Colloque : Les Assyro-Chaldéen-Syriaques dans le fédéralisme irakien"

Sous l'égide du sénateur Christiane KAMMERMANN et organisé par un collectif Assyro-Chaldéen-Syriaque soit l'Institut Assyro-Chaldéen-Syriaque, l'European Syriac Union, le Conseil populaire des Assyro-Chaldéen-Syriaques, le colloque intitulé "Les Assyro-Chaldéen-Syriaques dans le Fédéralisme irakien", a eu lieu hier, 2 avril, au palais du Luxembourg. Rien que son titre et la façon dont les Syriaques de Mésopotamie se dénomment font paraître la "Question kurde" d'une émerveillable simplicité en comparaison. Beaucoup d'interventions intéressantes, cela dit, dont voici un résumé (en italique gras, ce sont mes commentaires ou mes explications):

14h Allocution de bienvenue : Christiane Kammermann, sénateur représentant les Français établis hors de France.

Première table ronde : Les Assyro-Chaldéen-Syriaques au carrefour des civilsiations

Mohammed Al-Bandar, écrivain ; Ephrem-Isa Youssif, écrivain et historien ; Herman Teule, professeur à l'université de Nimègue et écrivain.

Mohammed Al-Bandar retrace l'histoire de l'Irak après la conquête islamique et le changement de statut qui s'en est suivi pour les chrétiens de Mésopotamie. Il pose un regard critique sur l'historiographie de l'Irak telle qu'elle est encore pratiquée aujourd'hui, qui tend à gommer son histoire chrétienne, comme si, entre Ninive et la conquête islamique il ne s'était rien passé. Il esquisse ainsi le substrat araméen et chrétien des hauts lieux de l'histoire musulmane en Irak, par exemple l'origine araméenne de la toponymie, comme Kufa, fondée par la deuxième calife Omar, mais sur un lieu qui se nommait Aqulah (le lieu où abondent les roseaux en araméen). Ali, le Premier Imam des chiites et le quatrième calife rashidi des sunnites avait, selon lui, appris le syriaque à Kufa et le pratiquait avec ses visiteurs. L'un de ses poèmes contient d'ailleurs une citation venue du syriaque (à forte connotation chrétienne, effectivement) : "Si vous me cherchez vous me trouverez, si vous cherchez un autre que moi, vous ne me trouverez pas". (Dans son livre sur les sources ésotériques de l'islam, Mohammed Ali Amir-Moezzi évoque en tout cas les traditions qui font prononcer à Ali le nom de Dieu en syriaque). Il évoque aussi la figure du 6ème imam, l'Imam Jaffar as-Sadiq, qui parlait aussi le syriaque, en plus de l'amharique. (Il est vrai que reclus et surveillé comme était l'Imam Jaffar, il avait tout le temps d'apprendre les langues). La figure des douze imams est, selon Al-Bandar, plus proche des idéaux chrétiens d'austérité que la figure de Mohammed. ( De fait, les affinités du chiisme et du christianisme ont été vues depuis longtemps : même goût du martyre, même amour doloriste pour leur Sainte Famille, même retrait du temporel pour se consacrer au spirituel, même revendication de justice sociale et dénigrement des élites "hypocrites" dans leur croyance, et évidemment un surinvestissement dans l'attente messianique. On peut aussi évoquer la christologie très poussée qu'ont développé aussi les chiites septimains, surtout avec les écrits gnostiques chrétiens.)

