KURDISTAN D’IRAK : POLÉMIQUE SUR UNE EXPORTATION CLANDESTINE DE PÉTROLE
Un hebdomadaire d’opposition, Rozname, a publié le 20 juillet un article accusant les deux partis au pouvoir de toucher des pots-de-vin dans une contrebande de pétrole destinée à l’Iran. Estimant cette accusation sans fondement, le Parti démocratique du Kurdistan, dirigé par le président kurde Massoud Barzani a porté plainte pour « diffamation » contre le journal Rozname, en réclamant un milliard de dollars de dommages et intérêts.
L'Observatoire de la liberté de la presse en Irak a fait part de sa « préoccupation » en soulignant que c’est « la somme la plus importante jamais exigée dans l'histoire de la presse en Irak ».
Rozname, fondé en 2007, appartient au chef du parti d'opposition Goran Nauchirwan Moustafa, affirme en effet que "ce trafic rapportait des millions de dollars aux deux partis traditionnels le PDK et l'Union patriotique du Kurdistan". Le secrétaire du PDK, Fazel Mirani, a également réclamé l’interdiction de sortie du territoire du journaliste à l’origine de l’article, Sirwan Rachid, ainsi qu’au rédacteur en chef d’une autre revue, Azad Jalak. "Nous avons décidé d'ester en justice et de demander des compensations au journal car il nous accuse de corruption. Il doit apporter les preuves de ce qu'il avance et s'il n'en a pas c'est notre droit de demander des indemnités", a déclaré un responsable du bureau politique de PDK.
À l’origine de l’affaire, c’est un article du New York Times qui a fait part, le 8 juillet d’une possible contrebande de pétrole avec l'Iran, information relayée par l’AFP dont un correspondant signalait sur la route de Bashmakh, 150 camions-citernes attendant de passer la frontière iranienne, en violation de l’embargo. En réaction à l’article du New York Times, le gouvernement kurde a fait une déclaration publique, le 11 juillet, réfutant ces accusation et affirmant que la Région n’exportait pas de pétrole brut mais seulement des produits pétroliers lourds fournis par ses trois raffineries, inutilisables au Kurdistan et dont le stockage peut avoir des conséquences sur l’environnement.
L’activité des raffineries kurdes est autorisée par la loi sur les hydrocarbures votée en 2007 par le parlement irakien et que le surplus de ces produits pétroliers. Le GRK a cependant admis que du pétrole raffiné en dehors du Kurdistan, dans les autres régions irakiennes, pouvait être exporté clandestinement via ses propres frontières et a promis une série de mesures afin d’y mettre un terme.
Déjà mis en cause par la presse d’opposition dans des affaires de corruption, le ministre des Ressources naturelles du Kurdistan, Ashti Hawrami, dans une interview accordée au journal Rudaw, s’explique longuement sur cette affaire. Ainsi, il nie avoir été en désaccord avec le Premier ministre Barham Salih sur cette question et avoir organisé clandestinement des ventes de pétrole à l’Iran. Selon le ministre, ces ventes se situent dans un cadre légal, celui de la Constitution, et ont été approuvées par le président Barzani. Les accusations du New York Times seraient à mettre en rapport avec le conflit qui oppose Bagdad et Erbil depuis le début, sur la gestion et l’exploitation des ressources pétrolières kurdes et que les affirmations du parti Gorran, notamment celles du député Mala Nuri, membre du parti Gorran, sont sans fondement. « Le pétrole brut du Kurdistan n’est pas exporté. Parfois les gens confondent pétrole brut et produits pétroliers. Donc, si il [Mala Nuri] parle de pétrole brut, il se trompe. »
Quant aux revenus tirés de la vente des produits pétroliers, le ministre kurde affirme qu’ils sont reversés sur un compte du ministère des Finances, compte bloqué en attendant que le conflit avec Bagdad soit résolu. Il affirme également que les ventes vers l’Iran se sont faites légalement et que le gouvernement central en était informé, comme l’exige la loi sur le pétrole, ce que nie Hussein Sharistani Jihad, le ministre irakien du Pétrole, connu pour ses relations très conflictuelles avec la Région kurde, via son porte-parole Assem Jihad. Ce dernier a même menacé de soustraire du budget alloué à la Région du Kurdistan les revenus que le GRK tirerait de ces ventes. Interrogé sur cette possible rétorsion, Ashti Hawrami a déclaré laconiquement : « Nous avons notre propre gouvernement et notre propre parlement et nous prenons nos propres décisions. »
Abdullah Mullah Nuri, député du parti Gorran ne se dit pas surpris que cette affaire envenime davantage les relations entre le gouvernement fédéral et le Kurdistan, avant d’ajouter qu’il croyait que ces allégations de contrebande étaient largement véridiques : « Il y a toujours eu des tensions entre le gouvernement central et le Kurdistan au sujet du pétrole. Dès lors que l’information d’un trafic est révélée, elle devient un élément du conflit. Les relations entre Erbil et Bagdad deviendront plus compliquées et tous les politiciens vont vouloir user de cet atout en leur faveur. Même les USA pourraient se servir de ce problème pour faire pression sur les Kurdes. »
Des experts politiques estiment que le prochain gouvernement – dont la formation est encore incertaine – pourrait profiter de cette affaire pour réformer l’actuelle loi sur le Pétrole et réguler la distribution des revenus tirés des ressources naturelles dans tout l’Irak, Kurdistan compris. Cependant, les résultats des dernières législatives ayant amené les deux principales coalitions sunnites et chiites arabes au coude à coude, un accord peine à être trouvé pour former un gouvernement de coalition viable, et les Kurdes toutes tendances comprises disposant de 63 sièges au Parlement ont un rôle clef à jouer dans les négociations pour la formation d’un futur gouvernement.
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