IRAN : MANIFESTATIONS ET « GUERRE DE LA TOILE »
De nombreuses manifestations ont émaillé ce mois de décembre, prouvant que l’opposition de la rue iranienne ne désarme pas, malgré la violence avec laquelle elle est réprimée. On assiste même à une radicalisation des affrontements, l’enjeu dépassant de très loin, à présent, la réélection suspecte d’Ahmadinejad : c’est le pouvoir même du Guide suprême, Ali Khamenei, qui est dénoncé et défié, même au sein des cercles religieux.
Le 7 décembre, « Journée de l’Étudiant » en Iran, s’est ainsi transformée en journée de la contestation sur les campus universitaires. La police a rapidement cerné les facultés, empêchant le reste de la population d’y rejoindre les étudiants, mais n’y parvenant pas toujours : Ainsi, à l’université Amir Kabir, la foule a forcé les portes et s’est mêlée aux étudiants. Malgré les coupures d’accès à Internet et celle des réseaux portables, le mot d’ordre a été efficacement relayé dans les milieux estudiantins, et des images video des manifestations, captées sur des portables ont, une fois de plus, fait le tour du monde sur le Web, alors que les journalistes étaient, une fois encore, interdits sur les lieux.
C’est lors de cette journée que l’on a pu observer que la contestation de la jeunesse iranienne a franchi un pas, en s’attaquant cette fois aux symboles, jusque-là tabou, du pouvoir religieux et du caractère islamique de la république. : Un drapeau iranien sans le nom d’Allah figurant dessus a été brandi à l’université Khajeh Nasir de Téhéran, un portrait d’Ali Khamenei a été brûlé aux cris de « Mort à toi ! » et même celui de l’ayatollah Khomeiny, ce qui a scandalisé les milieux proches du pouvoir, qui ont fustigé Moussavi et Karroubi, les deux principaux leaders de l’opposition en appelant à leur arrestation. Ces derniers ont parlé de « provocations » de la part de milieux bassidji (milices gouvernementales), argument relayé aussi par certains groupes d’étudiants. Quoi qu’il en soit, cela n’a pas empêché le pouvoir iranien de se fissurer davantage, faisant même craindre une « désobéissance civile de l’armée ».
Ainsi, des sites Internet ont relayé un appel rédigé par des officiers et soldats des armées de Terre et de Mer, protestant contre les exactions des Gardiens de la révolution (Pasdaran). Même si ce texte n’a pas été émis de façon officielle, un certain nombre d’observateurs iraniens en exil, journalistes ou hommes politiques, le jugent authentique :
“Au nom de la pureté divine.L’armée est le refuge du peuple. Durant les années de guerre lorsque nous combattions aux côtés de nos frères des gardiens de la révolution, nous défendions la terre, la dignité, la survie et les biens du peuple iranien. La richesse de notre pays tient en la valeur de son peuple. L’arme des militaires et des gardiens de la révolution doit servir le peuple, il en va de même de leurs vies. Jamais nous n’aurions pensé, au moment où, main dans la main nous donnions notre vie pour défendre notre patrie, qu’aujourd’hui un groupe isolé parmi les honnêtes soldats des gardiens de la révolution retournerait ses armes contre le peuple. L’armée se sait être le refuge du peuple et ne se fera jamais l’outil de la répression des citoyens par les politiciens. Nous n’irons pas à l’encontre de la neutralité que notre fonction exige de nous, mais nous ne pouvons garder sous silence les souffrances et les viols que subissent notre peuple. Nous exigeons des soi-disant gardiens de la révolution d’arrêter de violer et de prendre la vie, la dignité et les biens du peuple iranien sous peine d’avoir en retour la colère des braves soldats de l’armée. L’armée est le refuge du peuple et elle défendra jusqu’à la dernière goutte de son sang ce peuple digne et pacifiste.”(traduction whereismyvote.fr).