Ephrem-Isa Youssif revient sur le propos général de la conférence, qui est l'avenir et la survie des Syriaques, en invoquant avec humour la protection internationale dont bénéficient les tortues ou des villes englouties. Pourquoi ne pas protéger aussi un peuple menacé d'extinction ? Il retrace ensuite l'histoire de ce peuple qui aujourd'hui se présente sous un "chapelet de noms" différents, en partant d'Abgar, roi d'Edesse (auj. Urfa) et dirigeant du premier royaume chrétien, de Bardesan, le premier grand philosophe syriaque et à la fondation, en 431 de ce que l'on appela l'église nestorienne. En 363, saint Ephrem avait fondé la première école théologique, philosophique et patristique à Edesse. Puis il dut se réfugier à Nisibe pour fuir les persécutions des Byzantins (les chrétiens ont très tôt interprété à leur façon la consigne du Christ d'aimer son prochain et de ne jamais taper sur la tête de personne). Là, sous territoire perse (sassanide) l'école de Nisibe prit son envol. Cassiodore le visita et fut si impressionné par la qualité de cet enseignement que, de retour en italie, il fonda une école analogue en Calabre, où l'on y enseignait, comme à Nisibe, la philosophie, la théologie et la médecine. En effet, très tôt sous les Sassanides et plus tard sous les Ababssides, les Syriaques furent de grands médecins, en plus d'être théologiens et philosophes car, en tant que minorité religieuse ils avaient compris qu'il fallait mieux avoir, dans toute la société, des cadres puissants, influents et éduqués, se rendant très utiles auprès du pouvoir, soit en tant que médecins, soit en tant que fonctionnaires, ou même en tant que représentants religieux de leur communauté.

L'église nestorienne siégea finalement à Ctésiphon (capitale des Sassanides) et de là, essaima ses missionnaires jusqu'en Inde et en Chine. Après Nisibe, Ctésiphon fut donc la deuxième école de ce que l'on appelle dès lors l'église de Perse. La troisième école fut fondée à Kufa et la quatrième à Gondishahpur entre le 5ème et le 6ème siècle. Ce fut là encore une grande école de médecine gréco-syriaque. La philosophie aristotélicienne pénétra aussi la pensée syriaque avec les premières traductions du grec. Proba traduisit l'Organon et Aristote commença dès lors une carrière posthume de philosophe capital aussi bien dans la pensée chrétienne que juive ou musulmane (se reporter au trio Averroès, Maïmonide, st Thomas d'Aquin).

A l'époque abbasside, les chrétiens connurent un certain âge d'or, apparaissant comme les alliés du pouvoir califal. C'est alors qu'eut lieu, du XII° au XIII° siècle, la transmission des sciences grecques par les Syriaques aux musulmans d'abord, en arabe et puis, en Europe, par les traductions latines des textes arabes, parvenus, par exemple, aux mains des chrétiens d'Europe via Jean de Séville, Gérard de Crémone ou Michel Scott.

Herman Teule, auteur d'un récent ouvrage sur les Assyro-chaldéens, concentre son propos sur le problème actuel des Syriaques et l'unification de leur nom. Le projet initial de la Constitution irakienne prévoyait de les mentionner en tant qu'Assyro-Chaldéens, mais cela a été abandonné en raison des réticences de certains partis et de l'église chaldéenne, qui craignait de voir amoindrir son autorité. Aussi les chrétiens d'Irak sont-ils dénommés dans la Constitution définitive comme Assyriens, Chaldéens, aux côtés des Turkmènes et autres minorités. Assyriens et Chaldéens sont ainsi inscrits dans la Constitution comme s'ils formaient deux ethnies différentes (alors que la division est purement religieuse, l'église chaldéenne étant rattachée à Rome et l'autre, autocéphale). Le fait qu'il n'y ait pas, en Irak, de communauté chrétienne au singulier, la rend plus vulnérable, selon Herman Teule, qui pointe une opposition politique et aussi la peur des autorités ecclésiastiques de perdre leur influence dans l'unification ; s'y ajoutent les inimitiés de plusieurs partis politiques, conflits qui ont plus un caractère personnel qu'idéologique.

