"Toutes les questions qui ont été confiées à l'ONU pour qu'il les résolve sont devenues plus complexes et ont duré plus longtemps"
Dans une interview donnée l'année dernière au journal kurde Hawlati, Nawshirwan Mustafa exprimait déjà son scepticisme, voire son hostilité, envers toute action possible de l'ONU sur la question de Kirkouk, comme il l'expliquait en ne mâchant pas ses mots comme à l'habitude :
Certes, l'ONU ne pourra éviter qu'un recensement de la population ait lieu un jour ou un autre (cela fait bien des décennies qu'aucun recensement démographique n'a été fait en Irak et même Nouri Al-Maliki a récemment déclaré son intention d'en lancer un prochainement), ainsi qu'un référendum pour que les Kirkoukis décident enfin de leur sort. Le problème est que les choix proposés par l'ONU, une fois écartée l'application de l'article 140 sur la réintégration au GRK (solution qui a pour elle les voeux des Kurdes), se limitent à faire de Kirkouk soit une province d'Irak comme une autre, ce qui tente peu les Kurdes qui y vivent, mais a la faveur des Arabes ; ou bien faire de Kirkouk un gouvernorat avec des "liens" à la fois avec Bagdad et Erbil (on peut prévoir là une grosse embrouille administrative et juridique, et même budgétaire) ou bien jouissant d'une forme d'autonomie, solution qui, apparemment a la faveur des Turkmènes, lesquels ne semblent pas réaliser qu'étant en infériorité démographique, une autonomie à Kirkouk ne serait pas forcément à leur avantage très longtemps, sauf à adopter les anciennes méthodes de Saddam qui avait renvoyé tous les Kurdes des postes-clefs et des emplois officiels de la province en y mettant des Arabes.
L'ONU se dit plus favorable à la solution du gouvernorat, ce qui est normal, car c'est celle qui comporte en germe le plus de complications juridiques, administratives, luttes de pouvoir, etc. A présent, ce même organisme enjoint les Kurdes de renoncer à leur idée de référendum pour la réintégration de Kirkouk dans le Kurdistan d'Irak, afin de ne pas déclencher un conflit "explosif", qualifiant même les récents propos de Massoud Barzani "d'extrêmement provocateurs" et "dangereux", attribuant la "frustration" du président kurde au fait que les leaders arabes n'ont jamais réellement reconnu l'ampleur des crimes commis par Saddam Hussein, sans paraître réaliser que l'on peut reprocher cela aux sunnites, mais certainement pas aux chiites qui ont été également massacrés en nombre par les Baathistes.
La "frustration" ou l'exaspération kurde, vient plutôt du fait qu'on ne cesse de leur demander de respecter la légalité de l'Irak, de l'Etat irakien, de rester de "bons Irakiens", sauf quand ils 'agit d'exercer des droits qui sont pourtant inscrits dans la constitution irakienne, comme le rappelait récemment (sur un ton tout aussi frustré ou exaspéré) Jay Gardner aux Américains.
Et même si le référendum à Kirkouk reste bloqué ad vitam aeternam par Bagdad et les USA, il y aura bientôt, à Kirkouk, un autre référendum, un référendum alternatif si l'on veut, comme celui qui a déjà eu lieu, lors des élections des conseils provinciaux dans le reste de l'Irak, où les districts revendiqués par les Kurdes et également compris dans l'article 140 ont voté majoritairement pour la liste pro-Kurdistani, que leurs électeurs soient Kurdes musulmans, Kurdes yézidis ou Syriaques chrétiens.
Les élections à Kirkouk ne pourront être indéfiniment reportées. Elles auront lieu soit cette année soit l'année prochaine. Si une fois de plus Kirkouk vote en majorité pour la liste kurdistani (comme ce fut le cas en 2005) la question du partage du pouvoir à Kirkouk se reposera : soit on ne tient pas compte des résultats électoraux et l'on partage les sièges du gouvernorats à parts égales entre Kurdes, Arabes et Turkmènes, sans aucune considération pour la démographie et les voeux des électeurs, ce qui ne donnera pas de la "démocratie irakienne" une image bien convaincante, et fait par avance de ces élections une mascarade inutile ; soit l'on reste dans cette situation bancale, avec un conseil où siègent majoritairement des Kurdes favorables au référendum, lequel sera de nouveau reporté sine die ; soit on applique les "solutions" de l'ONU, sans égard à leur viabilité vu la démographie réelle de Kirkouk : une solution qui mécontente et bafoue les droits des 3/4 d'un groupe ne semble guère assurée. de succès.. De plus, cela reviendrait à remettre en cause bien d'autres dispositions de la constitution irakienne sur le fédéralisme, par exemple le droit de tous les districts irakiens à se réunir en Région (à l'instar de la Région kurde). Autant, pour le coup, réécrire toute la constitution irakienne et la faire approuver, non par les Irakiens, mais par l'ONU, les USA et pourquoi pas les Turcs, on irait plus vite...
