Voyage en Turquie d'Asie : Arménie, Kurdistan et Mésopotamie. Les chrétiens de Mossoul.
A Mossoul, le comte de Cholet rencontre la hiérarchie ecclésiastique de toutes obédiences. Premier sujet d'étonnement et d'incompréhension chez l'officier, la multiplication des clergés, syrien, chaldéen, etc. (les chrétiens d'Orient on tendance à jouer les amibes encore plus que les Ismaéliens et leur 36 schismes autour des "vrais" Imams) :
Notons que parmi la petite dissemblance d'avec Rome, il y a l'usage de l'araméen dans la liturgie, ce qui n'est pas rien. On n'a pas l'impression qu'Armand-Pierre de Cholet comprenne que demander à remplacer dans les offices la langue du Christ par celle de Cicéron (ou de saint Jérôme, si l'on préfère) dans une région où même l'occupation romain était hellénophone, c'était gonflé... Ou un brin latino-centriste...
"L'archevêque syrien et l'évêque chaldéen, informés de notre arrivée, ont eu la bonté de venir eux-mêmes prendre de nos nouvelles et nous entamons avec eux une longue conversation sur le pays qu'ils habitent ainsi que sur les fidèles qu'ils gouvernent. Rattachés depuis peu à l'Eglise latine, quoique avec des rites différents, ils maintiennent avec la dernière énergie les petites dissemblances qui les séparent aussi bien de Rome que les uns des autres."
Notons que parmi la petite dissemblance d'avec Rome, il y a l'usage de l'araméen dans la liturgie, ce qui n'est pas rien. On n'a pas l'impression qu'Armand-Pierre de Cholet comprenne que demander à remplacer dans les offices la langue du Christ par celle de Cicéron (ou de saint Jérôme, si l'on préfère) dans une région où même l'occupation romain était hellénophone, c'était gonflé... Ou un brin latino-centriste...
"Ils tiennent essentiellement à l'autonomie de leur église et, ayant leur patriarche spécial, leurs conciles privés, officiant dans leur propre langue, ils forment bien en effet un petit groupe très nettement distinct. Leurs articles de foi étant bien entendu les mêmes et les pratiques du culte essentiellement conformes aux nôtres, on ne peut voir dans l'obstination qu'ils mettent à rester séparés que le vif désir de maintenir l'autonomie de leur peuple qui disparaîtrait immédiatement, disent-ils, si l'on venait à supprimer l'usage de la langue syriaque ou chaldéenne comme langue sacrée et si on les rattachait en bloc à l'Eglise romaine. Il n'en est pas moins curieux de voir concentrés dans la même ville de Mossoul, qui compte au plus quarante mille habitants, un délégué apostolique, un patriarche chaldéen et un archevêque syrien, appartenant tous à la même église, mais se refusant à en pratiquer le culte d'une manière uniforme. Chacun a sa cathédrale, ses églises, ses prélats suffragants, ses fêtes spéciales, et, tout en vivant en parfaite communion avec le Saint-Siège, ne néglige aucune occasion de tendre quelque embûche au voisin pour tâcher de diminuer son prestige afin de rehausser le sien !"
Au-dessus de tous, Mgr Altmayer, délégué apostolique, envoyé par le Vatican donc, et qui cumule aussi les archevêchés de Bagdad et de Babylone. Mgr Altmayer, Lorrain de naissance, a fort à faire pour combattre ce qu'on appellerait aujourd'hui "l'intégrisme religieux" local: filles et femmes voilées en noir de la tête aux pieds, cloitrées, mariées précoces à la merci de la tyrannie d'une belle-mère, etc. Non, non, il ne s'agit pas de musulmanes, qu'est-ce que vous imaginez ?
