mercredi, avril 15, 2009

Duhok : Lycée international





Réveil à 5 heures (je ne me reconnais plus ici), toilette de chat à l'eau glacée. On descend faire un tour dans l'église inachevée alors que la messe s'achève dans la salle réservée à cet effet au presbytère. Je crois que le plus beau village du monde est aussi le plus froid, vent et pluie en prime. Revenant dans les bâtiments à la fin de la messe, nous croisons Rabban et le prêtre de Kwane qui en sortent. Même topo que d'habitude : nous apprenons tout ensemble, avec ordre de charger les sacs, le départ et le lieu de destination : Duhok et le lycée international, sauf que, manquement au rituel, cette fois-ci nous ne le mettons pas en retard (ça viendra 2 heures plus tard, rassurez-vous). Petit-déjeuner à trois sur une table dressée dans le hall qui sépare l'église provisoire et le presbytère. Décidément, dans ce village, la température est hivernale, ce dont j'ai confirmation quand, montant en voiture, je regarde le thermomètre : 7°c. Au fur et à mesure qu'on roule vers Duhok la température remonte. Déjà 8°c rien qu'en sortant du village. Monseigneur, qui adore faire son malin, annonce, juste avant de passer un pont, que la température va passer de 11°c à 12°c exactement à cet endroit précis, et ce fut effectivement le cas. Pas mal joué. A Duhok on passera tout de suite au-dessus de 15°c, c'est vraiment un autre monde.

Sur la route longeant les villages d'Amedî, Rabban nous refait l'histoire des destructions et reconstructions, des différents exodes, la route qu'il a lui-même fait tailler dans la montagne, à coups de TNT, juste après la création de la zone autonome ; les villages qu'il a fait reconstruire, et ceux qui attendent encore de l'être, malgré toutes les promesses.

Arrivée à Duhok, visite du lycée. Rabban me dit d'aller voir la bibliothèque avec une des professeurs francophones, après les présentations à une partie de l'équipe des enseignants, soit en kurde, soit en français, soit en anglais. La bibliothèque compte près de 8000 volumes selon Monseigneur, presque tous en français, peu en anglais, encore moins en kurde. Le problème est que l'enseignement se fait surtout en anglais et que les étudiants francophones n'y sont pas du tout majoritaires. A l'origine, ce lycée aurait dû être français, mais la francophonie n'a pas jugé utile de s'y intéresser. Et après ça, on pleurniche que le français recule dans le monde...

Il y a un peu de tout dans les titres, beaucoup de Rouge et Or, Bibliothèques rose et verte, qui nous rappellent, à Roxane et moi, toutes nos lectures d'enfance ; des classiques, des best-sellers à l'eau de rose ou pas, des titres sulfureux assez curieux pour des collégiens, et même des Francis Lefebvre et le code maritime ! A croire que certains donateurs ont surtout généreusement débarrassé leur grenier ! La bibliothécaire, une jeune kurde, soeur de Wahid Atrushi, le directeur, apprend aussi le français. Je remarque quelques bouquins en kurde qui viennent de l'Institut (je reconnais les cotes et les étiquettes de loin), je discute un peu littérature kurde, et de fil en aiguille en vient à parler de mes propres bouquins, soit la traduction de « Mem et Zîn » et le roman « Kawa ». Elles me demandent d'un air intéressé « où sont ces livres ? » ça tombe bien, j'en ai un exemplaire de chaque dans ma valise. Ce n'est pas que j'aime distribuer mes productions de force, mais j'en emmène toujours au Kurdistan, car on m'en a invariablement demandé, les semant au hasard des rencontres. Cette fois-ci, ce sera pour la bibliothèque du lycée international, mais je crois bien que cela fera surtout le bonheur de certains professeurs. Revenues dans la salle des profs, je rediscute littérature soufi avec la professeur d'arabe, quand Roxane vient m'annoncer que Monseigneur doit partir pour présenter des condoléances à une famille en deuil, et qu'il nous dépose au passage au centre Lalesh, et que, donc, bien sûr, je l'aurais parié, il est déjà en retard et il faut se dépêcher. Je vais ouvrir ma valise dans le coffre pour prendre les bouquins, tandis que le Sayyid « se fait évêque », selon ses propres termes, c'est-à-dire qu'il remet sa soutane et le reste par dessus sa tenue de clergyman montagnard. Le temps de repasser par la salle des profs (c'est-à-dire de la retrouver car je me suis un peu perdue dans les couloirs), de rediscuter avec la prof des problèmes techniques liés à la traduction du Sheikh Khani, Roxane revient en me disant que cette fois-ci, Monseigneur peste qu' « on » le met vraiment en retard. Au revoir précipité, et en route pour le centre Lalesh, avec un guide à côté du chauffeur, puisque Rabban ne sait pas où c'est.

Cette fois-ci, c'est le dernier bout de route – au moins pour cette route-là. On s'arrête devant le Centre. Rabban descend rapidement de voiture et parle à un Yézidi chargé de l'accueil. De notre côté, on décharge nos valises, c'est-à-dire qu'on a à peine le temps de les toucher que des Yézidis s'en sont déjà emparés pour les porter à l'intérieur. Au palmarès de la serviabilité, de la gentillesse et de la diligence, les Yézidis l'emportent largement dans tout le Kurdistan, nous l'avons déjà remarqué.

Voilà, le moment est venu. Il vient vers nous, en nous prenant chacune un bras et disant « Dieu vous garde » ou je ne sais quoi de ce genre. « Dieu te protège aussi », réponds-je, la gorge un peu serrée. Il poursuit ses recommandations en nous disant très drôlement : « Soyez gentilles. », comme on dirait « soyez sages » à deux gosses qu'on envoie en visite chez des voisins. Je hausse les sourcils avec ironie : « On n'est jamais méchantes, voyons ! » « Je veux dire aimez les gens, aimez les Kurdes... comme vous les aimez. Je lui ai dit tout à l'heure (il parlait du type de l'accueil) : « Elles aiment les Kurdes et le Kurdistan plus que toi, elles les aiment plus que moi-même ! » Alors là, stop, je ne peux pas laisser pas dire cela au N° 1 des Kurdistanî : « Non ! Moins que toi. » On se regarde, et la boule que j'ai dans la gorge depuis un moment déjà, se fait de plus en plus oppressante. Ah, que je n'aime pas ces séparations, même provisoires, qui sonnent comme des adieux ! Bien sûr, on doit se revoir, à Amedî et/ou Erbil, mais si on y met pas du sien, c'est-à-dire si on ne prend pas son destin en main, vaut mieux pas compter sur eux pour en débrouiller les fils.

C'est peut-être là, plantée sur ce trottoir, que j'ai pris la seconde-décision-meilleure-de-ma-vie qui peut se résumer ainsi : NON. Plus jamais ça. Maintenant, c'est fini, décidé, je fonce, et qui vivra verra.

En attendant, on passe enfin la porte du centre Lalesh. Deux ans après, retour chez les Yézidis.


(à suivre)

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