ARRESTATIONS MASSIVES AU SEIN DU DTP
rès de cent personnes, en majorité membres du parti kurde DTP ont été arrêtées lors d’une vaste opération policière, conduite dans 90 endroits compris dans 13 villes de Turquie : Diyarbakır, Adana, Ankara, Aydın, Elazığ, Gaziantep, İstanbul, Mardin, Şanlıurfa, Şırnak, Bingöl et Hakkari. Selon les forces de l’ordre, ils sont accusés d’appartenance au Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), ou bien d’apologie du mouvement ou d’être liés aux incendies de véhicules qui avaient eu lieu dans plusieurs villes, en guise de protestation.
Plusieurs figures politiques ou militantes ont été arrêtées dans le coup de filet policier: Seracettin Irmak, un avocat d’Öcalan, ou des responsables du DTP comme Kamuran Yüksek, Bayram Altun, Selma Irmak, ou faisant partie des équipes municipales du DTP de Tunceli ou de Diyarbakır. A Ankara, personne n’a été arrêté mais plusieurs raids ont été menés aux domiciles de membres du DTP, et des documents ont été saisis. Dans la capitale turque, des manifestations ont eu lieu pour soutenir le DTP.
Quelques jours après, le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, a été condamné par la 4ème chambre de la Haute Cour de Diyarbakir, ainsi que le maire nouvellement élu de Batman, Necdet Atalay, à 10 mois que prison pour « propagande en faveur du PKK. » Ces accusations se fondaient sur des faits remontant au 25 février 2008, quand l’armée turque avait lancé une opération militaire contre des bases du PKK situées au Kurdistan d’Irak, violant ainsi la frontière. Osman Baydemir, comme beaucoup d’élus du DTP, avait condamné l’incursion militaire et appelé à une résolution pacifique de la question kurde, en déclarant qu’aucun soldat ni aucun membre de la guérilla ne méritait de mourir. Pour avoir nommé les combattants du PKK « membres de la guérilla » et non « terroristes », il a été accusé de propagande en faveur du PKK et d’incitation au séparatisme. Ces deux maires ont remporté les récentes élections municipales en obtenant tous deux des résultats sans appel contre les candidats du parti de l’AKP, lequel était pourtant décidé à contrer l’influence du DTP dans les grandes villes kurdes : plus de 65% des voix pour Osman Baydemir Aucun des deux ne s’est présenté au tribunal, leurs avocats seuls étant présents. Ali Simsek, le président du DTP pour la province de Diyarbakir, comparaissait aussi devant un tribunal, pour un discours prononcé lors de funérailles d’un combattant du PKK, connu sous le nom de Zilan Amed. Il a été condamné à un an de prison pour propagande en faveur du PK, tandis que deux autres accusés étaient acquittés pour la même affaire.
Réagissant à ces arrestations et aux condamnations, le DTP y voit une riposte détournée du parti au gouvernement, lequel n’accepterait pas sa défaite électorale. Le chef de file des députés DTP au parlement, Ahmet Türk, a ainsi accusé l’AKP de vouloir écarter son parti du jeu démocratique : « De telles opérations et de telles pressions sont le signe d’une ère nouvelle, durant laquelle notre parti est repoussé en dehors du combat démocratique ? Mais tous doivent savoir que nous n’abandonnerons pas. ». Ahmet Türk a également suggéré que des « forces » en Turquie essayaient de faire basculer le pays dans une phase de violence, par de telles provocations. « S’ils persistent dans les affrontements, ce sera pire que par le passé. Si le navire coule, nous coulons tous.» Bien que les forces de sécurité affirment que l’opération policière était prévue « de longue date », des observateurs soulignent que le coup de filet survient peu après que le DTP ait appelé l’Etat turc à reconnaître le PKK comme interlocuteur pour résoudre enfin le conflit kurde. Les maires nouvellement élus s’étaient en effet réunis à Ankara pour discuter de la nouvelle ligne politique du parti. A l’issue de ce meeting, le DTP avait fait une déclaration dans laquelle il suggérait que le PKK et son leader, Abdullah Öcalan, emprisonné à Imrali, soient considérés comme interlocuteurs par la Turquie pour résoudre la question kurde, se refusant ainsi à céder aux recommandations de l’Union européenne et des Etats-Unis enjoignent fréquemment au DTP de se distancier du PKK. Jusqu’ici, le DTP s’est toujours refusé à qualifier le Parti des travailleurs du Kurdistan d’organisation terroriste. De plus, les responsables du DTP considèrent que leur campagne électorale, fondée sur l’identité et les revendications des Kurdes a été fructueuse. Cela peut expliquer la position ferme que semble avoir adopté le parti après les élections : « Le monde prendra le temps d’analyser les résultats des élections municipales. Nous ne changerons pas, mais le monde doit nous accepter tels que nous sommes. Notre parti pense que les élections municipales donneront une direction nouvelle à la politique en Turquie, et dans cette période nouvelle, la mission de notre parti sera plus importante que jamais » a ainsi déclaré un des responsables, avec une certaine emphase.
