mercredi, décembre 30, 2009

TURQUIE : INTERDICTION DU DTP, RAFLE POLICIÈRE DANS LES MILIEUX POLITIQUES KURDES


Les 11 juges de la Cour constitutionnelle ont statué à l’unanimité : Comme la plupart des observateurs politiques s’y attendaient, le principal parti pro-kurde de Turquie, le DTP, a été dissous par la cour constitutionnelle turque le 11 décembre, au motif d’être : « un foyer d'activités préjudiciables à l'indépendance de l'Etat et à son unité indivisible ». 37 cadres de ce parti et ses deux co-présidents, Ahmet Türk et Aysel Tugluk ont, quant à eux, été bannis pour 5 ans de toute vie politique. Ces deux derniers, députés, ont ‘té déchus d’office de leur mandat de député.

Cette décision met dans l’embarras le gouvernement AKP, tant vis-à-vis de l’Union européenne que des interlocuteurs kurdes dont il espérait un certain soutien dans sa politique de résolution du conflit, mais a été accueillie avec satisfaction par l’opposition, notamment le président du CHP, Deniz Baykal, qui a parlé de « décision juste et fondée juridiquement. » D’abord enclins à se retirer du Parlement, les 19 députés DTP ont finalement choisi de rester et de fonder un autre parti, le Parti de la démocratie et de la paix (BDP). Les débats ayant eu lieu ouvertement à l’intérieur du DTP comme du PKK, et les représentants du DTP n’ayant pas caché que c’est sur les « conseils » du leader du PKK, Abdullah Öcalan, que la décision de rester au parlement avait été finalement retenue, un autre acte d’accusation a été lancé contre Ahmet Türk, le 23 décembre.

L ‘interdiction du DTP a été critiquée par l’Union européenne, ainsi que par le gouvernement AKP, qui fait face à une opposition ferme de la part des milieux nationalistes et militaires dans ses tentatives de résoudre la question kurde en Turquie. La nouvelle de cette dissolution a d’ailleurs provoqué plusieurs incidents violents, allant de manifestations tournant à l’affrontement, notamment dans les grandes villes de l’ouest où vivent nombre de Kurdes déplacés, jusqu’à des émeutes dans les grandes villes kurdes comme Diyarbakir ou Hakkari, principaux fiefs électoraux du DTP.

Critiqué par les uns pour « complicité avec les séparatistes », par les autres pour l’insuffisance des mesures annoncées, Recep Tayyip Erdogan et son équipe soufflent le chaud et le froid sur la question kurde, tout autant que sur les milieux nationalistes, notamment par de soudains coups de filets policiers, tant dans le cas de l’affaire Ergenekon que dans les milieux kurdes, régulièrement accusés de liens avec une organisation « terroriste ». C’est ainsi que le 24 décembre, la police de Diyarbakir a arrêté plus de 80 personnes à leur domicile, toutes suspectées de « menées séparatistes » et de liens avec le PKK. Le coup de filet a eu lieu simultanément dans 11 provinces. C’est la troisième fois cette année que de telles opérations policières ont lieu, mais celle-ci a frappé et indigné particulièrement l’opinion kurde, car venant juste après la dissolution du DTP et semblant confirmer les avis sceptiques sur la réelle volonté de réformes de l’AKP. Les maires kurdes arrêtés sont Selim Sadak, le maire de Siirt ; Abdullah Demirbas, le maire de la vieille ville de Diyarbakir (Sur), qui a eu fréquemment des démêlés avec l’appareil judiciaire, en raison de ses initiatives pour la promotion des langues kurde, syiaque, arménienne et arabe dans sa ville ; Aydin Budak, le maire de Cizre ; Ethem Sahin, le maire de Suruç ; Ferhan Türk, maire de Kiziltepe ; Leyla Güyen, maire de Viransehir et NecdetAtalay, maire de Batman. 35 autres prévenus sont membres de partis kurdes ou d’ONG, de mouvements de défense des droits de l’homme.

