Agatha Christie et les femmes kurdes
En compagnie de son époux l'archéologue Max Mallowan, la romancière Agatha Christie fait plusieurs séjours en Syrie et en Irak, racontant avec beaucoup de drôlerie les aléas du "camping" entre Hassatché et Kamichliyé, avec les équipes d'ouvriers arabes, arméniens, yézidis. Ayant elle-même un caractère assez indépendant et bien trempé, c'est avec approbation qu'elle note la gaieté, les plaisanteries très lestes et la fierté des femmes kurdes, si éloignées de la "timidité" des Arabes :
J'aperçois au loin un groupe de femmes qui viennent dans ma direction. À la gaieté des couleurs de leurs vêtements, je déduis qu'elles sont kurdes. Elles sont occupées à ramasser des racines et à arracher des feuilles. Elles s'avancent en droite ligne vers l'endroit où je me repose puis s'assoient en rond autour de moi.
Ces femmes kurdes sont aussi joyeuses que ravissantes. Elles portent des couleurs éclatantes, sont coiffées de turbans orange vif, et leurs robes sont vertes, pourpres et jaunes. Elles sont grandes et marchent la tête haute et le regard lointain, c'est pourquoi elles ont toujours fière allure. Elles ont des visages de bronze, des traits réguliers, les joues rouges et, en général, les yeux bleus.
Les hommes kurdes ressemblent presque tous à un portrait en couleur de Lord Kitchener qui était accroché dans la nursery quand j'étais enfant. Visage rouge brique, énorme moustache brune, regard bleu, air martial et fier !
Dans cette partie du monde, on trouve autant de villages kurdes que de villages arabes. Les deux peuples ont le même style de vie, la même religion, mais à aucun moment vous ne confondriez les femmes kurdes et les femmes arabes. Ces dernières sont immanquablement pudiques et en retrait ; elles tournent la tête lorsque vous leur parlez ; et si elles vous observent, c'est de loin. Elles ne sourient que timidement, tout en détournant à moitié le regard. Le plus souvent, elles portent du noir et des couleurs sombres. Et aucune femme arabe n'adresserait la parole à un homme ! À l'inverse, les Kurdes n'ont aucun doute sur leur propre valeur : elles valent les hommes, ou mieux encore ! Elles sortent de leurs maisons et se mettent plaisanter avec le premier venu, et leurs journées s'écoulent dans la bonne humeur la plus parfaite. Elles n'hésitent pas à rudoyer leurs maris. Les ouvriers de Djarâbulus, qui n'ont pas l'habitude d'avoir affaire à des Kurdes, sont profondément choqués.
"Je crois que je n'ai jamais entendu une femme respectable s'adresser ainsi à son époux ! s'exclame l'un d'eux. Je ne savais plus où me mettre."
Ce matin, mes femmes kurdes me détaillent avec un intérêt non feint, et elles échangent des commentaires grivois. Elles sont très amicales, me font des signes, rient et me posent des questions, puis soupirent et secouent la tête tout en se tapotant les lèvres. Elles me disent clairement :
"Quel dommage que nous ne puissions pas nous comprendre !"
Elles prennent l'un des pans de ma jupe et l'examinent attentivement. Elles tirent sur ma manche et désignent le tertre. Suis-je l'épouse du khwaja ? J'acquiesce de la tête. Elles me posent alors toute une série de questions à brûle-pourpoint, puis se mettent à rire en réalisant qu'elles ne pourront pas comprendre mes réponses. Il va sans dire qu'elles veulent tout savoir sur mes enfants et mes fausses couches !
Puis elles essaient de m'expliquer à quoi vont servir les herbes et les feuilles qu'elles ramassent. Peine perdue ! Nouvel éclat de rire général. Elles se lèvent, sourient, inclinent la tête et disparaissent, tout en bavardant et riant. Elles me font penser à un bouquet de fleurs aux couleurs gaies et intenses... Elles vivent dans des masures de boue et ne possèdent que quelques poêles et casseroles, pourtant leur allégresse et leur rire sont des plus spontanés. Cette existence, avec son petit côté rabelaisien, les enchante. Elles sont belles, robustes et radieuses.
Waouww :) La plus belle description faite des femmes Kurdes :D
RépondreSupprimer