Cette position aux accents triomphalistes a été relayée par une déclaration officielle du PKK, qui voit dans ce succès électoral, la preuve que le conflit kurde ne peut être résolu sans le DTP, ni le PKK, et, bien sûr, Abdullah Öcalan. Un des résultats immédiats que pouvait attendre le DTP était, en plus des amendements réclamés à la loi anti-terroriste, très restrictive sur la liberté d’expression, l’abandon des procédures d’interdiction le concernant. Le DTP est en effet menacé de dissolution et 221 membres de ce parti encourent une peine d’inéligibilité. « Si nous prenons en considération le résultat des élections, nous ne pensons pas que le DTP pourra être interdit politiquement » a déclaré ce même responsable au journal Zaman. Aussi l’arrestation de ces membres élus du DTP a pu faire l’effet d’une douche froide, ou tout au moins ressembler à un démenti cinglant aux déclarations confiantes émises par le parti kurde. A moins que ce ne soit, comme c’est souvent le cas dans la politique louvoyante de l’AKP, un coup d’éclat spectaculaire et médiatique, destiné à assurer l’opinion publique et les cercles politiques nationalistes de la fermeté gouvernementale à l’égard des « terroristes », avant de s’apprêter, peut-être, à des démarches politiques plus conciliantes.
Le chef de file des députés du DTP au parlement turc, Ahmet Türk, a déclaré, de passage à Londres, lors d’une rencontre au Centre de la communauté kurde, que la Turquie avait atteint un stade où « elle se retirait dans sa propre coquille », en comparaison avec ces dernières années. Il a réfuté les prises de position de l’Union européenne, qui avait jugé que ce pays avait accompli des avancées notables en matière de démocratie. Il fait lui-même l’objet d’une enquête lancée par le procureur de Diyarbakir, après un discours qu’il a tenu dans cette même ville le mois dernier, dans lequel il avait comparé Abdullah Öcalan, le président du PKK, à Nelson Mandela (une comparaison qui est un lieu commun dans la mouvance de ce parti) en indiquant que le conflit racial en Afrique du sud avait pris fin avec la libération du leader de l’ANC, et que, de même, la question kurde pourrait être résolue par la libération d’Abdullah Öcalan. Il fallait s’attendre à ce que de tels propos fassent l’objet d’une enquête judiciaire, des prises de position bien plus anodines ayant déjà été condamnées comme « propagande terroriste et séparatiste ». La question de la levée de son immunité parlementaire doit être aussi examinée.
La réaction du DTP à ces arrestations a pris la forme, dans la nuit du 23 au 24 avril, d’un sit-in à l’intérieur du parlement turc, auquel ont participé les 21 députés de ce parti. Du côté des milieux réputés conservateurs et nationalistes, on observe les mêmes attitudes contrastées, entre déclarations intransigeantes vis-à-vis du PKK et des prises de position publiques inattendues, visant à briser les tabous de la république turque. Ainsi, le 14 avril, le chef de l’état-major turc, Ilker Başbuğ, qui prononçait son discours annuel à l’Académie de guerre, a créé un effet de surprise en revenant sur le credo kémaliste du « peuple turc » unique composante de la république de Turquie (hormis les minorités religieuses, chrétiens et juifs, toujours désignées officiellement comme « étrangers de l’intérieur » ou « citoyen turc de nationalité étrangère »).
Le général a ainsi prôné des aménagements à la citoyenneté turque, déjà recommandés par Baskin Oran et Ibrahim Kaboğlu en 2006, dans le rapport sur les minorités que leur avait commandé le gouvernement AKP, mais qui leur avait valu d’être traînés en justice, avant d’être finalement acquittés : Türkiyeli (de Turquie) et non plus « Turcs » pourrait désigner des citoyens non turcs qui ne sont pas mentionnés comme minorités par le traité de Lausanne. Niant, de façon paradoxale, le caractère « ethnique » du conflit kurde, niant aussi la politique d’assimilation de l’Etat, il recommande que la spécificité de l’identité kurde soit officiellement reconnue, n’hésitant pas à invoquer les mânes d’Atatürk pour appuyer ses dires : « «Laissez-moi vous rappeler qu’Atatürk a dit : c’est le peuple de Turquie –Türk Halkı- qui a fondé la République de Turquie. Si vous dites que ce sont les Turcs -Türkler-, cette considération perd de son sens profond. Qui a fondé la République de Turquie ? Le peuple de Turquie. Atatürk désigne ici tous les éléments de la nation. Sans distinction ethnique ou religieuse. S’il avait utilisé le mot «Turc» au lieu de «peuple de Turquie», il y aurait eu une distinction ethnique.» D’aucuns pensent aussi que l’effet-choc de ce discours avait aussi pour but de détourner l’attention du public sur l’affaire Ergenekon qui secoue les milieux proches de l’armée.
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