Barzan-Rêzan


Nous partons d'Amedî après une ultime visite au PDK d'Amedî, décidément toujours très gentil et serviable, pas avare de renseignements, même s'ils ne sont pas toujours très fiables, notamment, nous le verrons sur l'existence d'hôtels hors de leur zone. Yasin nous assure en effet qu'il y a des hôtels à Diyana, mais pas à Rawanduz. Via pour Diyana, par la route de Barzan, et un passage au village même, pour que Roxane puisse reprendre les tombes de Mollah Mustafa et d'Idris, qu'elle a déjà vues en 2005. Quant à moi, mon dernier (et unique) passage là-bas remonte à 1994. Nous constatons avec amusement que peu pressés de nous voir partir, le staff PDK a soudain la mémoire un peu floue quand il s'agit de localiser Barzan sur une carte, et semble assez indifférent à ces histoires de tombes. C'est vrai que pour un PDK, Barzan et Molla Mustafa ça ne doit pas dire grand-chose, n'est-ce pas ? Bon, quand il voit que décidément, il n'y a plus moyen de nous retenir, il nous trouve un taxi, après avoir appelé tous les taxis libres estampillés PDK, qui, par hasard, se trouvaient tous à Duhok ce jour-là, sauf un qui a voulu se distinguer en partant à Suleïmanieh. Finalement on en ramène un quand même, mais dans l'agitation du départ, on oublie de demander son prix d'avance ce qui est toujours une erreur. Il faut dire que les adieux, comme toujours, étaient prenants. Yasin, rouge d'émotion et l'oeil humide, serre la main à broyer et fait la bise. Heureusement qu'on revient...

La route de Barzan traverse les montagnes de Barzan qui sont, objectivement, les plus belles. Brève halte au village de Barzan où la tombe, toujours simple, de Mollah Mustafa est envahie par l'herbe et les coquelicots. Quand j'y étais en 1994, c'était l'été et tout était sec : juste des stèles sur de la terre sèche et de l'herbe grillée. La simplicité des deux stèles (celle de Mustafa et celle de son fils Idriss) m'avait étonnée et j'avais trouvé cela plein de grandeur. Le peshermerga qui était avec nous, un vieux de la vieille qui avait dû se battre dès les années 60 s'était mis au garde-à-vous devant. Il pleurait, pleurait...




Aujourd'hui, le village de Barzan, que j'avais connu détruit hormis quelques maisons vite bâties et le miwankhane, a bien changé. C'est même un boum dans la construction. Roxane, qui y est passé en 2005, me dit que ce n'était pas le cas alors. Le gigantesque complexe centre mémorial mosquée qui se bâtit juste derrière les tombes me laisse plus dubitative. Veulent-ils en faire une espèce de mausolée ataturtesque ? Heureusmement que l'esprit kurde semble résister à cette idolâtrie, car jusqu'ici, je n'ai pas trouvé chez les PDK une vénération excessive pour ces reliques. Le chauffeur qui nous accompagnait, guère politisé, ne savait même pas, entre les deux tombes, laquelle était celle de Mustafa, ni même qui était la seconde ! Même chez les Sheikhs de Barzan, ce n'est pas le culte des morts qui prime, comme nous le verrons plus tard...



En redescendant, arrêt sur un restaurant de bord de route, qui sert du poisson grillé (hélas, il faudrait des écoles hôtelières pour leur apprendre à préparer le poisson). Le nom du village, Rêzan, me frappe. C'est là que j'ai dormi trois jours, il y a 15 ans. Tout s'est bien reconstruit, mais je reconnais le pont, où les peshmergas tiraient à la mitraillette sur les truites. Il faut dire que le chef, Rûbar, n'avait que 18 ans, et que leur principal boulot de la journée, en attendant une invasion de l'Iran ou de la Turquie, était de contrôler le tracteur du voisin qui, matin et soir, allait et revenait sur ses champs. J'avais aussi vu le plus jeune survivant de la rafle des Barzani, quand en 1983, Saddam avait fait massacrer tous les hommes, à partir de 12 ans, 8000 d'un coup... Le gamin, dont je ne sais plus le nom, était tout juste né et avait donc échappé à la rafle. Comme il n'y avait plus d'hommes au village, c'était donc le dernier enfant né. Il avait onze ans, avait un beau visage, paisible, souriant, des cheveux blonds et des yeux noisette. Toutes les femmes avaient la tenue noire des veuves mais elles ne pouvaient l'être officiellement, leurs maris, fils, frères, cousins, étant "disparus" et non "décédés".



