IRAK : PREMIERE VISITE DU CHEF DE L’ETAT TURC DEPUIS 34 ANS


Le 23 mars, le président turc Abdullah Gül effectuait la première visite d’un président de Turquie en Irak, depuis 34 ans, depuis que le président Fahri Korutürk avait rencontré son homologue irakien Ahmed Hassan al-Bakr, le prédécesseur de Saddam Hussein, en 1976. D’une durée de deux jours, ce déplacement avait pour objectif principal d’aborder la question du PKK avec le gouvernement irakien. Déjà, lors du 5e Forum mondial de l'eau à Istanbul, le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, avait annoncé un appel commun de tous les partis kurdes d'Irak, de Syrie, d'Iran, de Turquie et d'Europe, afin que le PKK dépose les armes. Quant au problème de l’eau, c’est une source ancienne de conflits entre la Turquie et ses voisins syrien et irakien, en raison des barrages turcs sur le Tigre et l’Euphrate, qui ralentissent le débit des deux fleuves. Selon l'ONU, "la construction de nouveaux barrages et de réservoirs dans les pays voisins de l'Irak pourrait conduire à une baisse des eaux qui représentent 76% du débit annuel des fleuves Tigre et Euphrate".

Abdullah Gül s’est entretenu principalement avec Jalal Talabani, qui s’était lui-même rendu à Ankara l’année passée, toujours pour discuter de la question du PKK. Le président turc a également rencontré Nouri Al-Maliki, le Premier ministre ainsi que le Premier ministre de la région du Kurdistan, Nêçirvan Barzani, qui avait fait le déplacement d’Erbil à Bagdad. Sur la question du PKK, Jalal Talabani n’a fait que réitérer publiquement les ultimatums déjà lancés à ce sujet, sans qu’ils aient jamais été suivis d’actions précises : « Le PKK a deux choix possibles : Déposer les armes ou quitter l'Irak. Il faut que le PKK se lance dans la vie politique et parlementaire et cesse d'user des armes, car cela fait du tort aux Kurdes comme aux Irakiens. Notre Constitution interdit les groupes armés, le PKK comme les autres. »

Cet ultimatum a été appuyé par le Premier ministre du Gouvernement régional kurde, Nêçirvan Barzani. A son retour d’Erbil, il a ainsi déclaré à la presse : « Il n'est pas raisonnable qu'un groupe mène des attaques contre un Etat puis revienne dans notre région ». Mais, comme d’habitude, le chef du gouvernement kurde a nié toute efficacité à des moyens militaires contre les bases de Qandil : « Ce problème ne sera pas résolu par des moyens militaires, l'expérience le montre », a-t-il ajouté, faisant sans doute allusion aux nombreuses incursions de l’armée turque dans cette zone, et à l’opération lancée en février 2008, qui s‘était soldée par un lourd bilan dans les rangs turcs.

Dans le même temps, les rapports de plus en plus conflictuels entre Bagdad et Erbil devraient faire l’objet d’une normalisation. C’est en tout cas ce qu’a déclaré, dans la foulée, le Premier ministre kurde, qui a profité de sa visite à Bagdad pour s’entretenir également avec Nouri Al-Maliki : « Nous avons décidé de normaliser nos relations et nous attendons la venue prochaine d'une délégation de Bagdad pour régler nos différends » Parmi les griefs et les inquiétudes kurdes, la volonté politique du Premier ministre chiite d’orienter sa politique vers une centralisation de l’Irak, avec un accroissement de son propre rôle au sein de l’Etat. S’y ajoutent la création, par ce même ministre des « Comités de soutien », milices composées de tribus arabes, dans des régions revendiquées par les Kurdes et devant faire l’objet d’un référendum selon l’article 140 de la constitution irakienne, en plus de la répartition et de la gestion des ressources pétrolières. Au sujet de Kirkouk, la mission à Bagdad de l’ONU préconise un « partage du pouvoir » entre les Kurdes, les Turkmènes et les Arabes, alors que les élections du conseil provincial doivent avoir lieu cette année. Un retrait américain prématuré est vu par beaucoup comme un danger : « Je pense que Kirkuk sera comme un baril de TNT qui explosera et nous brûlera tous », a ainsi déclaré sans nuance un député turkmène du Parlement irakien, Mohammed Mahdi Amin al-Bayati.

Les Kurdes sont estimés à 52% dans la ville, les Arabes 35% et les Turkmènes 12%. On compte aussi environs 12 000 chrétiens. Forts de ces chiffres, les Kurdes réclament instamment la tenue d’un référendum pour décider du rattachement à la Région kurde, et la tenue des élections provinciales, refusant donc le plan de « partage du pouvoir » entre les communautés, initialement avancé par avancés par la mission de l’ONU, qui ne tiendrait pas compte de la démographie réelle des habitants. Le plan de l’ONU, n’est pas encore rendu public, mais fait déjà l’objet de fuites et de spéculations. Une des options les plus avancées serait un contrôle de la province à la fois par Bagdad et Erbil, en plus des gouverneurs locaux, qui donnerait à Kirkouk un statut à part, sur une durée de dix ans, qui déboucherait ultérieurement sur une résolution de la question. Mais la mésentente croissante entre les Kurdes et le Premier ministre chiite, la volonté d’Al-Maliki de renforcer la centralisation et l’absence totale d’illusions des Kurdes sur la volonté irakienne de respecter le fédéralisme laissent peu de chance à cette option.

