Les couleurs de Saladin

Passage très intéressant sur les étendards et les couleurs ayyoubides. A croire que le PDK l'a fait exprès... Car sur les bannières de Saladin, A. M. Eddé nous apprend que "celles de Saladin étaient de couleur jaune tout comme la tunique de soie qui recouvrait la cuirrasse de Saladin et des cavaliers de sa garde." Ridley Scott avec ses Ayyoubides vêtus de noir a donc tout faux, entre autres bévues. "Ibn Khallikan, biographe de la seconde moitié du XIII° siècle, dit avoir vu lors d'une visite au tombeau de Saladin une tunique jaune lui ayant appartenu dont les manches étaient bordées de poignets noirs. Le jaune était donc la couleur de Saladin, associée parfois au rouge : couleur des étendards et de la tente que Saladin faisait dresser lors de ses campagnes militaires. Un jour, s'apercevant que la tente d'un de ses médecins, Ibn Al-Mutran, était également rouge et craignant qu'on ne la confonde avec la sienne, il la fit aussitôt abattre."

Il avait bien raison, le brave homme, des fois que le médecin se fasse assassiner à sa place par un ismaélien... Quant à l'origine de son choix, voici les suppositions que l'auteur fait, en retraçant le symbole de toutes les couleurs en islam :

"Pourquoi ce choix du jaune et du rouge, deux couleurs proches par leur luminosité, leur itensité et même leur sémantique ? Le jaune dont la symbolique est ambiguë, dans le monde arab comme ailleurs, couleur de l'or et du soleil, du beurre et du miel, mais aussi du soufre et de la flamme qui consume, peut aussi bien symboliser le pouvoir royal et la gloire que la couardise et la trahison. Le rouge, couleur du feu et du sang, est souvent lié à la force vitale, à la puissance et aux vertus guerrières mais peut être aussi symbole de puissance infernale. Est-ce par simple élimination que ces deux couleurs furent choisies ? Le noir étant la couleur du califat abbasside de Bagdad, noirs étaient les étendards et les robes d'honneur envoyés par le calife et Saladin n'aurait pu adopter cette couleur sans offenser gravement ce dernier. Le blanc était la couleur des califes fatimides, la dynastie chiite renversée par Saladin. Le bleu a toujours été une couleur inquiétante pour les Arabes qui la considéraient comme une couleur magique, néfaste et source de malheur."

Pour les Kurdes aussi, dont le mot shîn (bleu) est associé au deuil, même si, paradoxalement c'est aussi la couleur de la végétation.

Alors que pour les Arabes, "Le vert, symbole de la nature et de la végétation était considéré comme la couleur du paradis et celle des martyrs du jihad : "Allâh met leurs âmes dans les corps d'oiseaux verts, qui viennent se désaltérer aux fleuves de l'Eden, et manger de ses fruits", dit un hadith célèbre. Restaient le jaune et le rouge qui sont, avec le vert, les couleurs les plus souvent citées dans les ouvrages arabes antérieurs au XII° siècle."

Mais A. M. Eddé cherche ailleurs "les raisons de ce choix" en faisant remarquer que le Prophète, aurait eu, en plus d'une bannière noire, une blanche et une jaune, et en faisant remarquer aussi le lien qui existe entre les chiites et le jaune, ce qui est drôle si l'on se souvient de l'antagonisme de ce sunnite pur et dur avec les chiites : "Certains prétendent aussi que le Prophète donna des bannières jaunes aux habitants de Médine qui se rangèrent à ses côtés (Ansâr). Lors de la célèbre bataille de Siffîn, en 657, les couleurs prédominantes semblent avoir été le noir, le blanc, le rouge mais aussi à un moindre degré le vert et le jaune. Il est difficile de tirer des conclusions de ces données qui ne sont pas toujours cohérentes, mais on peut noter tout de même que le jaune est souvent associé à des traditions chiites ou eschatologiques. Ainsi le rebelle chiiite Abû l-Sarâyâ al-Shaybanî, exécuté à Kufa en 815, arborait des bannières jaunes de même que le descendant de 'Alî, Ibrâhîm ibn 'Abd Allâh, qui se révolta contre le calife al-Mansûr en 762-763. On notera avec intérêt, que de nos jours encore, le drapeau du parti chiite libanais, le Hezbollah, est également jaune."

Id. pour le drapeau des Barzani. Au reste, les ressources des teinturiers médiévaux ne comportaient tant de teintes solides et peu coûteuses que cela, il fallait bien tourner autour de la même gamme. Mais la couleur jaune est aussi celle du Mahdî, ce qui n'est peut-être pas sans lien avec sa prise de pouvoir au sein d'une Egypte fatimide :

"Le grand historien Ibn Khaldûn écrit à propos des traditions soufies sur le Mahdî :

Il est établi dans la tradition que Jésus descendra sur le minaret blanc à l'est de Damas. Il descendra entre deux vêtements de couleur jaune-safran clair.


Dans certaines traditions, les Maghrébins, dont on craignait qu'ils n'envahissent l'Egypte et la Syrie, étaient appelées les "porteurs de drapeaux jaunes". Leur arrivée, associée à la fin des temps, devait annoncer l'apparition du Mahdî. Ces traditions puisaient sans doute leur origine dans la peur éprouvée par les Syriens et les Egyptiens, lors de la grande révolte berbère de 740, au cours de laquelle deux armées omeyyades avaient été défaites et Kairouan était tombée aux mains des rebelles. L'entourage de Saladin connaissait probablement ces traditions, mais de là à affirmer que Saladin voulut, en brandissant ses bannières jaunes, annoncer l'arrivée du Mahdî, il y a un pas qui est, à mes yeux, impossible de franchir.

Notons surtout que l'association du rouge et du jaune existait déjà à la cour fatimide d'Egypte. Sans être les couleurs de la dynastie, le rouge et le jaune n'en décoraient pas moins les fourreaux des épées des soldats lors des processions et apapraissaient aussi dans certaines bannières. Saladin s'en est-il inspiré pour choisir les couleurs de sa dynastie ? Le système politique, militaire et institutionnel des Fatimides influença dans plus d'un domaine son gouvernement. Son plus proche conseiller, le cadi al-Fâdil, avait longtemps servi cette dynastie et il n'est pas impossible que Saladin se soit laissé ainsi influencer par ce qu'il avait vu à la cour du calife fatimide lorsqu'il en était le vizir."

Si les musulmans ont vu et décrits les blasons des Francs, "aucune source ne nous informe sur les motifs ou les inscriptions dont ces bannières jaunes flottant sur les champs de bataille étaient ornées." De fait, les premiers "blasons n'apparaissent qu'avec les mamelouks, et figuraient souvent leurs fonctions premières (secrétaire, échanson, etc.). Cependant, "le médecin et biographe du XIII° siècle, Ibn Abi Usaybi'a, parle d'une flèche qui aurait porté les armoiries de Saladin." L'arc étant pour les Iraniens comme pour les Turcs d'alors un emblème de souveraineté, cela ne serait pas surprenant.

Mais les armoiries de Saladin restent inconnues (s'il en eût) alors qu'à la même époque, chez les Seldjoukides et les Artouqides de Roum, aigles, lions, chimères, griffons, fleurissaient.

Anne-Marie Eddé, Saladin, III : Le jihad, 16,Les règles de la guerre.

Commentaires

Articles les plus consultés