La race des Seigneurs
Reprise du procès des assassins de Hrant, ou de Hrant Dink lui-même, parfois, on ne sait plus très bien, suivi par Reporter sans Frontière et Yevrobatsi (qui présente aussi un reportage-photos du procès) : Dix-neuf accusés d'assassinats ou de complicité d'assassinat. Echappent (pour le moment) aux ennuis judiciaires les responsables des forces de l'ordre que la famille et les amis de Hrant Dink accusent d'avoir "laissé faire" tout en étant parfaitement au courant du meurtre qui se préparait. Le Gouverneur de Trabzon (qui est aussi pointé comme responsable par les proches de la victime) a décidé de ne pas poursuivre ces fonctionnaires si estimables et compétents et la famille Dink a fait appel.
Mais qu'en est-il alors des assassins qui, bien que trainés sur les bancs des tribunaux, devraient proclamer fièrement le panache, le courage de leurs actes, la légitimité d'assassiner un journaliste au nom de la grande race turque, de la nation turque, de l'islam turc et que sais-je encore ? Elle est où, la race des seigneurs du Touran, les fiers fils du loup mongol (pauvres Mongols, pauvres loups...) qui devraient pavoiser sur les bancs de la justice ?
Le meurtrier direct, Ogun Samast, dont les supporters arborent si fièrement le bonnet blanc enfoncé jusqu'aux yeux, pleurniche : " C’est Yasin Hayal qui m’a obligé à faire ce travail. J’avais si peur, je savais pas comment ça allait se passer, alors j’ai tiré sur Hrant Dink. Quand j’ai repris connaissance, j’étais chez mon oncle. Cette nuit-là, j’ai pas pu dormir, j’avais des remords. Si j’avais su qu’il avait une famille, je ne l’aurais pas abattu." Soit dit en passant, ne pas avoir de famille à 40 ans passés en Turquie, est une rareté, à moins d'être dans les ordres... Mais ayant avoué avoir pris du shit et de l'ectasy pour trouver dans l'ivresse chimique les particules de courage qui lui manquaient à l'état biologique, il a pu confondre Hrant Dink et Meshrob II, allez savoir...
Quant à Tuncay Uzundal, autre suspect directement désigné par Ogun Samast comme organisateur du meurtre, il rejette courageusement la faute sur le PKK. C'est-à-dire que l'autre suspect, Erhan Tuncel, celui qui "informait la police" était aussi en contact avec le PKK, et que lui (Tuncay Uzundal) croit que c'est le PKK qui est à l'origine de l'assassinat de Hrant Dink. Vous suivez ?
La seule chose dont on peut s'étonner à ce stade, c'est qu'il n'y soit pas fait mention d'un complot juif, mais ouf, ça viens vite, car l'inénarrable avocat Fuat Turgut, qui par ailleurs soutient cet autre parangon de bravoure et d'intelligence qu'est le chanteur Ismaïl Türüt, invite sentencieusement le tribunal à s'ouvrir un peu l'esprit et penser un peu plus large, enfin Messieurs, ouvrons-nous à l'internationale : "Serait-ce là le premier meurtre commis par Israël et les Etats-Unis ?"
Comme le résume sobrement Levent Dink, le frère de la victime : "Ils veulent s'en sortir en s'accusant mutuellement." Aussi n'avons-nous affaire, sur les bancs de l'accusation, qu'à une brochette de piètres canailles, aussi stupides que lâches, qui au lieu de revendiquer en bombant le torse et plastronnant comme relevant de l'honneur de la "nation turque" l'assassinat d'un homme de plume courageux et intègre, se tirent dans les pattes piteusement : "c'est pas moi, c'est lui, M'sieur le Juge ! C'est la faute au PKK ! C'est la faute à Bush ! Aux juifs !"
Comme le faisait remarquer Tom, à propos d'Ismaïl Türut : "Ce qu'il y a de franchement répugnant avec ces S.A à la petite semaine, c'est qu'ils n'assument même pas totalement leurs délires meurtriers..." Et pas davantage leurs actes, apparemment. Alors non, vraiment, on ne peut que conclure, comme le faisait, dans Le Jour le plus long, Fernand Ledoux voyant passer sur son âne le laitier de la Wehrmacht : "Ah, elle est belle, la race des seigneurs !"
(en antidote à l'écoeurement, pour se rafraîchir avec le véritable courage, on pourra lire ou relire les écrits de Hrant Dink, traduits et publiés peu après sa mort, chez Dominique Fradet directement sur son site ou via Turquie Européenne.
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