Le Voyageur sans bagage
Dans sa pièce de théâtre, Jean Anouilh s'inspire d'un cas réel, un soldat de la guerre de 14-18, amnésique, que plusieurs familles ont réclamé comme étant "leur disparu", et qui s'est trouvé ainsi déchiré entre plusieurs passés possibles.
Le Kurdistan vient de connaître un autre voyageur sans bagage, dont l'ignorance de son identité n'est pas due à l'amnésie, mais à son jeune âge, au moment où il fut séparé de sa famille.
"Ali Pour", comme on l'a nommé toutes ces années, aujourd'hui âgé de 21 ans, était en effet si jeune, 4 mois, le 16 mars 1988, quand tombèrent 200 bombes chimiques sur Halabja, qu'adopté en Iran, il n'avait jamais pu éclaircir le secret de ses origines.
Ramassé dans les rues de Halabja 3 jours après l'attaque, envoyé à Téhéran, le bébé devait ensuite être élevé dans un orphelinat mais il fut finalement adopté par une Persane de Mashad, Kubra, qui proposa de l'élever avec ses deux enfants.
"Ma mère adoptive était très bien", raconte "Ali Pour", quand je suis entré à l'école primaire, elle m'a dit que je venais du peuple kurde de Halabja. Elle a dit que je devais y retourner un jour, pour y rencontrer ma famille."
Kubra Pour est morte il y a 4 mois, dans un accident de voiture. "Je me suis senti seul", raconte son fils adoptif, et j'ai ressenti comme un étrange appel, pour retourner dans les bras de mes parents. J'ai décidé de revenir."
"Ali Pour" prend d'abord contact avec les officiels iraniens qui ont consigné toutes les informations disponibles sur les survivants de Halabja. Eux-mêmes contactèrent alors les responsables de Halabja, qui répondirent que six familles avaient perdu un garçon de l'âge qu'avait Ali Pour. Un juge demanda alors que des tests ADN soient faits en Jordanie.
Pendant une semaine, les media kurdes ont largement traité et relayé l'attente des familles. Puis le juge a annoncé les résultats, dans un grand silence : Ali Pour s'appelle en fait Zimnaku Mohammed Saleh, et est l'unique enfant survivant de Fatima Mohammad Saleh, âgée de 58 ans, qui a perdu ses six autres enfants et son mari le 16 mars 1988.
Quand l'attaque se produisit, pris de panique, toute la famille était sortie en hâte de chez elle et se retrouva à courir dans les rues.
"Nous ne savions pas où aller", raconte la mère du miraculé. "Zimnaku était dans mes bras quand mon fils aîné a crié : "Maman, je sens que je brûle !" J'ai essayé de l'aider, et aussi mes autres fils. Mais c'était en vain. Je les ai vus mourir devant moi. Je me suis évanouie et la première chose dont je me suis souvenue ensuite, était d'être dans un lit d'hôpital, à Téhéran."
Zimnaku a miraculeusement survécu aux gaz et est resté 3 jours dans la rue avant d'être découvert et ramassé par l'armée iranienne, qui l'emmena lui aussi à Téhéran, sans savoir si ses parents avaient survécu (c'était un tel amas de corps tombés en si peu de temps qu'il fallut un mois pour tout déblayer, identifier les cadavres quand on pouvait encore, et les enterrer, dans des tombes "familiales" ou des fosses communes.
Zimnaku (qui ne parle que le persan), sa mère et sa famille adoptive ont été reçus le 5 décembre par le Premier Ministre Barham Salih, qui a remercié au nom de tout le gouvernement kurde les Persans d'avoir pris soin du jeune Kurde. Il a rappelé que les Kurdes qui ont survécu à l'Anfal se souviennent tous de la gentillesse qu'ils ont reçue des Iraniens, alors que le monde entier se taisait sur les horreurs de l'Anfal.
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