"Doué d'une remarquable activité, Mgr Altmayer lutte, nous dit-il, pour le moment, contre les vieux préjugés et les sottes habitudes qui règnent encore parmi les populations catholiques de ces régions et cherche principalement à affranchir les femmes de la claustration presque absolue dans laquelle elles passent leur vie. Les jeunes filles des meilleures maisons ne sortent pas, même voilées, plus de deux à trois fois par an et, une fois mariées, ne quittent plus du tout le foyer de leur nouvelle famille où, terrorisée par leurs parentes de la génération précédente, elles sont employées aux plus rudes travaux (1). L'archevêque cherche, à juste titre, maintenant que le gouvernement turc, grâce aux nombreuses remontrances de l'Europe, a abandonné toute idée de vexation, à faire profiter ces malheureuses chrétiennes de la liberté qui leur est enfin rendue, mais l'habitude de rester cloîtrées est devenue si puissante qu'alors même elles peuvent sortir et se promener facilement, elles s'y refusent, trouvant même la chose inconvenante ! Dieu sait cependant si leurs modes sont peu faites pour inspirer des passions et si l'on peut rêver quelque chose de plus horrible que le sac noir informe dans lequel elles sont enfermées de la tête aux pieds, n'ayant en avant de la figure qu'une mince ouverture carrée recouverte d'un épais voile de crin absolument impénétrable. Rien n'est lugubre comme de voir de longues théories de ces vilains mannequins s'en allant à la rivière ou traversant le bazar, et nous en sommes plus chagrinés encore après notre traversée des districts kurdes et des contrées arabes où les femmes de la campagne circulent toujours la figure découverte. Seules les Juives de la ville, quand elles se promènent, osent relever leur voile et n'hésitent même pas à saluer l'étranger qui les regarde de leur plus gracieux sourire, mais, sauf cette exception, le beau sexe est plus tenu à Mossoul que dans aucune autre des villes que nous ayons traversées, et je crains que Mgr Altmayer n'ait fort à faire, avant d'obtenir pour ses ouailles la liberté qu'il réclame en leur nom."
(1) Les jeunes chrétiennes se marient habituellement entre treize et quatorze ans et l'on rencontre fréquemment de jeunes grand'mères de vingt-sept, vingt-huit ans.
On voit que Mossoul a toujours été une ville bigote et ce n'est guère en train de s'arranger. Mais après la multiplication des sectes chrétiennes, le comte trouve aussi qu'il y a trop d'évêques, presque un par clocher, et peut-être même plus nombreux que les prêtres. L'explication lui est illico fournie :
"Tout en causant avec le délégué apostolique, nous ne pouvons nous empêcher de lui faire part de la fâcheuse impression qu'a produite sur nous le nombre vraiment par trop considérable d'évêques syriaques, chaldéens et arméniens unis disséminés dans le pays. Trop rapprochés les uns des autres, n'ayant le plus souvent aucune ressource et n'administrant que de petites villes, dans lesquelles on ne compte parfois, comme à Mardin, que quatre-vingts à cent famille chrétiennes, ils perdent infiniment leur prestige et ne sont guère plus considérés que de simples prêtres. Nous nous étonnons que Rome ait maintenu ces différents sièges épiscopaux qui avaient eu jadis leur raison d'être avant l'invasion musulmane, alors que la contrée était remplie de nombreuses colonies chrétiennes, mais qui ne signifient plus rien actuellement et discréditent quelque peu ceux qu'on met à leur tête. Mgr Altmayer nous répond que le premier il déplore cet état de choses, mais que malheureusement il n'y peut rien. Souvent déjà il a supplié les patriarches syriaque et chaldéen de ne plus nommer de titulaires à ces postes indignes d'un prélat, mais ceux-ci jaloux d'abord de compter sous leur obédience un plus grand nombre d'évêques, donnent en outre une raison quelque peu meilleure pour ne pas se ranger à ces sages conseils. D'après la loi turque, fort courtoise en cette occurrence, les chrétiens, quand ils forment dans une ville une communauté assez considérable pour avoir un prélat à leur tête, ont le droit de se faire représenter en tout temps par leur pasteur au conseil du gouvernement. C'est lui qui est chargé de répartir équitablement entre ses ouailles les différents impôts, doit les faire rentrer, puis les remettre aux collecteurs ; c'est encore lui, qui, portant la parole au nom de tous, sert d'intermédiaire direct en cas de conflit entre le gouverneur et les fidèles. Or, comme ce procédé présente de nombreux avantages et que ce droit n'est concédé qu'aux communautés chrétiennes dirigées par un évêque, à l'exclusion de celles qui ne possèdent que de simples prêtres, les patriarches disent que, se conformant en cela au voeu général, ils ne peuvent diminuer le nombre de leurs sièges épiscopaux et priver leurs églises des bénéfices qu'elles en retirent. Il n'en résulte pas moins une déchéance désastreuse pour la dignité même de ce poste élevé et c'est pitié de voir certains de ses évêques réduits à la plus atroce misère, n'ayant parfois sous leurs ordres qu'un simple desservant et maintenus quand même dans des villes où jadis, avant la conquête de l'Islam, on comptait des milliers de chrétiens."
Commentaires
Enregistrer un commentaire