dimanche, avril 12, 2009

Ankawa : Dimanche de Pâques

Dimanche de Paques (suite) :

Aussi, quand on descend avec tout l'attirail de Roxane et que le Sayyid nous dit, devant sa voiture, « on y va », il a l'air légèrement décontenancé quand je lui explique : « Non mais, tu sais, on peut y aller à pied. » Roxane prétend qu'il pouvait être tout aussi décontenancé que l'on aille finalement à une messe. Bon, on monte dans son 4/4 et les journalistes, apparemment, suivent dans leur voiture. Rabban fait un signe de croix et c'est parti.

Il y a foule dans le quartier, et les gens marchent nonchalamment en plein milieu de la rue, nous barrant le passage, ce qui fait que Rabban les gourmande à voix haute, sans qu'ils puissent d'ailleurs entendre. Ils mettent même un certain temps à réaliser que leur évêque attend pour passer, alors s'ils veulent leur messe... « N'écrase pas des chrétiens un jour de Pâques, ça ferait mauvais effet » conseillé-je au Sayyid. « Non, non, je ne les écrase pas », me rassure-t-il avec sa douceur habituelle.

L'église Saint-Georges est une petite église à côté de Saint-Joseph, mais je lui trouve plus de charme. Et à petite église, petite messe apparemment. Celle-ci n'a guère duré qu'une heure, encore qu'avec Roxane on aurait pu encore y être la semaine suivante... Il faut savoir que, dans les messes chaldéennes, contrairement à ce qui se passe en France, ce ne sont pas les fidèles qui se déplacent pour aller communier, mais les prêtres et leurs assistants qui circulent entre les travées et proposent la communion. Avec une ou deux autres personnes, Monseigneur, ciboire en mains, passe lui-même dans les rangs et les allées latérales, avant de revenir vers l'autel par l'allée centrale... laquelle était fort inopportunément barrée par Roxane, très affairée à photographier les petits chanteurs (dont l'un d'entre eux avait une voix superbe, il faut le dire).
Je dois dire que j'ai vu arriver le coup de loin... Alors que Monseigneur remontait l'allée et que Roxane lui tournait le dos en lui bloquant tout passage : « C'est pas vrai, elle va quand même se douter de quelque chose... » Je t'en fiche, quand elle a l'oeil sur ses viseurs, un troupeau d'éléphants piétinerait derrière elle qu'elle ne s'en rendrait même pas compte. Alors un évêque et le Seigneur attendant imperturbablement (l'évêque en tout cas avait l'air imperturbable, du moins de dos) que Roxane daigne les laisser passer.... Tout le Paradis, les Anges et les saints pouvaient lui taper sur l'épaule, elle avait l'air d'être partie pour un bon moment. Et Rabban, toujours impassible, ciboire en main, attendant derrière elle, sans mot dire. Euh, je fais quoi ? J'hésite à faire psstt alors que Rabban avait décidément résolu d'endurer tout jusqu'au bout. D'un autre côté, un pssst retentissant dans le silence de mort de l'église (forcément tout le monde attendait), on risquait de se faire remarquer me disais-je, sans réfléchir que de toute façon, on s'était déjà bien fait remarquer. Finalement je me décide, elle se retourne étonnée, lève la tête, la lève encore et s'aperçoit enfin qu'elle gêne légèrement. J'aurais adoré me dédoubler pour voir la tête de Monseigneur à ce moment-là (il devait sans doute avoir envie de l'étrangler) et je me demande si finalement, il valait peut-être mieux qu'on n'apparaisse pas à toutes ses messes des derniers jours.

Sur le chemin du retour (magnanime ou conscient d'avoir affaire à un cas désespéré il ne fera aucune allusion à la superbe prestation de la photographe) il nous informe que cet après-midi, des amis vont venir « fêter » la Pâques. Ce qu'il appelle « fête » s'avère une séance classique de miwanxane, c'est-à-dire de réception dans les salons d'un défilé de visiteurs tous venus s'asseoir en rond, se faire photographier ou filmer, et présentant leurs voeux à l'évêque d'Erbil : le gouverneur, le ministère de la Culture, des Peshmergas 3 étoiles, des soeurs, enfin tout un monde, chrétiens et musulmans. Le grand salon de réception de l'évêché est ouvert pour l'occasion. En plus des portraits des prédécesseurs de Rabban, sont affichés côte à côte celui du Pape et de Molla Mustafa Barzani. Dans ce salon aux tissus dorés, à l'ameublement un peu compassé, un peu lourd, Monseigneur, évidemment en tenue d'évêque, est superbe. Il y en a à qui l'habit et les salons ne font que renforcer cruellement le contraste offert entre une piètre tournure et l'apparat qui l'entoure. Lui, il a vraiment une grâce princière, le despejo.

Nous allons et venons hors du salon, à chaque fois que Roxane veut fumer dans le jardin, mais enfin tout l'après-midi se passe à recevoir et par un miracle inouï, aucune personne ne se prend les pieds dans le sac photo, bref, on arrive à se tenir. Entre deux fournées, Rabban somnole, s'accordant trois minutes de sommeil. Le pauvre, il est vraiment crevé... Une trêve le temps de déjeuner. Comme la femme d'Aras n'est pas là, c'est plats tout préparés pour tout le monde. Monseigneur nous demande si on veut du poulet. Va pour le poulet. Nous voilà donc avec un demi-poulet chacun, et Rabban découpe le sien en pestant, non pas en raison de la difficulté de la manoeuvre (faire valser son bestiau sur les genoux du voisin est une spécialité que nous partageons assez bien Roxane et moi, mais je crois que la messe de ce matin a épuisé notre stock de bourdes), mais parce que c'est du poulet : « Je n'aime pas manger ce genre de choses ». En fait, c'est à se demander ce qu'il aime. Il est, de toute façon, tellement fatigué, qu'après quelques bouchées il part dormir et nous dans Ankawa en quête de la provison quotidienne de marlboro nécessaire à la survie de Roxane.

De retour, le miwankhane est de nouveau plein, et Rabban éveillé et de nouveau en tenue d'évêque. Je le croise dans le couloir, je lui souris, il me sourit et dit « bonjour » comme si on ne venait pas de se quitter il y a à peine une heure. Certains ont un rapport au temps qui m'amuse.

Une fois les derniers invités expédiés, il est tard, environ 19 heures. Rabban nous dit qu'il va voir un malade, qu'il ne mange pas, et nous commande des hamburger-frites et un thé, précise-t-il à Aras (il avait peur qu'on commande de l'arak ?). En fait de thé ce sera du coca, comme quoi on n'est pas toujours suivi par son personnel.

Dehors il fait nuit, il pleut à verse, et bien que ce soit le jour de la Résurrection, c'est quand même, du point de vue de la météo, un des plus pourris que nous avons eu sur Ankawa. Cette fois-ci, Rabban nous précise qu'il va revenir et se fait préciser que nous allons rester. Passant devant nous, sur le seuil, il nous dit au passage, avec ses manières impériales, que nous « pouvons » fermer la porte. Il y a une grandeur émouvante dans cette haute silhouette, mince et sombre, qui s'éloigne dans la nuit, sous une pluie battante, en s'abritant d'un grand parapluie. Je doute que beaucoup d'évêques, en France, partent ainsi, à pied, par un temps de chien, visiter un paroissien, mais de lui, ce n'est pas étonnant du tout. Je peux dire que j'aurais rencontré un vrai chrétien, au moins une fois dans ma vie.

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