Une autre possibilité serait de donner une forme d’autonomie à Kirkouk, qui dépendrait tout de même de Bagdad, notamment pour l’allocation de son budget de fonctionnement. Les Turkmènes proches d’Ankara y seraient favorables, car leur principal objectif (soutenus en cela par la Turquie) est le rattachement de la province à la Région kurde. Ali Rizgari, qui préside actuellement le Conseil provincial de Kirkouk, ne se déclare pas hostile à une autonomie de Kirkouk mais souhaite, qu’en place de Bagdad, Kirkouk soit étroitement lié à Erbil. Dans une interview donnée au journal kurde SOMA, Fouad Hussein, qui dirige le cabinet présidentiel du Kurdistan, pointe les innombrables reports de la tenue du référendum, en les qualifiant de manoeuvres politiques émanant de « certaines forces à Bagdad » qui n’ont que pour but d’empêcher le rattachement de Kirkouk : « Au début, cela a été fait en raison de la situation politique et sécuritaire de l’Irak, mais par la suite, je pense que le but de Bagdad a été de reporter et reporter encore, car personne dans les cercles du pouvoir ne croit à l’application de l’article 140, ni même que les Kurdes ont des droits sur les régions disputées. » Selon Fouad Hussein, cette mauvaise volonté témoigne d’une mentalité persistante, dans les milieux politiques arabes irakiens, qui consiste à dénier aux Kurdes tout droit sur ces terres qui ont fait l’objet d’un nettoyage ethnique durant des décennies, en dépit de ce que prévoit la constitution.

Pour le responsable kurde, cette constitution est un atout, mais ce n’est pas le seul. Le soutien de la population vivant dans ces régions, au gouvernement d’Erbil en est un autre, comme en témoigne les résultats des dernières élections provinciales qui se sont tenues dans d’autres régions revendiquées, comme Ninive ou la Diyala : « Ce n’était pas juste une élection pour choisir les membres du conseil. Je pense personnellement que c’était une forme de référendum pour eux : Voulez-vous faire partie de la Région du Kurdistan ou non ? Et c’est la raison pour laquelle ils ont voté si massivement. Nous avons la population pour nous, nous avons la constitution pour nous et nous ne nous laisserons pas déposséder de nos droits. Nous continuerons à mener ce combat juridique et politique, et nous userons de tous les arguments pour remporter cette cause. »

Mais cette victoire de l’Alliance kurde dans les régions revendiquées, qui a rallié les suffrages des Kurdes comme de ceux des autres minorités menacées par le fanatisme nationaliste ou religieux, qu’ils soient chrétiens, Shabaks ou Yézidis, a peut-être encouragé davantage Bagdad à reporter ce référendum, en confirmant que le choix politique des Kurdes de Kirkouk sera de réintégrer le Kurdistan. De plus, les chrétiens de Kirkouk commencent à être l’objet des mêmes menaces et assassinats qu’à Mossoul, ce qui peut aussi les inciter largement à dépendre d’Erbil et sa politique de protection des minorités. C’est une des raisons sur lesquelles s’appuie Fouad Hussein pour nier qu’un report du référendum éviterait une guerre civile inter-ethnique : « Si nous regardons ce qui s’est passé à Bagdad ces deux ou ces trois dernières années, il y a eu beaucoup de zones qui ont subi ce qui s’apparente aux nettoyages ethniques du passé.Les sunnites ont été mis à l’écart et déplacés, les chiites ont été déplacés d’une zone à une autre, beaucoup d’entre eux ont été tués, et la question est : pourquoi cela ne s’est-il pas produit à Kirkouk ? Il y a beaucoup d’éléments qui prouvent que s’ils avaient le contrôle de Kirkouk, ils appliqueraient la même politique de nettoyage ethnique. Comme vous pouvez le voir, ce sont les Kurdes qui ont réellement protégé Kirkouk. Aussi, l’argument utilisé par les ONG et l’ONU est sans fondements. " Autre argument en faveur d’un rattachement à la Région kurde, le délaissement et le sous-développement dans lesquels est maintenue la région de Kirkouk, malgré sa richesse pétrolière, faisant un contraste flagrant avec le boum économique que connaissent des villes comme Erbil, Duhok ou Suleïmanieh : « Il n’y a aucun développement économique à Kirkouk. Même la part du budget allouée à Kirkouk est revenue à Bagdad, c’est un désastre. Les gens pensent que l’on doit y trouver les meilleurs écoles et hôpitaux au monde en raison de sa richesse, mais quand ils s’y rendent, ils voient un gros village. Kirkouk a été détruit, ses habitants et la ville ont été détruits, et rien n’a été fait pour Kirkouk. »

Autre départ envisagé mais problématique pour la future politique irakienne et le contentieux kurdo-arabe, celui de Jalal Talabani qui a confirmé qu’il ne se représenterait pas à la présidence d’Irak, ce qui pose la question de sa succession, laquelle devrait revenir, selon la règle tacite du partage des pouvoirs, à un sunnite arabe ou à un Kurde, puisque le chef du gouvernement, Nouri Al-Maliki, est un chiite. « Soit ce sera un Arabe sunnite, soit (la présidence) restera entre les mains des Kurdes ; et dans ce cas les deux partis kurdes décideront entre eux qui l’obtiendra », explique Mahmoud Othman, un député kurde du Parlement d’Irak, indépendant des deux grandes formations. Bien que la présidence ait des pouvoirs limités, afin de ne pas répéter les dérives autoritaires des dictatures passées, la position et l’influence de Jalal Talabani ont pesé sur la politique irakienne et son statut de Kurde a été utile pour servir de médiateur entre les factions arabes rivales. Enfin son habileté diplomatique et sa longue carrière politique ont servi à réintégrer l’Irak sur la scène internationale, notamment au Moyen-Orient et au sein de la Ligue arabe, ainsi qu’à renormaliser les relations diplomatiques entre l’Irak et l’Iran.

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