mardi, décembre 02, 2008

Nêçirvan Barzani : le Kurdistan n'a pas de minorités mais des nations

Une interview de Nêçirvan Barzanî, le Premier ministre du GRK, au sujet des menaces frappant les chrétiens d'Irak, si elle reprend les propos qu'il a déjà tenus sur son site officiel (si les Kurdes ont mis longtemps à répliquer aux insinuations de la presse et des élus arabes, ainsi que de certains Assyriens hostiles au GRK et à ses ministres chrétiens, c'est que ça leur semblait tellement con, tellement impossible à croire qu'ils n'imaginaient pas que des media, des journalistes et des bloggers reprendraient les rumeurs ; ben si.).

Frankfurter Rundschau (FR): Monsieur le Premier ministre, certaines voix ont accusé les Kurdes d'être impliqués en irak dans la chasse aux chrétiens de Mossoul. Qu'en est-il ?

Barzani: Il n'est pas dans notre intérêt de chasser les chrétiens de Mossoul, puisque les chrétiens et les Kurdes se sont coalisés. Cela fait des années que nous soutenons les chrétiens. S'ils ne sont plus à Mossoul, alors nous perdrons des sièges dans les Conseils provinciaux et ce sera donc à notre détriment. Notre soutien au chrétiens n'est d'ailleurs pas un soutien politique, c'est plutôt une question d'éthique. Ce n'est pas le nombre des Chrétiens qui importe, mais le fait qu'ils aient des racines historiques ici, au Kurdistan. Quand le régime de Saddam a détruit nos villages, personne ne s'est demandé si dans ce village c'était des Kurdes, des chrétiens ou des yézidis qui y vivaient. Dès la chute de Saddam, alors que les chrétiens de Bagdad, de Bassorah ont été lâchés, nous leur avons ouvert grand les portes au Kurdistan.

FR: Qu'avez-vous fait pour eux ?

Barzani: Nous avons relogé les chrétiens à Erbil, Sulaimaniyah et Duhok et nous avons alloué à chaque famille une allocation mensuelle. Nous avons aussi réhabilité près de 100 villages chrétiens.

FR : Qu'avez-vous fait pour l'intégration des chrétiens et des autres minorités au Kurdistan ?

Cette phase est déjà achevée. Tant les chrétiens que les Turkmènes ont leurs propres centres culturels, leurs media, et ils peuvent dans leurs écoles être éduqués dans leur langue maternelle. Dans nos institutions gouvernementales, des postes importants sont occupés par des chrétiens.

FR : Combien de chrétiens ont fui au Kurdistan ?

Barzani: Près de 20 000. On peut considérer qu'il y a à présent entre 80 000 et 100 000 chrétiens au Kurdistan.

FR : Le Gouvernement régional peut-il résoudre à lui seul les problèmes des chrétiens et des autres minorités en Irak ? Comment l'Europe et l'Allemagne peuvent-elles aider ?

Barzani : Quand nous sommes venus en aide aux chrétiens, personne n'est venu ici pour nous demandez si nous avions besoin de quelque chose. Le gouvernement central de Bagdad ne nous a fourni aucune aide concrète, lui non plus. Les chrétiens réfugiés, ainsi que d'autres groupes ethniques, ont besoin d'aide à long terme, afin qu'ils puissent revenir dans leur région. Nous ne souhaitons qu'une chose : Que tous aient connaissance des faits. Nous invitions tout le monde à venir ici se faire une image exacte de la situation.

(Ici une notion des plus intéressante, une grande avancée politique si l'on regarde l'absurde politique ethnique du Moyen-Orient et de la Turquie englués dans un modèle d'Etat-Nation qui nie toute réalité historique et démographique à ce qu'ils condescendent tout juste à appeler minorités ; ainsi les Kurdes, seraient une minorité de 30 millions. Au regard de la population de ces nations voisines immenses et séculaires que sont le Koweit, la Jordanie, le Liban, les Emirats, etc., on peut ricaner. Ici, il est envisagé un contre-modèle, celui d'un Etat-NationS).

FR : Quel modèle jugez-vous le plus approprié pour l'avenir des chrétiens et des autres minorités en Irak ?

Barzani : Nous sommes en train de rédiger la constitution pour la Région du Kurdistan. Dans cette constitution, les droits de ces nations - nous ne les qualifions pas de minorités - doivent être garantis. Chaque groupe ethnique doit pouvoir déterminer lui-même son propre destin. Je soutiens un modèle d'auto-gouvernement. Nous accordons une grande importance au fait que dans le Kurdistan, chaque groupe ethnique est protégé. Au Kurdistan ne vivent pas seulement des Kurdes. Nous utilisons la notion de Kurdistanis, c.-à-d. tous les groupes ethniques vivant au Kurdistan.

FR : Quels avantages espérez-vous tirer de votre aide aux chrétiens ?

Barzani : Nous faisons d'abord cela pour des raisons éthiques, et puis historiques et politiques. Un même destin nous lie.

