"Demain, 10 heures, Saint-Joseph, Ankawa"
Shaqlawa, on connait. Pas grand-chose de neuf à voir, même si tout s'est spectaculairement construit, là encore, et que les boutiques du bazar se sont transformées en galeries commerciales un peu prétentieuses, un peu clinquantes, tout ça pour vendre les mêmes loukoums mais en plus cher, sans doute. Bon, je ne vais pas m'épancher sur la mort du vieux bazar ou Monseigneur va encore se moquer en tendant sa boite de mouchoirs même à distance...
Le lendemain de notre arrivée à Shaqlawa, pas grand-chose à faire, sinon profiter de l'internet café-bar du Khanzat, avec un réceptionniste très sympathique. A cette heure de l'après-midi, on a la salle pour nous seules, bien climatisée, avec bières fraiches apportées sur un plateau. Que demande le peuple ? Il est trop tard pour l'excursion prévue à Salahaddin, et le Medya Palace est en bas du quartier chrétien, nous dit-on (décidément on est poursuivie...). On décide d'y aller faire un tour, au moins jusqu'à l'église. Le quartier chrétien et ses nouveaux réfugiés est situé sur une des hauteurs, ainsi que l'église. ça grimpe bien mais la promenade est agréable. Moyen sûr de reconnaître un quartier chrétien : une épicerie avec des enseignes Tuborg et Absolut tous les cinq mètres.
On finit par trouver l'église avec des lacis et des grimpettes et en demandant toutes les cinq minutes aux chrétiens qu'on croisait où était l'église.
Au passage, photo d'un éminent clerc qui écrivit sur l'histoire de son peuple, et parlait, nous dit la plaque en anglais, parlait nombre de langues, dont l'arabe, le syriaque, et le "parisian" (sic). Mort en 1915, comme tant d'autres.
Plus loin l'église, qui s'appelle Eglise des Martyrs. Pas déplaisante à regarder, sans grande originalité, la statue que l'on voit dans le jardin est plus... hum ! ... étonnante.
Le personnage figuré a une drôle de tête un mix d'homme de Cro-Magnon et de l'incroyable Hulk, je trouve. Comme il tient dans la main un rouleau déployé ça pourrait être Moïse. Quoi qu'il en soit, Frankestein à côté, c'est Dorian Gray...
Le personnage figuré a une drôle de tête un mix d'homme de Cro-Magnon et de l'incroyable Hulk, je trouve. Comme il tient dans la main un rouleau déployé ça pourrait être Moïse. Quoi qu'il en soit, Frankestein à côté, c'est Dorian Gray...
Le lendemain, on se bouge un peu et on part à Salahaddin, rendre visite à Ibrahim Hassan, toujours charmant, qui nous trouve un taxi pour revoir la Citadelle. Hélas, cette année, les chauffeurs fournis par le PDK, ce n'est pas ça... Le type qui me claironne aux oreilles toutes les 5 minutes qu'il s'appelle Osman (retenez ce nom et méfiez-vous), qu'il a été peshmerga, qu'il est pro-Barzani etc, a été taxi à Téhéran aussi. C'est peut-être de là qu'il a appris à être aussi menteur et arnaqueur qu'un taxi stambouliot. Alors que la location du taxi était convenu pour au moins une heure et demi, il se dépêche de nous amener au village au bas de la Citadelle, un nom comme Dwuîne, et prétend ensuite qu'on ne peut accéder plus haut, qu'il faut y aller en 4/4 que la route est coupée, etc. Bizarre qu'il y a deux ans c'était accessible en voiture normale et qu'Ibrahim Hassan ne nous ait rien dit à ce sujet. En fait, il commence à regarder sa montre au bout d'une demi-heure et n'arrête pas de me faire de lourdes allusions à chaque coups de fil qu'il reçoit, sur le fait que sa famille l'attend à 13h pour déjeuner. Il fait assez moche, il y a quelques photos de villages à faire, pas grand-chose, et ce truand me fatigue. Les truands sont toujours bavards, en plus d'être malhonnêtes, c'est ce qui les rend deux fois plus pénibles. Non seulement on doit se faire rouler par eux, mais en plus il faut subir leur bagoût et leurs grandes protestations de patriotisme et de barzanisme et de kurdistanisme la main sur le coeur... Déjà j'avais observé que dans les restaurants affichant ostensiblement un propriétaire hadji, c'est là où en général on bouffe mal et où il faut recompter l'addition. Hé ben pour les taxis, c'est aussi une règle : éviter les "patriotes" auto-proclamés.