Au Kurdistan d'Irak, la population chrétienne a doublé, passant de 50 000 à 100 000, à la faveur d'une campagne de réimplantation des réfugiés, initiée par le gouvernement de Nêçirvan Barzani et surtout son ancien ministre des Finances, Sarkis Aghajan, un Assyrien. Herman Teule souligne que ce programme a une ampleur et une qualité impressionnantes, avec la reconstruction des villages, des églises, et la sécurité offerte à ces réfugiés. Mais il s'interroge sur la "permanence" de cet accueil kurde, et sur les difficultés de la population urbaine chrétienne, venue de Bagdad, Basra ou Mossoul, à trouver un travail dans des villages. Il s'interroge aussi sur les motifs politiques de cette générosité kurde, et enfin les problèmes que peut rencontrer les chrétiens uniquement arabophones dans une région de langue kurde et syriaque. Mais en dépit d'un passé de méfiance et d'hostilité, il admet l'évolution positive des rapports entre Kurdes et chrétiens ces dernières années et que l'autonomie de la Région du Kurdistan a été aussi bénéfique pour les Syriaques.

Il aborde ensuite la question de l'autonomie des zones d'Irak du nord à majorité chrétienne, dans la province de Mossoul-Ninive. Le problème est d'abord de définir sa circonscription géographique exacte. En plus des 3 districts de Mossoul, doit-on y englober ou non les villages chrétiens limitrophes faisant partie de la Région kurde ? De même la région autonome chrétienne dépendrait-elle du gouvernement fédéral ou du Kurdistan ? En clair, on unifie quoi et où ?

Cette autonomie ne fait d'ailleurs pas l'unanimité dans les rangs des chrétiens. Le Mouvement démocratique assyrien, ainsi que la hiérarchie chaldéenne s'y opposent en dénonçant une "ghettoïsation". On peut y voir également la crainte d'une perte de leur influence politique. En effet, depuis 1933, la hiérarchie catholique chaldéenne a toujours joué un rôle à Bagdad, d'où leur arabisation et leur choix de siéger dans la capitale irakienne et non dans le nord (à Mossoul comme c'était le cas sous l'Empire ottoman) Enfin l'autonomie peut se comprendre de deux façon : une autonomie "soft", prônée par le Mouvement démocratique assyrien, avec très peu de droits politiques et d'auto-administration locale. La ligne dure rétorque que les chrétiens disposent déjà des droits minimaux et entendent jouir d'une forme plus développée d'auto-gouvernement (dans l'exécutif, la police, etc) ; c'est l'autonomie soutenue par Sarkis (évidemment inspirée de la Région kurde) qui ne la voit possible qu'en union étroite avec le GRK. Mais la "disparition de la scène publique" de Sarkis Aghajan met-elle en cause cette politique ?




Pause et interlude pas très reposant avec la projection du documentaire sur le père Khalil ou Abouna Khalil, le dernier Samaritain, qui, Palestinien réfugié en Jordanie, a maintenant sur les bras les réfugiés d'Irak.

Deuxième table ronde : Une place politique naissante

Florence Hellot-Belliet, professeur orientaliste, Aziz El-Zebari, chargé des Relations extérieures du Conseil populaire chaldéen-syriaque-assyrien en irak, Süleyman Gultekin, chargé des Relations extérieures de European Syriac Union, Saywan Barzani, représentant du Gouvernement régional kurde en France.

Florence Hellot-Belliet, spécialiste des chrétiens d'Iran et notamment des Assyro-Chaldéens du Hakkari a fait paraître, l'année dernière, Les Assyriens du Hakkari au Khabour, en collaboration avec Georges Bohas.

Avec Georges Bohas, ils se sont penchés sur l'exode de 1915 qui amena les chrétiens du Hakkari des montagnes kurdes en Syrie, en passant par l'Azerbaïdjan et l'Irak. Ces chrétiens, en 1915, étaient entre 75 et 90 000. Tous ressortissants de l'église de Perse, sous l'égide spirituelle et temporelle du patriarche Mar Shimoun. Ils vivaient naturellement entourés des tribus kurdes, avant d'en être chassés, et d'errer jusqu'à leur installation définitive en Syrie, sous mandat français, en 1933. Le livre traduit et analyse la mémoire de cette exode dans les réfugiés en Syrie, sous forme de poèmes, et d'épopées traduits par Georges Bohas et que Florence Hellot-Belliet confronte avec les lettres et les récits des missionnaires qui ont assisté aux événements.