Le président du tout nouveau parti BDP, Demir Çelik, a condamné l’opération qui ne peut, selon lui, qu’accroître les tensions et pointe l’incohérence de la politique turque à l’égard des Kurdes : « Je tiens à souligner que ces opérations témoignent d’une évolution qui ne correspond pas au processus et aux plans du gouvernement. » Dans un entretien donné au journal turc Bianet, le bâtonnier de Diyarbakir, Mehmet Emin Aktar, y voit, lui, une grave erreur de jugement de la part de l’AKP : « La position du gouvernement n’est pas claire (…) Toutes les opérations d’arrestations et de détention ne font qu’aggraver la douleur des Kurdes. Il est faux de croire que le peuple kurde perdra sa force armée une fois que tous les recours légaux auront été épuisés. En faisant cela, ils continueront d ‘affronter des jeunes qui ont grandi durant les confits des années 1990. » Plus virulent, le maire de Diyarbakir, visiblement exaspéré, a lancé aux caméras de télévision : « Je n’ai qu’une chose à dire aux personnes qui font la distinction parmi nous entre les faucons et les colombes et c’est d’aller se faire f... ! » provoquant un scandale dans des media turcs comme le journal Hurriyet, plus prompt à se scandaliser d’écarts de langage que de manquements aux droits de l’homme. Osman Baydemir a ajouté : « Après 80 ans, pour la première fois, l’État turc lançait des initiatives pour vivre ensemble avec les Kurdes. Nous y avons cru et nous l’avons soutenu. Mais une fois de plus, nous voyons que c‘était un piège pour anéantir le combat des Kurdes. »

Malgré la colère kurde, la volonté de maintenir un groupe parlementaire au parlement l’a finalement emporté et un nouveau groupe de députés s’est formé, composé des 19 ex-DTP auxquels s’est rallié un député indépendant d’Istanbul, Ufuk Uras. La nouvelle composition de l’assemblée nationale est donc la suivante, sur un total de 544 députés : Parti de la Justice et du développement (AKP) : 338 sièges ; Parti républicain du peuple (CHP) : 97 sièges ; Parti du mouvement nationaliste (MHP) : 69 sièges ; Parti de la paix et de la démocratie (BDP) : 20 sièges ; indépendants : 10 ; Parti démocratique de gauche : 8 ; Parti de la Turquie : 1. Cela n’a pas empêché la poursuite de violents affrontements dans les rues kurdes, entre manifestants et policiers, faisant une dizaine de blessés à Diyarbakir, dont deux policiers, et entrainant une dizaine d’arrestations. À Hakkari et Yuksekova, les forces de l’ordre ont à nouveau dû se heurter à des adolescents cagoulés qui leur ont jeté des pierres, bravant les jets de gaz lacrymogène et les jets d’eau.

La décision d’interdiction du DTP, outre qu’elle a suscité la désapprobation de l’Union européenne, a été également vivement condamnée par Massoud Barzani, le président de la Région du Kurdistan d’Irak et peut avoir aussi une incidence sur le devenir des réfugiés kurdes du camp de Makhmour, que le récent climat de détente relatif sur la question kurde, de la part du gouvernement AKP, avait remis sur le devant de la scène. Ayant fui le Kurdistan de Turquie et la guerre en 1996, les quelques 12 000 réfugiés du camp de Makhmour, installés par le Haut-Commissariat aux réfugiés, sont dans une situation politique et sociale difficile, à la fois très « encadrés » par les cadres du PKK, et maintenus dans une zone intermédiaire, ni tout à fait en Irak ni tout à fait au Kurdistan, puisque Makhmour fait partie des territoires revendiqués par le GRK et cités dans l’article 140. À l’automne dernier, leur rapatriement avait été accepté par Ankara, mais les conditions posées par le PKK à leur retour, ainsi que les manifestations de liesse qui avaient accompagné à la fois un groupe de civils de Makhmour et des combattants descendus de Qandil en « émissaires de paix », et qui avaient choqué l’opinion publique turque, avaient plus ou moins ralenti le calendrier de ce retour, sans toutefois l’annuler définitivement. Les dernières rafles policières dans les milieux militants kurdes en Turquie incitent donc les Kurdes de Makhmour à une certaine défiance et, alors que le ministre de l’Intérieur turc, Besir Atalay, était en visite officielle à Bagdad, ils ont défilé dans les rues de la ville pour protester, en brandissant des portraits d’Öcalan et des drapeaux du PKK. Enfin, rompant quelque peu avec le ton d’apaisement et d’optimisme qui s’était instauré ces derniers mois au sujet des relations kurdo-turques, Massoud Barzani a fait part, dans un communiqué, de sa « colère » après la dissolution du DTP, tout en approuvant les récentes initiatives du gouvernement turc :« La présidence (de la région autonome) exprime sa colère après l'interdiction par la Cour constitutionnelle turque du DTP mais en revanche salue l'ouverture du gouvernement du Parti de la justice et du développement . Elle espère que le verdict de la Cour constitutionnelle ne stoppera pas le processus et appelle toutes les factions turques à s'engager dans une politique de réconciliation pour qu'elle réussisse. »

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