mercredi, décembre 24, 2008

"Dieu est au-dessus de l'être"

Utilisation intéressante de l'intellect dans "Dieu est au-dessus de l'être", bien que le manque de précision du vocabulaire rende parfois la compréhension pénible (ainsi, quand il dit Dieu indifféremment pour ce que l'on peut distinguer comme la Déité ou le Dieu trinitaire). Maître Eckhart expose d'abord pourquoi Dieu est hors du temps et du lieu, ce qui, aujourd'hui, nous est moins difficile à concevoir, mais que les Iraniens, qui avaient peut-être encore le souvenir du Zervanisme, savaient aussi. Il y a le Temps immobile, le temps non temporel, qui ne coule pas, et le lieu hors du lieu, le Nâ Kodjâ Abâd"Si je prends un fragment du temps, il n'est ni aujourd'hui ni hier. Mais si je prends "maintenant", il contient en soi tout le temps. Le "maintenant" où Dieu créa le monde est aussi proche de ce temps que le "maintenant" pendant lequel je parle actuellement, et le dernier Jour est aussi proche de ce "maintenant" que le jour qui fut hier." D'où la sage intuition humaine des fêtes cycliques. Ainsi, ces jours à venir sont une période bien délicate car le solstice d'hiver voit souvent 12 jours critiques où les démons reviennent, réinstaurant le chaos primordial. Au moment où le soleil est à son plus grand déclin, il doit revenir de sa mort et tuer le taureau, ce qu'il fera effectivement au Newroz, à l'équinoxe de printemps. Le solstice d'été annonce bien sûr l'apogée du monde mais déjà l'amorce de son déclin. La création du monde est donc à recommencer tous les ans.

Mais l'autre point intéressant du sermon est le statut que le maître Johannes donne à l'intellect (vernünfticheit), car c'est, selon lui, l'essence de Dieu, et c'est donc celle de cette ipséité éternelle en nous : "Quand nous prenons Dieu dans l'être, nous le prenons dans son parvis, car l'être est son parvis dans lequel il réside. Où est-il donc dans son temple où il brille dans sa sainteté ? L'intellect (vernünfticheit) est le temple de Dieu. Nulle part Dieu ne réside plus véritablement que dans son temple, l'intellect, comme le dit cet autre maître : Dieu est un intellect qui vit dans la connaissance de lui seul, demeurant seul en lui-même, là où rien jamais ne l'a touché, car là il est seul dans son silence. Dans la connaissance de lui-même, Dieu se connaît lui-même en lui-même."

Cet éloge de l'intellect détonne un peu chez un néoplatonicien, dont l'école est plus portée, en général, à faire de la Déité suprême une Lumière, ou l'Amour en soi, ou le Bien, mais évidemment il faudrait savoir que qu'Eckhart entendait exactement par là, et si ce mot "intellect" chez lui, relevait de ce que les musulmans appelaient 'Aql et qui, en général, chez les anti-aristotéliciens, par exemple Avicenne ou Sohrawardî, ne pouvait accéder à la vérité de l'être. Disons que l'intellect est une première étape mais après, il faut faire le grand saut, celui par lequel on est à la fois le connaissant et le connu, l'objet et celui qui connaît l'objet, c'est-à-dire l'être et le connaître.

Par ailleurs, chez Plotin, l'Un donne naissance au Noüs et à l'Âme du monde, mais est au-delà des deux, comme il est au-delà de l'être et du non-être. Pour Eckhart, la puissance intellective de l'âme, cette "goutelette d'intellect" permet de concevoir le non-être, par le biais de l'imagination, c'est-à-dire la capacité de se représenter des choses absentes ou invisibles - "une rose en hiver" - et ainsi "l'âme opère dans le non-être et suit Dieu qui opère dans le non-être." Plus encore, l'intellect, selon lui, permet d'accéder à la représentation de Dieu sans attribut ni être, "dans sa nudité où il est dépouillé de bonté et d'être et de tous noms." S'il veut vraiment dire que la Déité est Intellect, cela signifie qu'il réside dans ce qu'il est, - "dans la connaissance de lui-même, Dieu se connaît lui-même" - cette image de l'être contenu en son être est une viariation du château fort de l'âme, qui, parce qu'il est cette partie de l'âme semblable à la Détié, permet à la Déité d'y demeurer. Autrement dit, on n'est chez soi qu'en soi.


Etre Dieu en Dieu; Johannes Eckart, "Dieu est au-dessus de l'être"

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