L’Ayatollah Ali Khamenei est donc monté aux créneaux une fois de plus, tentant de discréditer l’opposition, et notamment Moussavi et Karroubi, accusés de faire le jeu des puissances occidentales, voire même de leur être inféodés : “Ils devraient s’inquiéter lorsqu’ils voient des gens corrompus, des monarchistes, des communistes, des danseurs et musiciens exilés les soutenir” Ceux qui crient ces slogans au nom de ces personnes (leaders de l’opposition), brandissent leur portrait et parlent d’eux avec respect, sont à un point qui est l’exact opposé de l’Imam (Khomeiny), de la Révolution et de l’Islam”.
Parallèlement la « guerre de la Toile » se poursuit, parfois sur le mode de l’humour. Ainsi, l’étudiant Majid Tavakoli, un des leaders du mouvement, arrêté le 7 décembre, a été photographié affublé par les Pasdaran d’un tchador féminin, afin de le ridiculiser, les Gardiens de la révolution l’accusant d’avoir tenté de fuir déguisé en femme, ce que contestent d’ailleurs les témoins de son arrestation. La photo a été publiée par l’agence Fars News, proche du gouvernement, qui en fait un parallèle avec la figure de Banisadr, le premier président de la république islamique, accusé lui aussi, en son temps, d’avoir fui sous des vêtements de femme. Mais loin de discréditer le prestige de Tavakoli, le cliché, montage ou non, a immédiatement été détourné de son but premier par des centaines d’Iraniens dans le monde, qui se sont fait tous photographier dans leur profil facebook, ou sur Twitter, ou filmés dans des vidéos diffusées sur You Tube, vêtus de tchador, avec le message : « Nous sommes tous Majid ». Parmi eux, des personnalités en vue, tels que Hamid Dabashi, professeur à l’université Columbia, ou Ahmad Batebi, le leader étudiant des révoltes de 1999, qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Enfin, des portraits de Khamenei et d’Ahmadinejad ont également circulé affublés du même tchador.
En représailles dans cette « guerre de la Toile » le site Twitter a été brièvement piraté par un groupe se présentant comme la “Cyber Armée iranienne”, qui ont remplacé la page d’accueil de Twitter par un drapeau vert encadré de deux étoiles rouges, avec les mots « Vive l’Imam Hossein » suivi de : “Nous devrons frapper si le Guide l’ordonne, nous devrons perdre nos têtes si le Guide le souhaite”. “Ceux qui mènent le combat sur le chemin de Dieu l’emportent”. Selon l’opposition iranienne, il s’agirait d’un groupe de hackers (pirates) russes, employé par les Pasdaran, qui a piraté des sites dissidents.
Le 18 décembre, jour de l’Achoura, la célébration religieuse la plus solennelle pour les chiites, commémorant la mort de l’Imam Hussein, n’a pas été épargnée par les violences, ce qui rompt une fois encore un tabou, jamais violé depuis la révolution de 1979 : ce jour-là, en effet, doit être exempt de tout sang versé, même celui d’animaux. La veille, avait été organisée une « manifestation de soutien » au pouvoir, aux cris de « Mort à Moussavi ! »s’inspirant sans doute du prêche de Mohammad Hassan Rahimian, ancien représentant du Guide suprême pour la Fondation des martyrs, qui, lors de la prière du Vendredi avait réclamé l’exécution des leaders de l’opposition. Le succès de ces défilés est incertain, l’agence officielle de presse IRNA parlant de « millions de manifestants », des témoins contactés à Téhéran n’en indiquant que quelques milliers, souvent des fonctionnaires plus ou moins volontaires, ou des membres de milices. Ni Mehdi Karroubi ni Hossein Moussavi n’avaient appelé à une contre-manifestation, par crainte de violents affrontements. Le lendemain, jour de l’Achoura donc, les manifestations d’opposants ont eu lieu dans les grandes villes et ont été violemment réprimées, faisant plusieurs morts, au moins huit selon les chiffres officiels. Les jours suivants, plusieurs personnalités proches de Moussavi étaient arrêtées, tandis que la voiture de Mehdi Karroubi était attaquée.
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