"on Vulnerable Ground", rapport de HRW sur Ninive (suite)

Le rapport expose ensuite sa "méthologie" : la mission d'enquête a duré trois semaines, dans les villes "du nord de l'Irak" (ça leur aurait fait mal aux doigts d'écrire dans la Région du Kurdistan, apparemment) d'Erbil, de Suleymanieh, et dans les villes et villages de Qaraqosh, Tal Usquf, Al-Qosh, Bashiqa et Bartalah. Le fait que le nom de la Région du Kurdistan ne soit pas cité donne l'impression aux lecteurs non avertis qu'Erbil et Sulaymanieh relèvent de la même aire administrative et politique que Ninive.

Il est indiqué que 57 personnes, hommes et femmes, ont été interrogés : Des Assyro-Chaldéens, des Yézidis, des Shabaks, en privé ou en groupe ; que les entretiens ont eu lieu principalement en arabe, avec un interprète. Pourquoi pas en kurde ? Sans doute parce que, comme il est mentionné, ces personnes appelées à témoigner ont été "identifiées" c'est-à-dire trouvées et choisies avec l'aide d'ONG irakiennes et internationales aidant les minorités. Aucun organisme ni ONG kurdistanî ne semble donc avoir participé à l'enquête. Il est précisé que toutes les personnes interrogées connaissaient le but de la mission. S'ajoutent aux entretiens directs d'autres par téléphone et des documents fournis par des "représentants de minorités". Beaucoup d'interviewés restent anonymes, par sécurité. S'y ajoutent deux officiels respectivement shabak et yézidi ayant obtenu un siège au Conseil provincial de Ninive, Qusay Abbas et Khudeda Khalef Edoo.

Vient ensuite la liste des personnalités officielles kurdes interrogées à Erbil : Khasro Goran, l'ancien gouverneur-adjoint de Ninive ; Karim Sinjari, le ministre kurde de l'Intérieur ; Adnan Mufti, le président du parlement ; Yusif Ahmad Aziz, le ministre des droits de l'homme ; Muhammad Ihsan, ministre des Affaires Extra-Régionales, en charge de l'application de l'article 140 ; Sadi Ahmed Pire, directeur des relations publiques de l'UPK.

Le rapport expose ensuite les critères internationaux du droit des minorités et les engagements pris par l'Irak envers ces garanties. Vient ensuite les droits accordés aux minorités par la constitution irakienne. La constitution kurde n'est pas mentionnée, pas plus que les droits qu'elle accorde aux minorités, ce qui est dommage car dans les conclusion du rapport, HRW va d'emblée réclamer une révision constitutionnelle concernant les Yézidis et les Shabaks, mais sans avoir exposé les dispositions de la constitution kurde déjà existantes à cet égard. Cela donne parfois l'impression d'une réticence des rédacteurs à reconnaître le Kurdistan comme une entité politique à part entière, alors que, paradoxalement on lui demandera les mêmes engagements que ceux réclamés à l'Irak ; les devoirs sans les droits, en somme.

Concernant le statut des territoires énumérés dans l'article 140, le rapport cite avant cela l'article 58 de la Loi d'Administration provisoire.

Puis nous passons à un aperçu historique et religieux de la province, ainsi que la présentation succincte des communautés minoritaires. D'abord les églises chaldéenne et assyrienne, dont ses ressortissants sont présentés comme descendants des "peuples anciens de Mésopotamie" (comme si tous les musulmans de la région étaient venus avec les légions arabes en 642). Il est indiqué qu'ils vivent principalement au "nord de l'Irak", sans qu'il soit mentionné que cette localisation "principale" vient de l'exode en masse des régions du sud et que si la population des chrétiens a doublé au Kurdistan c'est à la faveur du programme d'accueil du GRK, et non en raison d'une sur-représentation historique des chrétiens dans ces districts.

Les Yézidis sont définis comme pratiquant une religion "vieille de 4000 ans", ce qui ne rajeunit pas Sheikh Adi, mort dans les années 1160 ap. J.C. Je ne sais sur quelles bases HRW se fonde pour gober que le yézidisme a fait son apparition en 1991 avant J.C, entre le royaume du Mitanni et les Amorrites de Babylone ; enfin si, c'est certainement ce que les Yézidis interrogés leur ont dit mais comme je disais dans le post précédent, il vaut mieux ne pas se servir des mythes d'origine pour remodeler une carte politique. Il est aussi notable qu'il n'est pas fait mention, à ce moment-là, de "l'ethnie" yézidie, ce qui va pourtant faire l'objet des "recommandations" finales. Il est indiqué qu'ils ont été durement persécutés au cours de leur histoire, car accusés de satanisme.

Les Shabaks, par contre, sont présentés comme une minorité "ethnique et culturelle" mais pas religieuse, ce qui est tout aussi surprenant. Il est indiqué que leur langue est un mélange de turc, de persan, de kurde et d'arabe (n'ayant jamais parlé avec un Shabak, je ne saurais, pour le moment, trancher entre cette thèse et celle de Leezenberg), et que 70% des Shabaks sont chiites, le reste sunnites, ce qui laisse entendre au lecteur peu averti qu'ils sont donc musulmans, ce qui n'est pas plus le cas les concernant que pour les Alévis ou les Ahl-é Haqq. Cela doit expliquer pourquoi ils n'ont pas eu le droit au qualificatif de minorité religieuse ; peut-être ne le demandent-ils pas plus que les Kaka'is, taqiyah oblige. Les voilà donc qualifiés, en plus de minorité ethnique, non pas de minorité religieuse, non pas même linguistique, mais de minorité "culturelle", ce qui pour le coup ne veut rien dire.

Il est ensuite retracé l'histoire de l'arabisation forcée de ces régions et de leurs habitants sous l'Ancien Régime, la campagne d'Anfal, l'arabisation qui n'a pas cessé dans les années 1990 dans les régions hors de l'autonomie kurde, et du problème des réfugiés, toujours actuel, les gouvernements irakien et kurde étant accusés de n'avoir pas su résoudre la question (en ce qui concerne les villages détruits et les réfugiés à l'intérieur du GRK, c'est vrai en partie ; en-dehors de leur zone, hé bien, c'est toute la question de l'article 58 de la LAP et celle de l'article 140, dont ils réclament l'application).

Puis le rapport passe aux événements politiques depuis 2003 dans la région de Ninive.

(à suivre)

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