En 1915, la situation des chrétiens syriaques de Mésopotamie était celle-ci : il y avait deux centres, l'église d'Orient dans le Hakkari, dirigée par Mar Shimoun et l'église catholique chaldéenne, dont le patriarche, Mar Joseph Emmanuel II Thoma, siégeait à Mossoul.

Au Hakkari, il y avait quatre grandes tribus "nobles" (ashiret) et d'autres sujètes. Les quatre grandes tribus nobles (Tiari, Tkhouma, Djelo, Baz) avaient chacune à leur tête un malek. Mar Shimoun était le chef spirituel et temporel des tribus. Ces chrétiens jouissaient d'une certaine autonomie par rapport à Constantinople, tout comme les tribus kurdes avec lesquelles ils coxistaient et formaient deux grandes confédérations : celle de droite et celle de gauche, qui alliaient des maleks syriaques avc des chefs kurdes. Il y avait naturellement des luttes entre les tribus, que ce soit des tribus kurdes contre des tribus assyriennes, mais aussi des luttes inter-kurdes et inter-assyriennes, sans aucun critère religieux, mais aussi une coexistence séculaire, depuis que la plupart de ces chrétiens et ces Kurdes s'étaient réfugiés dans le Hakkari après l'invasion mongole au XIII° siècle.

La Première Guerre mondiale fut fatale à la présence chrétienne dans le Hakkari. Mar Shimoun et sa soeur, Surma, eurent la très mauvaise idée de s'allier aux Russes alors qu'ils étaient sujets ottomans. Cela fit d'ailleurs éclater la famille du patriarche, entre pro-russes et pro-turcs. Mais après une rencontre qui eut lieu en Perse (relaté par un Lazariste qui y assistait) avec l'envoyé du Tsar, le fameux kurdologue Basile Nikitine, en mai 1915, en plein génocide de chrétiens, ottomans, Mar Shimoun déclare ainsi la guerre à la Sublime Porte. Trois armées ottomanes fondent sur les montagnards chrétiens. Les tribus n'ont pas, cependant, été exterminées comme leurs frères chaldéens ou les Arméniens. Guerriers aguerris et connaissant très bien leur terrain, ils se sont bien battus et succombant sous le nombre, ils ont pu, cependant, se retirer en ordre, avec familles et troupeaux, jusqu'en Perse. Ils arrivent d'abord à Bashkala, et puis dans la vallée de Salmas, à l'ouest d'Urmiah, en territoire perse donc. Les comités pour les réfugiés russo-américains, qui les prennent en charge, en dénombrent envirion 45 000.

45 000 tribaux se retrouvent ainsi coincées entre Simko, le chef kurde en semi-rébellion et l'Iran. Très vite, la région est lassée de ces montagnards et de leurs troupeaux qui ravagent les vergers et la situation est de plus en plus difficile. Leur présence est de plus en plus insupportable aux habitants locaux et les lettres des missionnaires décrivent au jour le jour l'imminence de la catastrophe. Mar Shimoun et Surma sont accusés par les Tabrizi de vouloir fonder un Etat assyrien autonome. Il y a aussi des affrontements avec les armées turques qui traversent la région pour aller se battre dans le Caucase. En même temps, le patriarche voit son pouvoir décliner devant l'autorité montante d'un homme qui n'est ni malek ni ecclésiastique, Agha Petros de la tribu Baz, qui, d'Urmiah, organise la défense des tribus. C'est le début de la perte du pouvoir temporel pour Mar Shimoun, qui meurt, assassiné par Simko, en mars 1918. Il est enterré dans l'église arménienne de Khosroabad.