Cela étant, la solution de l'article 140, si elle est imposée par les Kurdes est-elle viable ou sera-t-elle plus néfaste que bénéfique aux Kurdes ? Michael Gunter, dans un entretien publié à Kurdistanica Network (et qui paraîtra demain sur ce blog en français), qualifie assez justement une telle solution de "victoire à la Pyrrhus, car jamais les Arabes ne l'accepteront. " c'est sans doute vrai pour le moment. La question est de savoir quelle solution est possible pour Kirkouk qui, en fait, depuis la chute de la monarchie en Irak, a été à la fois le coeur du conflit arabo-kurde en Irak et la pierre d'achoppement à toute résolution de ce conflit. La ville et sa question impossible à résoudre est peut-être l'image même de l'impossibilité pour l'Etat irakien, cet Etat "arabo-kurde", d'exister politiquement sans dictature des premiers sur les derniers.
Certainement la question de Kirkouk perdurera tant qu'un Irak fédéral et démocratique n'aura pas vu le jour. Mais il se peut qu'elle perdure justement parce que cet Etat-là n'a pas plus d'assise solide que l'ex-Yougoslavie, ou voire même l'ancienne Thécoslovaquie. Kirkouk peut s'avérer être le symptôme d'une viabilité ou d'une non-viabilité de l'Etat irakien.
Toutes les questions [internationales] qui ont été confiées à l'ONU pour qu'il les résolve sont devenues plus complexes et ont duré plus longtemps. Ce ne sera pas différent pour Kirkouk. Si une mission est donnée à l'ONU, alors cela prendra longtemps, peut-être des années. Et il n'est pas du tout évident que l'issue soit dans l'intérêt des Kurdes, parce que les Kurdes n'ont aucune influence au sein des Nations Unies, tandis que les lobbies des Arabes et des Turcs sont très puissants, plus puissants que les amitiés kurdes dans cet organisme.En avril dernier, le rapport délivré par le représentant de l'ONU en Irak et ses "recommandations" pour régler la question de Kirkouk donnait raison au futur leader de la liste Goran. Staffan de Mistura, l'envoyé de l'ONU, préconisait en effet toutes les solutions possibles sauf celle-là même réclamée par les Kurdes et surtout prévue par la Constitution irakienne : à savoir un référendum pour que les habitants de la province de Kirkouk choisissent ou non d'intégrer la Région du Kurdistan.
Certes, l'ONU ne pourra éviter qu'un recensement de la population ait lieu un jour ou un autre (cela fait bien des décennies qu'aucun recensement démographique n'a été fait en Irak et même Nouri Al-Maliki a récemment déclaré son intention d'en lancer un prochainement), ainsi qu'un référendum pour que les Kirkoukis décident enfin de leur sort. Le problème est que les choix proposés par l'ONU, une fois écartée l'application de l'article 140 sur la réintégration au GRK (solution qui a pour elle les voeux des Kurdes), se limitent à faire de Kirkouk soit une province d'Irak comme une autre, ce qui tente peu les Kurdes qui y vivent, mais a la faveur des Arabes ; ou bien faire de Kirkouk un gouvernorat avec des "liens" à la fois avec Bagdad et Erbil (on peut prévoir là une grosse embrouille administrative et juridique, et même budgétaire) ou bien jouissant d'une forme d'autonomie, solution qui, apparemment a la faveur des Turkmènes, lesquels ne semblent pas réaliser qu'étant en infériorité démographique, une autonomie à Kirkouk ne serait pas forcément à leur avantage très longtemps, sauf à adopter les anciennes méthodes de Saddam qui avait renvoyé tous les Kurdes des postes-clefs et des emplois officiels de la province en y mettant des Arabes.
L'ONU se dit plus favorable à la solution du gouvernorat, ce qui est normal, car c'est celle qui comporte en germe le plus de complications juridiques, administratives, luttes de pouvoir, etc. A présent, ce même organisme enjoint les Kurdes de renoncer à leur idée de référendum pour la réintégration de Kirkouk dans le Kurdistan d'Irak, afin de ne pas déclencher un conflit "explosif", qualifiant même les récents propos de Massoud Barzani "d'extrêmement provocateurs" et "dangereux", attribuant la "frustration" du président kurde au fait que les leaders arabes n'ont jamais réellement reconnu l'ampleur des crimes commis par Saddam Hussein, sans paraître réaliser que l'on peut reprocher cela aux sunnites, mais certainement pas aux chiites qui ont été également massacrés en nombre par les Baathistes.
La "frustration" ou l'exaspération kurde, vient plutôt du fait qu'on ne cesse de leur demander de respecter la légalité de l'Irak, de l'Etat irakien, de rester de "bons Irakiens", sauf quand ils 'agit d'exercer des droits qui sont pourtant inscrits dans la constitution irakienne, comme le rappelait récemment (sur un ton tout aussi frustré ou exaspéré) Jay Gardner aux Américains.
Et même si le référendum à Kirkouk reste bloqué ad vitam aeternam par Bagdad et les USA, il y aura bientôt, à Kirkouk, un autre référendum, un référendum alternatif si l'on veut, comme celui qui a déjà eu lieu, lors des élections des conseils provinciaux dans le reste de l'Irak, où les districts revendiqués par les Kurdes et également compris dans l'article 140 ont voté majoritairement pour la liste pro-Kurdistani, que leurs électeurs soient Kurdes musulmans, Kurdes yézidis ou Syriaques chrétiens.
