Les Kurdistanî croient-ils à leurs mythes ?


Les titres de gloire mythiques, ainsi que les parentés légendaires entre peuples, servaient de salamalecs dans la société internationale : chaque cité affirmait ses origines légendaires à ses partenaires qui se gardaient d'en douter ; c'était une manière de s'affirmer comme une personne. La société des cités était ainsi composée de personnes nobles, qui avaient leurs liens de parenté ; quand on acceptait ces fictions comme articles de foi, on montrait qu'on agréait les règles de la vie internationale des cités civilisées.
Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?


Ce passage, dans un livre par ailleurs passionnant, éclaire beaucoup cette surenchère des "passés historiques millénaires" au Kurdistan, où on a parfois l'impression que ce pays n'est peuplé que de peuples premiers, jamais une goutte de sang d'envahisseur ne peut couler dans les veines d'un Kudistanî.

À Duhok, une plaque devant le site néolithique de Çar Stîn, chante la gloire d'un roi mède, qualifié de "premier empereur" du Kurdistan ; les Assyriens ont fêté en avril dernier l'Akito soit l'année 6759 (en battant donc de 4000 ans les Médo-Kurdes en ancienneté) et affirment haut et fort qu'ils descendent tous en droite ligne, ADN à l'appui, d'Assurbanipal ou de Sargon. Il y a sans doute des Chaldéens pour affirmer que Nabuchodonosor et Babylone, c'est eux ; bien sûr le yézidisme est la plus vieille religion du monde ; les Arméniens descendent d'Ourartou (ou du Mitanni selon les variantes).

D'ailleurs, au-delà du Kurdistan, les Turcs avaient inauguré le ballet en se clamant descendant des Hittites et même de Sumer (une fois qu'on eut découvert Sumer), suivis d'assez près par les juifs d'Europe et de Russie, forcément tous fils d'Hébreux. Le conflit naît quand le mythe de l'origine sert à nier l'existence et les droits de l'autre sur le terrain du réel et de la politique.

Au Kurdistan, l'on se comporte pour le moment à l'instar des cités civilisées du monde grec : Il est de bon ton de laisser les autres dérouler leur généalogie avec superbe, avant d'étaler la sienne, comme dans un concours de dengbêj. Ainsi, tout le monde a de louables origines et est assez content de soi pour écouter les panégyriques de l'autre avec bienveillance, pour autant que le mythe ne prétende pas controverser, par exemple en dénonçant les mythes des autres comme imposture, ou trouver à s'appliquer sur un terrain législateur ou dans le champ des sciences et de l'histoire. C'est la grosse bourde du rapport de Human Right Watch de n'avoir pas compris cela, j'y reviendrai.

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