Enfin, en juillet 1918, les armées turques attaquent les Assyriens (et les Kurdes menés par Simko y participent, en profitant pour prendre les terres des chrétiens du coin, qu'ils convoitaient). Les tribus se défendent et reçoivent des Anglais, qui sont alors à Hamadhan, la promesse de leur soutien s'ils résistent. Mais les Anglais s'aperçoivent vite qu'ils ne pourront pas eux mêmes avancer et demandent alors aux Assyriens hakkari de reculer jusqu'à Hamadhan. Les Turcs poursuivent leur avance et massacrent tous ceux qui n'ont pu s'enfuir. Les massacres ont été perpétrés d'ailleurs aussi bien par les Turcs que les Kurdes ou les iIaniens et contre tous les Assyriens, même locaux.

Ce qu'il reste des Assyriens hakkari qui ont pu fuir est d'abord installé dans un camp de réfugiés à haamdhan. En octobre 1918, les Anglais les transfèrent à Baquba (act. en Irak, donc). Avec le Traité de San Remo, la France et l'Angleterre se sont partagés la gestion des provinces syro-mésopotamiennes mais chacune essaie de grignoter sur l'influence de l'autre. Les Anglais instrumentalisent Surma tandis qu'Agha Petros essaie de négocier avec le général Gouraud, alors Haut-commissaire du Gouvernement français au Levant. Il souhaite faire revenir les tribus dans le Hakkari mais échouera. C'est donc la fin de ces confédérations. Tous réunis à Baquba puis dans le camp de Mandane, tribaux ou non, les Syriaques réfugiés commencent à ressentir un sentiment national. Mais les églises suivent une ligne très différente entre elles. Alors que les Chaldéens renoncent à tout pouvoir temporel, Mar Shimoun II, patriarche des Assyriens, ne prend pas la mesure de l'évolution historique et souhaite garder aussi son autorité politique, ce que l'Irak nouveau ne peut accepté. Il est chassé d'Irak. En août 1933 a lieu le massacre de Simel où plus de 3000 Assyro-Chaldéens furent tués par l'armée irakienne et des tribus kurdes. Les rescapés forcent le passage de la frontière syrienne, à Pesh Khabour, malgré le refus de la France de les accueillir (elle se ravise ensuite, par la force des choses). Ces chrétiens là s'installent donc en Djézireh, dans le "Bec de canard". La Société des Nations prend en main leur installation et en 1937, ils deviennent Syriens. Mais encore aujourd'hui, leurs villages reproduisent les séparations des tribus et on ne se marie guère d'un village à l'autre. C'est tout ce qu'il reste de l'église de Perse...

Aziz El Zebari est le représentant du Comité populaire chaldéen-syriaque-assyrien en Irak. Cette organisation qui rassemble plusieurs partis et associations a été fondée en 2007, à Ankawa, dans le Kurdistan irakien. Dans le manifeste de fondation, l'unification de tous les Syriaques de Mésopotamie a été déclarée avec ce nom à tiroirs qui veut contenir toutes les dénominations historiques, religieuses et politiques de ce peuple, qui a en commun la religion chrétienne, ce qui les fait regarder en Irak comme une minorité religieuse, dans un déni de leurs droits "ethniques". Ils n'ont ainsi pas le droit de s'auto-administrer. Après la chute de Saddam, il y a eu un espoir de changement, mais le seul changement survenu est que 65% des rérfugiés irakiens en Syrie, en Jordanie et ailleurs sont des chrétiens. Ils n'ont pas d'autre choix que de rester en Irak et survivre dans leur pays, dans une autonomie qui est souhaitée par la majorité des Syriaques. Le Conseil (qui réunit 7 partis politiques, ce qui en dit long sur la fragmentation politique des chrétiens, comparés aux Kurdes) a organisé ainsi une manifestation à Dohuk, rassemblant environ 25 000 personnes, demandant l'autonomie. Les résultats des élections irakiennes de janvier 2009 rejoignent aussi ces demandes. La création d'une région autonome est d'ailleurs en conformité avec la Constitution irakienne qui indiquent que des régions peuvent choisir de se regrouper en une région fédérale (comme le Kurdistan) après référendum de la population. Pour le Conseil populaire, cette autonomie passe par la réunification des régions chrétiennes dépendant actuellement de Mossoul et celle gouvernée par le GRK, en collaboration étroite donc avec les autorités d'Erbil. La dénomination Chaldéen-Syriaques-Assyriens a d'ailleurs été approuvée par le Gouvernement kurde et la constitution du GRK réserve 5 sièges au parlement pour ces chrétiens (même chose pour les Turkmènes, et avec une possible augmentation de ce quota si, avec le rattachement des régions concernées par l'article 140, ces minorités augmentent en taille).