On finit par le lâcher dans Salahaddin, je feins encore une surdité galopante quand il me faire remarquer que ça fait 2 heures qu'il nous promène (au cas où le coeur fendu, je déciderai un supplément aux 50 000 dinars convenus) et on déjeune dans un restaurant en bord de route avant de tenter de prendre un taxi. Il est 16 h et je me dis que c'est l'heure de pointe, car tous les taxis qui passent sont pris. Un passant nous informe alors qu'à Salahaddin on ne "prend" pas un taxi comme ailleurs, au passage. Il faut aller au "garaj" où attendent tous les taxis libres, et en trouver un, après discussion sur la destination et le tarif. ça va assez vite, alors, et le jeune qui nous conduit à Salahaddin, arrive juste derrière le quartier chrétien. Ne sachant pas où est le Medya Palace, il se fait guider par tibi, qui le fait naviguer avec la sûreté d'un skipper dans les lacis et petites routes du quartier chrétien, avant de le faire stopper pile au bas de la colline, devant l'hôtel. Je vois bien à son regard un peu ahuri qu'il ne s'attendait pas à être piloté comme ça par une étrangère, dans son propre pays. La même chose s'est produite à Zakho pour trouver l'évêché, à Amedî pour le bureau du PDK : comme on va dans des endroits où eux ne se rendent jamais, le fait de savoir un tel chemin les laisse supposer qu'on connaît tous les itinéraires par coeur.
Le soir, de retour à l'internet café, mail de Monseigneur qui nous apprend que le synode du 26 au 5 bla bla bla (merci, on était au courant par ton collègue) et puis le pape en Jordanie donc déplacement du 7 au 11 et hop, après de retour au Kurdistan, on se voit à bientôt. Ben non, vu qu'on part le 8. Décidément, avec Rabban c'est la tragédie des chassés-croisés. On répond qu'on essaiera de passer le 6 mais nous avons peu d'espoir de le revoir avant le départ.
Sauf que le 30 au soir, coup de théâtre, ou deus ex machina, comme on veut : Mar Patros appelle (car il sait appeler, LUI) et délivre à Roxane un message quelque peu concis et sybillin, après de banals propos : "Demain. 10 heures. Eglise Saint-Joseph." "Quoi ?" demande Roxane. "Demain, 10 heures, Eglise Saint-Joseph à Ankawa. AN-KA-WA." "Oui mais QUOI demain 10 heures Saint-Joseph Ankawa ???" s'époumone Roxane. "Euh l'intronisation des évêques." "C'est déjà fini ?" "Quoi ? Qu'est-ce qui est fini ?" " Le SYNODE ! (et non la fête de la Bière à Münich, ballot !) C'est déjà fini le synode ?" "Non, non, ça continue... mais demain, 10 heures, Saint-Joseph..." OK, OK, ça va on a compris. Sauf qu'on ne voit pas en quoi ça nous concerne et pourquoi on devrait cavaler demain dare-dare de Shaqklawa à Ankawa pour être à l'heure. Grand Conseil de guerre : pourquoi Patros tient-il absolument à ce qu'on voit encore une messe ? Il s'ennuit tant que ça à son synode ? Ou y a-t-il là-dessous un message subliminal de l'autre matran qui, après avoir constaté amèrement que la communication par la prière ça ne marche pas toujours très fort, a résolu d'employer des ruses de guerres, moins élevées spirituellement, certes, mais plus efficaces (car appeler lui-même semble décidément hors de ses compétences) ? Bof, comme NOUS sommes ouvertes à l'aventure et à l'imprévu, les bagages sont faits, et l'ordre de lever le camp est donné : Demain, à 10 heures, nous serons à Saint-Joseph, Ankawa... et qui vivra verra.
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