66 ans après la chute de Mahabad, un Barzani de retour à Moscou
Photo publiée sur la page Facebook de Massoud Barzani : "Une visite à l'ancien lieu de résidence de feu mon père, Mustafa Barzani, à Moscou". |
Après avoir fait un tour en Europe et notamment au sommet de Davos, au cours du mois de janvier, le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, n’est revenu que peu de temps à Erbil avant de repartir pour Moscou, le 19 février dernier. Les objectifs affichés de ce voyage étaient de « discuter des relations entre la Russie et le Gouvernement du Kurdistan et des développements en Irak et de la région en général ».
Dans la délégation qui l’accompagnait figuraient notamment le fils du président, Masrur Barzani, Conseiller sur la Sécurité au Kurdistan, le vice-premier ministre, Imad Ahmed, le chef du cabinet présidentiel, Fuad Hussein, le ministre des Affaires étrangères, Falah Bakir, Kamran Ahmed Abdullah, le ministre de la Construction et du logement et Ashti Hawrami, ministre des Ressources naturelles depuis plusieurs années. La présence des deux derniers ministres annonçait qu’un des enjeux de cette visite porterait sur des accords économiques et notamment sur l’exploitation et l’exploration des champs de prétrole au Kurdistan, la société russse Gazprom Neft étant jusqu’ici surtout active en Irak, même si, au début d’août 2012, la même société annonçait sa participation à deux blocs dans le Kurdistan irakien : 40% pour celui de Garmiyan et 80% pour celui de Shakal. La compagnie russe estimait alors que les ressources de ces deux blocs atteindraient une production d’environ 3,6 de milliards de barils.
Cette annonce était survenue en pleine controverse entre Bagdad et Erbil sur le droit de la Région à gérer et signer des propres accords avec l’étranger. En cet été 2012, l’Irak avait durci le ton en menaçant les sociétés signatrices de rétorsions dans leurs accords avec l’Irak. À ce moment-là, c’était surtout ExxonMobil qui était visé par Bagdad, et selon l’hebdomadaire Nefte Compass, spécialisé dans les questions d’énergies, le gouvernement de Nouri Maliki a envisagé d'évincer ExxonMobil par LUKOIL (autre société russe) et Gazprom Neft, après une rencontre entre le Premier Ministre Nuri Maliki et Vladimir Poutine. Mais aucune annonce ni acte officiel n’en avaient découlé.
En novembre 2012, des rumeurs contradictoires circulaient sur les activités futures de Gazprom Neft. Des sources proches du gouvernement irakien affirmaient qu’elle avait gelé ses projets dans la Région du Kurdistan, mais d’autres voix, émanant de la compagnie elle-même (sans que son porte-parole s’exprime directement sur cette question) avaient démenti et le porte-parole du GRK, pour sa part, déclarait que Gazprom Neft leur avait fait savoir que les contrats signés entre eux restaient d’actualité.
Mais ce n’est pas uniquement dans le domaine des hydrocarbures qu’Erbil et Bagdad semblent se disputer l'alliance russe. En octobre 2012, Nouri Maliki s’était lui aussi rendu à Moscou et avait signé des contrats d’armement pour un montant de 4 milliards de dollars. Or, depuis la recrudescence des tensions entre Kurdes et Irakiens au sujet de Kirkouk et des autres territoires disputés, la politique d’armement suivie par l’Irak est observée avec la plus grande attention par le GRK, qui y voit une menace directe contre la Région. En décembre dernier, la rumeur avait couru d’un futur achat d’armes pour un montant de 87 millions de dollars dont cette fois bénéficieraient les Kurdes de la part de Moscou mais le porte-parole du Gouvernement d’Erbil, Safin Diyazee, avait démenti cette information en décembre et elle a nouveau été niée aujourd'hui par un autre porte-parole, Omed Sabah, alors que des medias avaient rapporté des propos de Massoud Barzani, niant sans nier (comme à son habitude), que ce n'était pas à l'ordre du jour mais que, si une telle offre se présentait, elle serait la bienvenue
« Notre prochaine mission consiste à préparer le programme des travaux de prospection géologique », a annoncé Validmir Iakovlev premier directeur général adjoint de Gazprom Neft. Malgré cela, il a assuré n’avoir reçu aucun message négatif de la part de Bagdad et que le contrat portant sur le champ de Badra en Irak, n’était pas remis en question.