Suleyman Gultekin, représente la European Syriac Union, qui a à coeur, bien que s'occupant de la diaspora, de permettre aux Syriaques de rester sur leur terre d'origine et, voire, de faciliter le retour au pays des réfugiés. Lui aussi soutient l'idée d'une autonomie. Il cite les articles 3, 4, 5, 6 et 7 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Puis il passe à la présentation de l'Union Syriaque d'Europe, fondée en 2004, dont l'un des projet est le retour dans leurs terres d'origine de ceux qui le souhaitent et d'informer la diaspora sur la question de l'autonomie. Il cite toutes les rencontres entre l'Union syriaque et des représentants de gouvernements étrangers, notamment en Europe.

Last but not least, Saywan Barzani, représentant du GRK en France, qui expose la situation particulière de la Région du Kurdistan. Il rappelle que cette région a toujours été multiethnique et religieuse, citant le village de Barzan, qui comprenait une mosquée, une église et une synagogue (toutes détruites sous Saddam Hussein), et qu'il serait triste que ces mosaïques de cultes, de langues et de peuples que sont le Kurdistan et la Mésopotamie disparaissent et s'uniformisent. Ni le Kurdistan ni la Mésopotamie ne peuvent être uniformisés comme un Etat-nation.

Actuellement, le Kurdistan d'Irak est la région où les chrétiens ont le moins souffert et où ils reviennent, après les exodes des années 1950-1960, surtout celui de 1961, ordonné par le gouvernement irakien (voir la partie "exodes passés des chrétiens d'Irak dans la conférence de monseigneur Rabban). Beaucoup de chrétiens ont aussi fui dans le grand exode de 1991. Auparavant, sous l'Anfal, 95% des territoires du Kurdistan avaient été détruits. Après la Deuxième Guerre du Golfe de 1991, les trois provinces de Duhok, Erbil, Suleïmanieh ont bénéficié, de la part des grandes puissances, d'une protection "aérienne", sans autre avantage que d'échapper à une invasion étrangère massive (avec quelques accrocs durant la guerre civile). L'embargo, l'absence totale d'existence légale dans cette région rendaient la vie très difficile, pour les chrétiens comme pour les Kurdes (et aussi un peu la guerre civile) Après 2003, les erreurs de l'administration américaine ont provoqué cette catatrophe sécuritaire, notamment en ouvrant totalement les frontières de l'Irak. Ainsi, 26 000 combattants arabes non irakiens ont pénétré dans le pays et 6000 d'entre eux ont commis des attentats suicide : ils sont le pur produit de l'ignorance vivant sous des dictatures à idéologie fanatique.

Saywan Barzani tient à dire que les chrétiens ne sont pas "réfugiés" au Kurdistan, car c'est leur terre. Si le gouvernement a donné 4 à 5 fois plus à ces familles pour leur réinstallation qu'aux musulmans, suscitant même des jalousies, c'était en considérant leur ancien statut socio-professionnel et leur passé de citadins : il leur était plus difficile qu'aux autres de se réacclimater dans des villages à reconstruire. Il faut espérer que la part du budget qui doit revenir à la Région (selon la Constitution irakienne, 17% mais les réticences sont fortes à Bagdad) permette finalement à Erbil de venir en aide plus équitablement à tous les réfugiés.