(Interview: Siruan Hadsch-Hossein, Frankfürter Rundschau)

Pendant ce temps-là, le Parlement irakien a approuvé, par 148 voix pour sur 198 députés présents, avec 35 voix contre et 86 absents, le SOFA (accord de sécurité qui permettra aux troupes américaines de rsster en Irak après expiration du mandat de l'ONU). Il ne reste plus maintenant qu'au Conseil de présidence (le président d'Irak, le kurde Jalal Talabani, et ses deux adjoints arabes, respectivement chiite et sunnite) de ratifier cette loi ou d'y mettre un veto. Si la loi passe, les forces d'occupation (en gros 150 000 soldats) commenceront un retrait des villes en juin 2009 mais resteront sur place pour d'éventuelles opérations militaires. Leur départ définitif aura lieu à la fin de 2011. Mais un référendum sera tenu dans tout l'Irak, en juin 2009, pour approuvé l'accord. Ce référendum a été réclamé et obtenu par les sunnites, en échange de leurs voix. Ils ont aussi obtenu que l'interdiciton faite aux anciens membres du Parti Baath d'occuper des postes publiques soit levée, ce qui contribuera peut-être à la réinsertion de certains insurgés.Quant aux chiites extrémistes, notamment les partisans d'As-Sadr ils sont bien évidemment contre tout prolongement de "l'occupation américaine" et leur leader s'est prononcé contre l'accord.

S'exprimant à ce sujet sur Asianews, l'archevêque chaldéen de Kirkouk, Louis Sako, est modérément optimiste : "Le vote représente un pas en avant, mais tout peut arriver, parce que la situation est toujours précaire. Rien n'est stable ni définitif, le pays est dans une phase d'équilibre fragile, qui peut basculer à tout moment. L'Irak reste profondément divisé. On ne peut parler d'untié nationale, ce que même le gouvernement reconnaît. Chacun essaie de gagner en influence sur son propre territoire, et même la capitale, Bagdad, qui devrait être un symbole d'unité, est en réalité sous-divisée en secteurs contrôlés par des factions bien spécifiques."

S'il envisage que le retrait des troupes américaines puisse être positif, l'archevêque souligne que le danger d'une guerre civile est très présent, "si la nation est laissée à elle-même" et que tout dépend de la politique étrangère adoptée par Barack Obama: "Il est impossible de prédire quelles initiatives le nouveau président américain prendra, mais ses décisions auront un effet fondamental sur les développements à venir dans toute la région. La menace nucléaire iranienne est une menace concrète pour l'Irak et pour tous les pays du Golfe. Le Moyen-Orient est en équilibre incertain et le chemin vers la paix est encore long."

Le même archevêque a par ailleurs critiqué les plans de l'Union européenne pour accueillir les milliers de réfugiés chrétiens qui croupissent en Syrie et en Jordanie, à la faveur de la grande solidarité des nations arabes. Car ouvrir les portes de l'UE, c'est-à-dire le chemin de l'exil au lieu d'aider les Assyriens et les Chaldéens à rester chez eux, revient à donner un sérieux coup de main aux fanatiques qui essaient actuellement de "purger" l'Irak de ses éléments non-arabes et non-musulmans : "Donner une telle assurance revient à dire aux Chrétiens de fuir, de quitter l’Irak. Aujourd’hui 10 000, demain 10 000 encore, jusqu’au jour où la nation sera vidée de toute présence chrétienne. L'aide ne peut pas se limiter à accueillir des réfugiés, toutes les mesures doivent plutôt favoriser leur maintien. Il y a des cas extrêmes où des gens ne peuvent rentrer en Irak, comme des membres du régime de Saddam, ce n’est pas une raison pour encourager l’exode massif, cela ne sert qu’à empirer la situation. C’est normal d’aider ceux qui sont en difficulté, mais il est nécessaire de traiter les cas particuliers et surtout de travailler à la reconstruction de la coexistence pacifique de tous dans le pays."

Monseigneur Louis n'épargne pas ses coreligionnaires, empêtrés dans leurs divisons intrnes, à la fois politiques, linguistiques et religieuses : " Les Chrétiens sont divisés, certains veulent rester, les autres préfèrent partir. Le désir de fuir est encouragé par le manque d’un leader politique capable de rassembler les gens autour un projet concret qui les convaincrait de rester, malgré la souffrance et les difficultés. Fuir devant les difficultés -dit-il- signifie perdre le vrai sens du message chrétien qui nous invite à agir et non à nous soustraire. Même face aux persécutions, nous devons être un exemple du sens profond de l’appel de Dieu qui nous demande d’être témoins du sacrifice du Christ. Partir veut dire trahir notre devoir d’annoncer le Christ, ce que beaucoup de Musulmans espèrent et attendent de nous. Tout cela est contenu dans le sens de la question "Quo vadis ?" que Pierre pose au Christ. Dans Sa réponse, Il invite Pierre à retourner à Rome pour affronter le martyre."




Si ce discours peut paraître rude aux âmes laïques peur portées à goûter les joies du martyre, rappelons que les évêques du Kurdistan n'ont pas de leçons de bravoure à recevoir car ils n'ont pas fui le pays du temps des persécutions sous Saddam et ont au contraire soutenu la résistance, alors que des Assyriens et des Chaldéens se battaient côte à côte avec les Kurdes. En ce temps-là, la hiérarchie de Bagdad et le Vatican fermaient les yeux sur le sort des chrétiens kurdistani, sacrifiés à la sécurité de ceux du sud, en jouant la carte du "si nous sommes Arabes, on nous laisse tranquille". Enfin, de façon plus large, se pose effectivement la question si l'on veut maintenir ou non une présence chaldéenne et assyrienne en Irak. Pour le Kurdistan, du moins, c'est résolu. En tout cas je comprends l'énervement de l'archevêque, car j'éprouve le même à chaque fois que j'entends la fameuse chanson de Pierre Perret "Petite si tu es Kurde il faut partir" . Merci, c'est précisément ce qu'ont tâché de faire durant tout le XX° siècle l'Irak, la Syrie et la Turquie, faire partir les Kurdes, ou à défaut de les exterminer ou les assimiler.

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