TURQUIE : DÉSISTEMENT GÉNERAL DES SOCIÉTÉS EUROPÉENNES FINANÇANT LE BARRAGE D’ILISU


La Suisse, l’Allemagne et l’Autriche avaient déjà annoncé l’abandon définitif de leur soutien financier à la construction du barrage d’Ilisu, devant noyer cette vallée ainsi que la ville de Hasankeyf, riche en vestiges antiques et médiévaux. Au début du mois, l’Assurance suisse contre les risques à l’exportation (SERV) qui s’est définitivement retirée. Au total, c’est un apport de 225 millions de francs que les sociétés suisses Alstom Suisse, Maggia, Stucki et Colenco retirent du projet, et les 531 millions qui devaient être alloués par tous les investisseurs européens font maintenant défaut au projet de barrage.

Ce retrait de la SERV n’est pas une surprise, après l’ultimatum de six mois que l’Assurance suisse avait signifié à la Turquie, afin que cette dernière apporte des garanties suffisantes pour que les conséquences du barrage, sur les populations déplacées, qui devaient être dédommagées et relogées de façon équitable, ainsi que les perturbations écologiques, répondent aux critères internationaux (150) de façon satisfaisante. La SERV a reconnu des « progrès », mais insuffisants pour se maintenir dans le projet. Le délai a expiré le 6 juillet à minuit. Cette décision a été saluée comme une grande victoire par des ONG et des élus suisses comme Marlies Bänziger (Verts) : « Ce non à Ilisu est un oui à la protection de l’environnement, un oui au respect des minorités et aux standards sociaux.» Doris Leuthard, qui dirige le département fédéral de l’Économie, a parlé de « décision très difficile » en indiquant que le ministre turc des Affaires étrangères, Ali Baba Can, avait été quelques mois auparavant averti de l’issue la plus probable du dossier Malgré le manque à gagner les entreprises suisses impliquées n’ont pas critiqué une telle décision, qu’ils jugent eux-mêmes inévitable.

Au sein de la Commission de l’économie et des redevances, Christophe Darbellay avance des arguments de principe : «La Suisse s’est beaucoup engagée pour rendre ce projet possible mais il était impossible de faire autrement. L’économie sans morale et sans éthique n’est pas défendable.» Bien évidemment, la Turquie a exprimé officiellement sa désapprobation, en affirmant poursuivre coûte que coûte la construction du barrage. Certains avancent l’hypothèse que des entreprises chinoises ou russes, venant de pays moins scrupuleux en matière d’écologie et de dommages humains, pourraient reprendre le projet. Le ministre turc de l’Environnement a ainsi déclaré : « La Turquie considère le projet de barrage d'Ilisu comme une pièce maîtresse de ses projets en Anatolie et comme un fer de lance du développement social, et nous aimerions souligner que notre détermination à construire le barrage d'Ilisu ne faiblit pas. »

En décembre dernier, les travaux commencés en août 2008 avaient été gelés lorsque les assureurs Euler Hermes, Österreichische Kontrollbank et Schweizerische Exportrisikoversicherung – avaient déclaré, dans un communiqué commun, que « Les conditions contractuelles convenues concernant l'environnement, le patrimoine culturel et des relogements n'ont pu être remplies.

Au sein même de la société turque, des voix diverses se font entendre pour la préservation du site de Hasankeyf, comme les deux écrivains Yaşar Kemal et Orhan Pamuk.

L’Irak, qui souffre déjà d’une grave sécheresse, avait lui aussi demandé aux sociétés européennes de se retirer du projet. Le gouvernement de Bagdad a par ailleurs demandé la tenue d’ « une réunion urgente en présence des ministres et des experts des trois pays concernés en août prochain pour discuter du partage de l'eau et de la fluctuation des débits en Irak », en raison du débit dramatiquement bas de l'Euphrate, notamment dans les régions frontalières avec la Syrie, où l’on enregistre une chute de 250 m3/s, malgré l’ouverture, en juin dernier, des vannes des barrages turcs, pour faire remonter le débit à 570 m3/s, en promettant qu’en juillet, il s’élèverait jusqu’à 715 m3/seconde. Le ministre des Ressources hydrauliques de l’Irak a indiqué pour sa part que son pays avait besoin d’un débit « d’au moins 500 m3/s pour couvrir 50% des besoins d'eau pour l'irrigation » à partir de l’Euphrate. Depuis deux ans, une sécheresse importante, ayant pour cause l’insuffisance des précipitations annuelles provoque un exode rural en Irak, notamment celui des « Arabes des marais », au sud : « Quatre-vingt familles ont récemment quitté le marais de Abou Zark à l'est de Nassiriyah, dans le sud du pays », a ainsi déclaré à l'AFP Ali Radad, responsable des projets agricoles dans la province de Dhi Qar. Jamal Al-Batikh, membre de la Commission parlementaire irakienne de l'Eau et de l'Agriculture, y voit aussi le traditionnel moyen de pression qu’utilise la Turquie contre les pays voisins qu’elle accuse d’abriter le PKK, la Syrie jusqu’en 1999 et maintenant l’Irak. En représailles, les députés irakiens ont refusé de ratifier un accord commercial qui avait été conclu avec le président turc, Abdullah Gül en avril 2009, comme l’a expliqué un député irakien du parti Fadila, Karim al-Yaacoubi : « Les députés refusent de ratifier cet accord tant qu'une clause n'est pas ajoutée pour assurer à l'Irak sa part de l'eau. »

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