Les élections à Kirkouk ne pourront être indéfiniment reportées. Elles auront lieu soit cette année soit l'année prochaine. Si une fois de plus Kirkouk vote en majorité pour la liste kurdistani (comme ce fut le cas en 2005) la question du partage du pouvoir à Kirkouk se reposera : soit on ne tient pas compte des résultats électoraux et l'on partage les sièges du gouvernorats à parts égales entre Kurdes, Arabes et Turkmènes, sans aucune considération pour la démographie et les voeux des électeurs, ce qui ne donnera pas de la "démocratie irakienne" une image bien convaincante, et fait par avance de ces élections une mascarade inutile ; soit l'on reste dans cette situation bancale, avec un conseil où siègent majoritairement des Kurdes favorables au référendum, lequel sera de nouveau reporté sine die ; soit on applique les "solutions" de l'ONU, sans égard à leur viabilité vu la démographie réelle de Kirkouk : une solution qui mécontente et bafoue les droits des 3/4 d'un groupe ne semble guère assurée. de succès.. De plus, cela reviendrait à remettre en cause bien d'autres dispositions de la constitution irakienne sur le fédéralisme, par exemple le droit de tous les districts irakiens à se réunir en Région (à l'instar de la Région kurde). Autant, pour le coup, réécrire toute la constitution irakienne et la faire approuver, non par les Irakiens, mais par l'ONU, les USA et pourquoi pas les Turcs, on irait plus vite...
Cela étant, la solution de l'article 140, si elle est imposée par les Kurdes est-elle viable ou sera-t-elle plus néfaste que bénéfique aux Kurdes ? Michael Gunter, dans un entretien publié à Kurdistanica Network (et qui paraîtra demain sur ce blog en français), qualifie assez justement une telle solution de "victoire à la Pyrrhus, car jamais les Arabes ne l'accepteront. " c'est sans doute vrai pour le moment. La question est de savoir quelle solution est possible pour Kirkouk qui, en fait, depuis la chute de la monarchie en Irak, a été à la fois le coeur du conflit arabo-kurde en Irak et la pierre d'achoppement à toute résolution de ce conflit. La ville et sa question impossible à résoudre est peut-être l'image même de l'impossibilité pour l'Etat irakien, cet Etat "arabo-kurde", d'exister politiquement sans dictature des premiers sur les derniers.
Certainement la question de Kirkouk perdurera tant qu'un Irak fédéral et démocratique n'aura pas vu le jour. Mais il se peut qu'elle perdure justement parce que cet Etat-là n'a pas plus d'assise solide que l'ex-Yougoslavie, ou voire même l'ancienne Thécoslovaquie. Kirkouk peut s'avérer être le symptôme d'une viabilité ou d'une non-viabilité de l'Etat irakien.
Merci sandrine pour cet élcairage. Et j'aimerais savoir ce que vous pensez qu'il arrivera sur le long terme pour Kerkuk. Votre pronostic à vous.
RépondreSupprimerMerci.
En fait, le futur recensement ou les résultats des prochaines élections apporteront la réponse. Si la liste Kurde l'emporte à une faible majorité, l'Irak et l'ONU et les USA seront appuyés dans leur projet alternatif au référendum. Si au contraire les Kurdes l'emportent à une grosse majorité, il sera très embarrassant pour l'ONU et les USA de nier la voix des urnes au nom de ce qui sera une minorité politique : les anti-GRK.
RépondreSupprimerD'un autre côté, pour désarmer une agitation sectaire, et contrer Bagdad, les Kurdes doivent jouer la carte turkmène, ce qu'ils ont commencé de faire. C'est-à-dire se rallier les factions turkmènes aux dépens du Front Turkmène. Il suffit de voir les partis turkmènes aujourd'hui à Erbil : Beaucoup venaient du Front pro-Turc et ont finalement opté pour l'alliance kurde (comme les chrétiens ont rallié le PDK à la fin des années 60). Si les Turkmènes de Kirkouk, après maints pourparlers, s'allient à la Région, Bagdad n'aura plus beaucoup d'arguments du style "attention à la guerre civile", les Arabes de Kirkouk ne feront pas le poids. Il suffit de voir par ailleurs les Turkmènes d'Erbil pour constater qu'ils ont beaucoup plus en commun avec les Kurdes qu'avec leur coreligionnaires chiites de Basra.
Donc soit l'Irak éclate très vite et Kirkouk est un champ de bataille arabo-kurde, comme toujours, soit il réussit cahin-caha à former une fédération avec un gouvernement central très faible, et tôt ou tard, la réintégration, qu'elle soit comprise dans un processus progressif ou après un référendum, aura lieu. Le tout est de savoir quand (dans 5 ou 50 ans) et si cela se fera pacifiquement ou dans des affrontements sanglants.Il se peut aussi que l'Irak disparaisse avant la question de Kirkouk...