Pays de nuit
Présentation de l'éditeur
Comme la plupart des jeunes de sa génération, Abdallah, un étudiant de Bassora, ne s'intéresse qu'aux choses de la vie quotidienne. Durant la guerre Irak-Iran, il est appelé sous les drapeaux et, pour une raison futile, se retrouve en prison où il assiste à d'horribles séances de torture. Une fois libéré, il cherche à déserter avec un autre conscrit, mais ils sont pourchassés dans le désert et arrêtés. Jeté dans l'enfer des combats et blessé, Abdallah se retrouve au Kurdistan, contraint de combattre des ennemis dont il ignore tout. Après moult déboires, il parvient à se procurer de faux papiers et rentre à Bassora, vidée de ses habitants, pour vivre seul, dans les décombres, comme une bête traquée... Les guerres de Saddam Hussein ont suscité des dizaines d'écrits de commande, en vers ou en prose, tous à la gloire du régime. C'est avec Pays de nuit, dont l'édition originale date de 2002, soit près de quinze ans après la fin du conflit avec l'Iran, que le roman de cet épouvantable carnage nous est enfin donné à lire. Une des plus puissantes critiques de la guerre jamais écrites en langue arabe.
Biographie de l'auteur
Né en 1956 à Bassora (Irak), Janane Jassim Hillawi vit et travaille en Suède depuis plusieurs années. Il a publié cinq recueils de nouvelles et trois romans dont le premier, Yâ kouktî (Ô, ma tourterelle), paru en 1991, l'a propulsé au premier rang des romanciers irakiens contemporains.
Incipit
"La place Omm al-Broum est aussi calme qu'un cimetière. Un ciel de plomb et de poussière s'en approche lentement. A l'entrée du souk des Indiens scintillent des points incandescents : des lampes à pétrole suspendues au-dessus de charrettes de bois bardées de tôle qui servent des casse-croûtes d'oeufs et de fèves. Le cinéma Karnak est fermé et la station Bassora-Sh'eibeh est presque vide : les soldats ont rejoint leurs garnisons. Ce calme sent la mort. Il est lourd et méfiant. Le lieu respire avec lenteur, comme écrasé sous un fardeau invisible. Les lueurs clairsemées, éclatées, donnent à la place un air nébuleux aux ombres obliques : il y a là quelque chose d'oppressant. Seuls des chiens paresseux s'étirent, se promènent, ou allongent le museau dans les poubelles, non loin de ces charrettes dont les vendeurs sont accroupis ou debout, tirant sur une cigarette le regard dans le vague. Derrière la place, vers le fleuve Khandaq, les maisons baignent dans une inertie sombre et terne, et les franges de leurs moucharrabiehs reflètent l'amertume des jours qui passent sur la ville et l'angoisse de ses nuits. La statue rouillée d'un travailleur levant son marteau n'est qu'une masse superflue dressée là pour entraver la vérité, donner une fausse impression. C'est ainsi qu'un jour, il y a des années, on installa les potences des espions juifs sur des piliers de jeux pour enfants. A présent c'est un terrain vague parsemé de taches d'herbe calcinée et de bidons noircis où les marchands font du feu les jours de grands froids. Les vestiges des poteaux de balançoires sont toujours là, hantant l'histoire de la place des fantômes de ces corps suspendus - Zalkha Naji Zalkha, Hajji Jita et Sami al-Yahoudi. Abdallah les revoit. Les images le ramènent en arrière, là, quand il se tenait sous le cadavre de Zalkha que le vent remuait légèrement, comme les vêtements que sa mère étendait sur la corde à linge. Il se souvient que lorsqu'il avait touché le pied mort avec son doigt il s'était mis à osciller. Cela lui avait plu... Il aurait continué s'il n'avait pas été remarqué et houspillé par un policier qui criait pour disperser les curieux agglutinés. C'est l'aspect de la mort qui l'avait attiré. C'était la première fois qu'il voyait un cadavre. Tendu en l'air comme un homme volant, Zalkha avait le visage bleu et enflé, et le bout de sa langue pointait entre ses lèvres noircies. Ses yeux gris étaient injectés de sang ; sa tête pendait sous le noeud coulant. Mais surtout le cadavre flottait, et les cheveux grisonnants plaqués contre son crâne étaient desséchés et ressemblait à une brosse à balai toute raide. Il n'avait pas eu la nausée, ni envie de vomir. Il était simplement frappé par l'allure sordide de la mort. Etait-ce cela, mourir ? Se transformer en un pantalon flottant, avec une tête comme une brosse à balai et des yeux de rat ?"
Traduction Stéphanie Dujols.