Repassant dans le village, je reconnais la rive du Zab, où l'on buvait à même l'eau du fleuve, qui était plein de grenouilles... et la tête horrifiée des Kurdes quand je leur disais qu'en France on les mangeait... Ils s'étaient rattrapé en servant la tête du chevreau tué pour l'occasion, dont il fallait bouffer la cervelle à l'intérieur... Morceau de choix réservé aux invités, merveilleux.

L'un d'eux apprenait l'anglais et avait voulu que je contrôle son manuel de conversation (un bouquin catastrophique publié en Iran, bourré de fautes, que j'avais corrigées un peu). Il y avait eu une soirée de cours, et tous les peshmergas de la troupe (ils avaient tous à peu près l'âge de leur chef) avaient voulu apprendre eux aussi. Alors, sur le toit, environnée de tous ces grands gamins, qui se séparaient rarement de leur fusil, je leur faisais répéter les phrases qu'ils souhaitaient. "Comment dit-on "ez ji te hez dikim" ? "I love you." Et la dizaine de terribles guerriers de répéter consciencieusement, jambes croisées et mains autour des genoux : "I-Love-You".



Il y avait eu aussi la visite à leur check-point, une cabane d'où ils contrôlaient, comme j'ai dit, LE tracteur du matin et du soir et guettaient l'arrivée des troupes touraniennes ou iraniennes, comme Giovanni Drogo les Tartares. C'était l'heure du déjeuner et deux d'entre eux avaient apporté une ENORME marmite de riz et de viande. "Sandrine ! Les hommes t'ont fait la cuisine !" avait annoncé fièrement Rûbar. Déjà, à l'époque, j'avais compris que l'ambition du Kurde est de vous engraisser jusqu'à ce qu'on ne puisse plus se déplacer qu'en brouette... On avait mangé donc tous en rond, eux mitraillettes entre les jambes, dont les canons pointaient pas mal sur moi, ce que j'avais fait remarquer avec amusement : "ça risque pas de partir, là ?" Ah non, non ! et tous, avec un beau zèle m'avaient montré comment monter et démonter un FM. J'avais rien compris, bien sûr, toujours été nulle au test psycho-cognitif des engrenages et des poulies.

Bref, en passant par Rêzan je reconnais la rive, mais quant à savoir quelle maison... A l'époque ils arrivaient tous d'Iran, où ils avaient passé sept ans dans les camps de réfugiés, et les maisons étaient tous juste bâties, en parpaing. Aujourd'hui, c'est plus coquet.

A Diyana, l'unique hôtel annoncé s'avère finalement transformé depuis peu en hôpital. On pousse à Rawanduz, très belle ville cernée de montagnes, dont l'unique hôtele st un grand complexe touristique luxueux, avec Luna Park, cottages, et un hôtel dont les prix sont ceux du Sheraton d'Erbil. Pour finir, je demande au chauffeur de nous conduire à Shaqlawa, où les hôtels ne manquent pas. Arrivée de nuit au Medya Palace, prix correct, le taxi nous coûte 250 000 dianrs ce que Roxane trouve trop cher. Moi, étant complètement autiste en chiffre, mesure et prix, je n'en ai aucune idée. On verra demain quoi faire à Shaqkawa, que nous avons déjà visité il y a deux ans.

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