Autre sujet brûlant évoqué, celui de la Syrie. Damas est soutenu par Poutine, alors que Massoud Barzani est derrière toutes les initiatives pour tenter d’unifier la voix du Conseil national kurde syrien et a servi plusieurs fois d’intermédiaires entre le Conseil national syrien, le CNK et la Turquie. En tout cas, sa position le place ouvertement à l’opposé de Nouri Maliki qui, lui, est resté proche de Bachar Al Assad.
Le dossier nucléaire iranien concerne peu les Kurdes, qui choisissent de rester le plus neutre possible entre Téhéran et Washington, mais par contre l’influence iranienne de plus en plus présente à Bagdad n’a pas contribué à apaiser le climat politique entre les Kurdes et Maliki.
Mais l’entrevue entre Massoud Barzani et Vladimir Poutine, selon le cabinet présidentiel kurde, a surtout porté sur une coopération économique et culturelle renforcée et sur le rôle des sociétés russes dans la reconstruction du Kurdistan.
S'il y a continuité avec la politique de son père, c'est aussi dans ce refus de Massoud Barzani de choisir entre un camp ou un autre, notamment entre les USA ou la Russie. Très souvent soutenus (et tout aussi souvent lâchés) par les Américains, les Barzani ont toujours gardé de bonnes relations avec les Russes et le long séjour de Mollah Mustafa et de ses hommes (dont beaucoup, sur place, ont épousé des Soviétiques et se sont formés là-bas) a toujours permis aux Kurdes d'Irak de garder la même neutralité entre les USA et les Russes ou bien les USA et l'Iran.
Dans la querelle qui oppose la Région kurde à l'Irak, les Américains ont trop souvent tenté de temporiser et même de décourager les velléités autonomistes kurdes pour qu'Erbil ne se fie qu'à Washington pour assurer sa sécurité ou les soutiennent dans leurs différends avec l'Irak. L'histoire, encore, leur fournit quelques avertissements, avec la trahison des Kurdes par Henry Kissinger en 1975. Les commandes d'armes de Bagdad aux États-Unis les ont déjà inquiétés. La dernière sortie de l'ambassadeur américain à Ankara, Francis Ricciardone, mettant en garde la Turquie pour sa politique de partenariat énergétique avec les Kurdes, au détriment de la souveraineté de Bagdad, n'a guère plu à Erdogan, devenu tout soudain le fervent défenseur du fédéralisme constitutionnel irakien.
À l'heure où troupes kurdes et irakiennes se font face depuis des mois à Kirkouk et devant les monts Hemrin, un tel plaidoyer contre l'autonomie kurde n'a sans doute pas été apprécié à Erbil. Quoi qu'il en soit, cette visite et l'accord avec Gazprom Neft, camouflet supplémentaire adressé à la politique centralisatrice du Premier Ministre irakien, permettent aux Kurdes de se poser comme puissance économique indépendante, quelques mois après le séjour de Maliki à Moscou.
Massoud Barzani a profité de son séjour à Moscou pour visiter la maison que son père, Mustafa Barzani, a habité lorsque, après sa légendaire «longue marche» de Mahabad jusqu’en Russie, il est resté plusieurs années en exil. 66 ans après la chute de la République de Mahabad qui avait vu le père et 500 peshmergas demander asile aux Russes, le fils revient en tant que président d'un proto-État kurde arborant les mêmes couleurs que Mahabad mais devant tout autant se garder des amitiés américaines que des promesses éventuelles d'armement russes.
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