ne va pas pleurer sur quelques bicoques pas nettes.


Al-Qazwini al-Mustawfi, grand historien persan du XIV° siècle, issu de Qazwin comme son nom l'indique, mais qui écrivit sur Erbil, entre autres, et dont Sheref Khan s'inspira largement pour sa propre Histoire.

Balade à la Citadelle où je trouve Al-Qazwini, comme un rituel, mais cette fois-ci débarrassé des deux gamins grimpés toujours sur ses genoux. Comme on avait croisé deux gosses dans la descente, je suppose qu'ils venaient juste de le quitter. A l'entrée de la Citadelle, un soldat à l'air terrible et martial barre le passage à Al-Qaïda et aux visiteurs dont la tête ne leur revienne pas, je suppose. Après les présentations et bavardage d'usage, il tient absolument à me faire poser en photo avec son arme. A peine arrivées, nous voilà déjà en train de désarmer les forces de sécurité. Il y a des vocations de terroristes qui se perdent, dommage. Quand je le questionne sur ce qu'ils vont mettre à la place de l'espace rasé, il parle d'un parc, en précisant qu'il y aura des fleurs, des bassins, de l'eau, des bancs, des parterres. Un parc, quoi. Mais nous aurons d'autres versions par la suite, chacun ayant son idée particulière de la future utilisation du terrain, laquelle idée sera toujours différente de celle du voisin.

La Citadelle et de vieux bâtiments explorés de fond en comble, hormis la partie interdite en ce moment pour cause d'effondrement, on descend déjeuner au Sheraton (rendez-vous aussi traditionnel) et puis on rentre à l'évêché vers 16h20 (la messe est déjà commencée). Roxane trie ses photos et moi j'essaie de ne pas m'endormir sur L'Acte d'être de Molla Sadra. C'est passionnant, mais la nuit a été courte. Vers 19 heures, on passe quand même à l'église alors que l'office est juste en train de se terminer. Pleine de zèle, Roxane mitraille le choeur (toujours très bon et très dynamique) et ce qu'il reste de fidèles (il en reste encore beaucoup, l'église était pleine).

Puis on ressort avec tout le monde, alors que Rabban parle avec les siens, on rentre à l'évêché, et c'est devant la porte, face au jardin, qu'il nous retrouve. Comme il a dû nous voir sur les bancs à la fin de la messe, il nous demande, avec un air un peu perplexe : « Mais... Vous étiez à la messe ? » « Oui ! » assuré-je sans qu'il ait l'air de me croire beaucoup. « Je ne vous ai pas vues », fait-il, sans oser mettre ouvertement notre parole en doute. « On était en haut », répond Roxane, ce qui ne semble pas l'éclairer beaucoup, car s'il est bien un endroit d'où l'on peut être vues tout le temps, et de partout, c'est la mezzanine. Mais quand il vient de célébrer l'office, il semble toujours être resté pour moitié dans l'autre monde, alors ça n'aide pas à poser les bonnes questions : « Depuis quand y étiez-vous ? » Et quand on n'a pas les bonnes questions, forcément on n'a pas les bonnes réponses, ai-je déjà dit.

Il nous quitte pour porter les saints sacrements à des infirmes et des malades, « et vous, vous êtes chez vous. » Grande question métaphysique : est-ce que ça veut dire qu'on a la permission de minuit, et qu'on se débrouille pour manger au dehors ou doit-on attendre son retour ? Au vu de son discours sur la liberté individuelle et le choix des consciences, on choisit d'aller au pub-restaurant juste à côté de l'église, où l'on peut boire des bières et manger des frites mais où la bouffe est pas terrible et chère. A ce compte-là, mieux vaut les ailes de poulet du Sheraton. De retour vers 21h30, on assiste juste à l'extinction des feux dans le bureau, sans qu'on puisse recroiser Rabban. A 22h il dort et il a raison, car sa nuit va être courte.

(up date : en fait, on aurait DÛ l'attendre, mais ce n'est pas la première fois qu'on va se croiser malencontreusement et toujours de peu, comme un running gag pour amuser les Anges, qui doivent s'ennuyer, à Ankawa...).

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