La nouvelle constitution kurde

N'en déplaise aux Assyriens Chaldéens Syriaques il y a d'autres points qui seraient plus intéressants à examiner que les "et" et les virgules dans la nouvelle constitution kurde, qui doit être votée par référendum le 25 juillet. Après 2003, une commission avait retravaillé le texte de 1992 et en aout 2006, 160 articles avaient été rédigés. Le 22 juin, le Parlement avait dévoilé le texte final, ramené à 122 articles. Pour le moment publiée en arabe et en sorani des extraits commencent à circuler, ou des résumés en anglais, par exemple ceux livrés par aknews.com .

Le système politique de la Région du Kurdistan est parlementaire, républicain et démocratique, selon l'article 1 de la constitution.

Les frontières géographiques de la Région du Kurdistan (provinces de Duhok, Erbil, Suleïmanieh) se sont maintenant étendues à des villes et des districts revendiqués par les Kurdes et mentionnés dans l'article 140 de la constitution irakienne comme devant faire l'objet d'un référendum en vue de leur rattachement à la Région.
Comme la constitution irakienne, la constitution kurde reconnaît l'islam comme source principale de la législation (art. 6), ce qui est un recul par rapport à la volonté des Kurdes d'imposer, en 2004, la laicité dans la loi pour la constitution irakienne. Ils en viennent aussi au compromis qui énonce en même temps qu'aucune loi contraire à la démocratie et aux droits de l'homme ne peut être votée (une façon de désarmer la sharia). Comme nous l'avons vu, la liberté de culte est assurée pour les autres religions ; ce qui implique aussi que ces autres religions sont soumises également au respect de la démocratie et des droits de l'homme (il n'y a quand même pas que l'islam qui est source de problèmes ; par exemple les Yézidis ne sont pas non plus tout blanc sur les libertés individuelles et les droits des femmes).

L'article 8 rappelle à Bagdad ses limites en tant que gouvernement central : aucun accord international passé avec l'Irak et concernant la Région du Kurdistan ne peut être valable s'il n'est pas approuvé par la majorité des députés kurdes. Je suppose que cela concerne surtout le domaine des hydrocarbures et leur exploitation, mais aussi, pourquoi pas, une façon de contrer un éventuel accord militaire passé entre l'Irak et des troupes étrangères, par exemple turques, qui viendraient s'installer au Kurdistan sans l'accord de la Région...

Dans le sens inverse, la constitution permet à la Région du Kurdistan de signer des accords avec d'autres pays ou régions qui devront être ultérieurement approuvés par le gouvernement fédéral. Si ce n'est pas le cas, les accords ne seront pas appliqués. Bon, c'est la règle de réciprocité mais on peut se dire que c'est aussi ouvrir une autoroute à Sharestani, le ministre irakien du Pétrole qui bloque depuis deux ans TOUT accord kurde sur le pétrole. Heureusement l'article précise que les accords devront être refusés à Bagdad "pour des raisons légales ou constitutionnelles"et là, ça va tout de suite mieux, car la constitution irakienne est assez large et assez floue sur ces questions ; on pourra donc assister à une grande bataille de juristes avant de dénoncer bilatéralement un contrat comme anti-constitutionnel.
Les langues kurdes et arabes sont les langues officielles de la Région, tandis que le turkmène et le syriaque seront langues officielles dans les zones où elles sont parlées par la majorité des habitants : un cadeau pour amadouer les Turkmènes de Kirkouk et les Syriaques de Ninive et leur projet de zone autonome. Cela dit, il aurait mieux valu déclarer tout de suite le syriaque troisième langue officielle vu l'afflux des chrétiens dans certaines grandes villes comme Duhok et par exemple Ankawa, ça aurait gagné du temps.

Concernant les libertés individuelles, droits fondamentaux etc. :
La constitution reconnait à tous la garantie des droits et de la protection. Tout aveu extorqué par la torture ou par la menace ne peut être pris en considération ; ça va bousculer un peu les méthodes de travail des Asayish, ainsi que le :"aucune arrestation ni détention ou perquisition à domicile, ou surveillance" ne sera légale sans mandat, mais depuis le rapport d'Amnesty international à ce sujet ils ont de toute façon juré qu'ils s'amenderaient...

Les civils ne peuvent être traduits devant un tribunal militaire et les détentions arbitraires sont illégalles. Les tribunaux d'exception sont interdits par l'article 84.

Sur le sujet délicat des libertés de la presse rien ne change : il est interdit d'offenser les sentiments religieux, d'insulter les personnes, etc. Comme les termes en sont vagues, on n'a pas fini d'avoir des litiges au sujet d'articles "blasphématoires" ou "insultants". Les athées militants ou les farouches laïcs vont forcément hurler. D'un autre côté, dans un pays où l'identité religieuse est presque aussi importante que l'ethnie, il faut transposer : ici, en France, on n'a pas le droit d'insulter ou de dire du mal des groupes ethniques, sexuels, des handicapés, etc., comme cela avait été souligné finement par Olivier Roy lors de l'affaire des caricatures. On appelle ça appel à la haine, racisme, homophobie, négationnisme, et j'en passe. Là-bas, insulter la figure du prophète, c'est blesser les gens tout aussi gravement, et surtout ça fout en l'air la paix sociale, dans une région où cohabitent 3 grands groupes religieux (musulmans, chrétiens, yézidis) qui n'ont pas cessé jusqu'au 20° siècle de se massacrer ou de se génocider mutuellement.
De plus, c'est aussi une mesure de protection des minorités : Imaginez que les insultes ou les attaques anti-chrétiennes ou anti-yézidies soient tolérées de la part des musulmans comme c'est largement le cas en Turquie, où un officiel peut traiter publiquement Öcalan de foutre d'Arménien, où les chrétiens sont, dans une certaine presse et certains partis politiques, publiquement appelés giaours, traitres, etc, sans aucune sanction. Au Moyen Orient, la liberté d'insultes ou de blasphèmes a cet inconvénient de souvent retomber sur les groupes les moins bien défendus ou les plus fragiles. Il va encore falloir du temps avant que l'on devienne indifférent à ces questions.

Droit de former de nouveaux partis, associations, unions diverses, droits aux meetings, droit de manifester : A Suleïmanieh, les partisans de l'UPK et de la liste Goran qui dans la rue se tapent desssus feraient bien de méditer là-dessus...

Celui qui était le "Chef" de la Région du Kurdistan en 1992 est aujourd'hui le Président, commandant direct des Peshmergas ce qui ne change pas non plus (articles 60 à 65). Son mandat est de 4 ans et il peut être réélu une fois (ça tombe bien il fait campagne en ce moment pour ça).

Ses pouvoirs : proposer des lois et des amendements au Parlement ; délivrer des décrets présidentiels pour dissoudre le Parlement dans les cas mentionnés par la constitution; déclarer l'état d'urgence après consulation avec le président du parlement et le chef du conseil des ministres en cas de guerre, d'invasion, de désastres naturels, d'épidémies.

Indépendance de la Justice : les juges et les membres du parquet ne peuvent être membres de partis politiques.

Des articles détaillent soigneusement la structure et les devoirs des Peshmergas, le droit à l'autonomie pour des communautés (revendication chrétienne sur Ninive, article 35), le mode d'élection du président (suffrage direct, article 65), la création d'une cour constitutionnelle pour la Région du Kurdistan Region (article 91), et légifèrent aussi sur le Conseil de sécurité de la Région (article 109).

Voilà, c'est tout ce que j'en sais pour le moment.

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