Les actions du GRK envers les chrétiens concernent aussi l'éducation et des mesures juridiques. Le syriaque est reconnu langue d'enseignement. Il y a environ 70 écoles à Erbil et Duhok qui enseignent en cette langue près de 7 000 élèves, pour 1110 professeurs. La langue araméenne n'est, pour le moment, pas enseignée à l'université. Il faudrait donc soutenir l'ouverture d'une faculté de langue araméenne : "Une université qui enseigne dans la langue de Jésus nous attirerait sûrement beaucoup de touristes dans la Région" explique Saywan, toujours très pince-sans-rire.

Sur le plan juridique, il rappelle que c'est la délégation kurde qui participait à l'élaboration de la constitution irakienne de 2004 qui a imposé au Conseil de Gouvernement de définir les droits des peuples qui vivent en Irak, Turkmènes, Syriaques, etc, et de les mettre sur un plan d'égalité. Quant au Kurdistan, il prépare sa propre Constitution depuis deux ans et s'étant fait envoyer les articles concernant les minorités, Saywan nous livre donc en avant-première un bout de la Constitution du GRK : l'article 5 mentionne les peuples du Kurdistan, à savoir les Kurdes, les Turkmènes, les Arabes, les Chaldéens, les Assyriens, les Arméniens (oui il y en a quelques milliers). L'article 6 garantit les droits religieux de tous, musulmans, chrétiens, yézidis, kaka'i, etc. Les langues turkmènes, syriaque, arabes, arméniennes sont langues d'enseignement. Dans l'article 14, le syriaque et le turkmène sont même déclarées langues officielles dans le GRK. L'article 19 garantit les droits et les libertés générales, mais précise que les lieux de culte ne devront pas être récupérés par des partis ou des associations (ceci visant à mon avis les islamistes prompts à s'emparer des mosquées pour y mener des activités beaucoup plus temporelles que prévues).

Sur la question de l'autonomie, c'est le droit absolu de toutes les composantes de l'Irak de l'appliquer si telle est leur souhait. Le Kurdistan d'Irak n'interviendra pas sur cette question, observant une attitude neutre entre ce débat qui concerne Ninive et Bagdad. Si les Peshmergas sont actuellement présent dans ces districts chrétiens (comme Al-Qosh) c'est uniquement pour en assurer la protection. L'article 35 de la constitution kurde reconnait d'ailleurs le droit à l'autonomie. L'article 41 impose que toutes les composantes du Kurdistan soient représentées au Parlement, au Conseil des ministres, dans les Conseils municipaux, à raison d'un quota de 30% de femmes.

Réponses particulières à Herman Teule : il s'inquiétait de Sarkis Aghajan. S'il a quitté son poste de ministre des Finances et de l'Economie, c'est à la fois pour de graves raisons de santé et aussi parce que le nouveau partage des fauteuil entre le PDK et l'UPK a amené Baiz Talabani à ce poste. Alors qu'il se faisait soigner en Europe, on l'a vu aux côté du président Massoud Barzani, lors de sa visite au Saint Père. Il est actuellement en Autriche et à son retour au Kurdistan, il reprendra d'autres fonctions, mais pas son ancien fauteuil qui a échu à Baiz Talabani lors des dernières négociations.

Enfin, sur ses inquiétudes concernant l'avenir des chrétiens revenus au Kurdistan et ne parlant que l'arabe, Saywan répond que leur situation difficile doit inciter à les aider à s'implanter au lieu de les pousser à l'émigration, notamment en les aidant à trouver du travail. Quant à la langue arabe, elle est aussi reconnue comme langue d'enseignement au Kurdistan, tout autant que le syriaque, le turkmène et l'arménien.

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