Comme la plupart des jeunes de sa génération, Abdallah, un étudiant de Bassora, ne s'intéresse qu'aux choses de la vie quotidienne. Durant la guerre Irak-Iran, il est appelé sous les drapeaux et, pour une raison futile, se retrouve en prison où il assiste à d'horribles séances de torture. Une fois libéré, il cherche à déserter avec un autre conscrit, mais ils sont pourchassés dans le désert et arrêtés. Jeté dans l'enfer des combats et blessé, Abdallah se retrouve au Kurdistan, contraint de combattre des ennemis dont il ignore tout. Après moult déboires, il parvient à se procurer de faux papiers et rentre à Bassora, vidée de ses habitants, pour vivre seul, dans les décombres, comme une bête traquée... Les guerres de Saddam Hussein ont suscité des dizaines d'écrits de commande, en vers ou en prose, tous à la gloire du régime. C'est avec Pays de nuit, dont l'édition originale date de 2002, soit près de quinze ans après la fin du conflit avec l'Iran, que le roman de cet épouvantable carnage nous est enfin donné à lire. Une des plus puissantes critiques de la guerre jamais écrites en langue arabe.
Biographie de l'auteur
Né en 1956 à Bassora (Irak), Janane Jassim Hillawi vit et travaille en Suède depuis plusieurs années. Il a publié cinq recueils de nouvelles et trois romans dont le premier, Yâ kouktî (Ô, ma tourterelle), paru en 1991, l'a propulsé au premier rang des romanciers irakiens contemporains.
Incipit
"La place Omm al-Broum est aussi calme qu'un cimetière. Un ciel de plomb et de poussière s'en approche lentement. A l'entrée du souk des Indiens scintillent des points incandescents : des lampes à pétrole suspendues au-dessus de charrettes de bois bardées de tôle qui servent des casse-croûtes d'oeufs et de fèves. Le cinéma Karnak est fermé et la station Bassora-Sh'eibeh est presque vide : les soldats ont rejoint leurs garnisons. Ce calme sent la mort. Il est lourd et méfiant. Le lieu respire avec lenteur, comme écrasé sous un fardeau invisible. Les lueurs clairsemées, éclatées, donnent à la place un air nébuleux aux ombres obliques : il y a là quelque chose d'oppressant. Seuls des chiens paresseux s'étirent, se promènent, ou allongent le museau dans les poubelles, non loin de ces charrettes dont les vendeurs sont accroupis ou debout, tirant sur une cigarette le regard dans le vague. Derrière la place, vers le fleuve Khandaq, les maisons baignent dans une inertie sombre et terne, et les franges de leurs moucharrabiehs reflètent l'amertume des jours qui passent sur la ville et l'angoisse de ses nuits. La statue rouillée d'un travailleur levant son marteau n'est qu'une masse superflue dressée là pour entraver la vérité, donner une fausse impression. C'est ainsi qu'un jour, il y a des années, on installa les potences des espions juifs sur des piliers de jeux pour enfants. A présent c'est un terrain vague parsemé de taches d'herbe calcinée et de bidons noircis où les marchands font du feu les jours de grands froids. Les vestiges des poteaux de balançoires sont toujours là, hantant l'histoire de la place des fantômes de ces corps suspendus - Zalkha Naji Zalkha, Hajji Jita et Sami al-Yahoudi. Abdallah les revoit. Les images le ramènent en arrière, là, quand il se tenait sous le cadavre de Zalkha que le vent remuait légèrement, comme les vêtements que sa mère étendait sur la corde à linge. Il se souvient que lorsqu'il avait touché le pied mort avec son doigt il s'était mis à osciller. Cela lui avait plu... Il aurait continué s'il n'avait pas été remarqué et houspillé par un policier qui criait pour disperser les curieux agglutinés. C'est l'aspect de la mort qui l'avait attiré. C'était la première fois qu'il voyait un cadavre. Tendu en l'air comme un homme volant, Zalkha avait le visage bleu et enflé, et le bout de sa langue pointait entre ses lèvres noircies. Ses yeux gris étaient injectés de sang ; sa tête pendait sous le noeud coulant. Mais surtout le cadavre flottait, et les cheveux grisonnants plaqués contre son crâne étaient desséchés et ressemblait à une brosse à balai toute raide. Il n'avait pas eu la nausée, ni envie de vomir. Il était simplement frappé par l'allure sordide de la mort. Etait-ce cela, mourir ? Se transformer en un pantalon flottant, avec une tête comme une brosse à balai et des yeux de rat ?"
Traduction Stéphanie Dujols.
- Broché: 356 pages
- Editeur : Actes Sud (13 mai 2005)
- Collection : Mondes arabes
- Langue : Français
- ISBN-10: 2742755837
- ISBN-13: 978-2742755837
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