" Laisse-toi tomber, Et tu retrouveras le chemin de la liberté."


Je n'ai jamais craint la mort. Ma crainte est de mourir dans un pays où le salaire du fossoyeur l'emporte sur la liberté des hommes.
(Ahmed Shamlou)




"Les dernières lueurs du soleil couchant
M'indiquent le chemin sur lequel écrire
Le bruit des feuilles mortes sous mes pas
Me dit " Laisse-toi tomber,
Et tu retrouveras le chemin de la liberté."
[Margot Bickel, poétesse allemande traduite par Ahmad Shamlou]

Je n'ai jamais craint la mort, même à présent que je la sens si proche de moi. Je sens son odeur et elle m'est familière, car c'est une vieille connaissance de cette terre et de ce peuple. Je ne parlerai pas de la mort, mais des raisons de cette mort. Puisque elle est devenue le salaire de la justice et de la liberté, comment craindre d'en finir ? "Eux" qui "nous" ont condamnés à mort pour avoir cherché une mince ouverture vers un monde meilleur, délivré de l'injustice, savent-ils ce qu'ils font ?

Ma vie a commencé dans la ville de Kermanshah, un nom qui, pour mes compatriotes a toujours voulu dire Grandeur ; le berceau de la civilisation dans notre pays. Très tôt, j'ai vu la discrimination, l'oppression, je les ai ressenties au plus profond de mon être ; cette cruauté et le pourquoi de cette cruauté, et les tentatives d'y remédier ont fait naître une foule de pensées en moi. Mais hélas, ils avaient bloqué toutes les routes menant à la justice et rendu l'atmosphère si répressive que je n'ai pu trouver le moyen de changer les choses de l'intérieur et je suis parti pour un autre lieu [le Kurdistan d'Irak] : Je suis devenu un peshmerga du Komala ; c'est le désir de me trouver moi-même, de trouver mon identité qui m'a fait prendre cette direction. Quitter mon lieu de naissance fut difficile, mais je n'ai jamais coupé les liens qui me rattachaient à la ville de mon enfance. De temps à autre, je souhaitais rentrer chez moi pour retrouver mes vieux souvenirs, et c'est l'une de ces fois-là que par "eux", cette visite a tourné à l'aigre ; ils m'ont arrêté et emprisonné. Dès ce premier instant et devant l'hospitalité témoignée par mes geôliers, j'ai réalisé que le destin tragique de beaucoup de mes camarades serait aussi le mien : torture, dossier falsifié, jugement à huit-clos et sous influence, un verdict injuste et politisé, et pour finir la mort.

Permettez-moi de vous raconter cela de façon plus décontractée : Après avoir été arrêté à Kamyaran le 20 juillet 2008, et après quelques heures passées en tant qu'"invité" du bureau de renseignements de cette ville, alors que des menottes et un bandeau m'ôtaient le droit de voir et de me mouvoir, une personne qui s'est présentée comme étant l'adjoint du procureur a commencé à me poser une série de questions sans rapport les unes avec les autres, et remplies d'accusations fausses (je tiens à souligner que tout interrogatoire judiciaire en dehors d'une salle d'audience est interdit par la loi). Ce fut la première de mes nombreuses séances d'interrogatoire. La nuit même, j'ai été transféré au bureau de renseignements de la province du Kurdistan, dans la ville de Sanandadj, et c'est là que j'ai su que la partie était véritablement engagée : une cellule sale, des toilettes dégoûtantes et des couvertures qui n'avaient probablement pas vu d'eau depuis des décennies ! À partir de ce moment, mes nuits et mes jours se sont déroulés dans les salles d'interrogatoire et les couloirs du sous-sol, où j'ai été soumis à une torture extrême, et des coups. Cela a duré trois mois et durant ces trois mois, mes interrogateurs, sans doute dans l'espoir d'une promotion ou d'une petite augmentation, ont émis des accusations aussi étranges que fausses, bien qu'ils savaient mieux que personne combien ils étaient loin de la réalité. Ils ont fait beaucoup d'efforts pour tenter de prouver que j'étais impliqué dans un attentat armé ayant pour but de renverser le régime.

Les seules charges qu'ils ont pu retenir contre moi étaient d'être membre du Komalah et d'avoir pris part à des activités de propagande contre le régime. La première chambre du tribunal de la république islamique de Sanandadj m'a condamné à 10 ans en exil dans la prison de Ramhormoz [Est du Khouzistan]. Les structures politiques et administratives du gouvernement souffrent constamment de la centralisation, mais dans mon cas, ils ont essayé de décentraliser la justice et ont donné aux cours d'appel de la province du Kurdistan le pouvoir de rejuger les crimes des prisonniers politiques, même avec des sentences aussi lourdes que la peine capitale. Dans mon cas, le procureur de Kamyaran a fait appel du verdict de la première chambre, et la cour d'appel du Kurdistan a commué une peine de dix ans de prison en condamnation à mort, ce qui va à l'encontre des lois de la république islamique. Selon l'article 258 de la loi "Dadrasi Keyfari", une cour d'appel peut alourdir le verdict initial uniquement dans le cas où ce verdict est inférieur à la peine minimale prévue pour le crime. Dans mon cas, le crime était celui de 'Moharebeh" (animosité envers Dieu), dont la peine minimale est d'un an de prison ; ma sentence était de dix ans et en exil, nettement au-dessus du minimum. Si vous comparez ma condamnation à la peine minimale pour ce crime, vous comprendrez la nature illégale et politique de cette peine de mort. Je dois cependant mentionner que, peu avant de changer le verdict, ils m'ont amené de la prison centrale de Sanandadj au bureau d'interrogatoire des Renseignements et m'ont demandé d'avouer des crimes que je n'ai pas commis dans un entretien filmé, et de dire des choses auxquelles je ne croyais pas. En dépit de fortes pressions, je n'ai pas accepté de faire cette confession filmée, et ils m'ont alors carrément dit qu'ils allaient faire changer mon verdict en condamnation à mort, ce qu'ils ont fait en peu de temps, démontrant à quel point les tribunaux obéissent à des pouvoirs étrangers au département de la Justice. Par conséquent, sont-ils à blâmer ?

Un juge doit prêter serment de rester juste en toute situation, en tout temps et envers toute personne, et de regarder le monde d'un point de vue uniquement juridique. Quel juge dans ce pays funeste peut prétendre n'avoir jamais rompu ce serment et être toujours resté juste et équitable ? À mon avis, ces juges-là se comptent sur les doigts d'une main. Lorsque tout le système judiciaire de l'Iran, sur la suggestion d'un interrogateur (sans aucune connaissance des questions juridiques), arrête, juge, emprisonne et exécute les gens, peut-on vraiment le reprocher aux petits juges d'une province qui est depuis toujours réprimée et victime de discrimination? Oui, cette maison a ses fondations en ruines..

Ceci en dépit du fait que, lors de ma dernière rencontre avec le procureur, ce dernier a admis que la peine de mort était illégale ; mais pour la seconde fois, ils m'ont notifié qu'ils allaient procéder à l'exécution. Inutile de dire que cette insistance à appliquer une sentence de mort résulte de pressions de forces politiques et sécurité étrangères à la justice. Dites-vous que ces gens ne regardent la vie et la mort des prisonniers d'opinion que du point de vue de leurs fiches de paie et des nécessités politiques, rien d'autre ne compte pour eux que leurs propres buts, même s'il s'agit du plus fondamental des droits humains, celui de vivre. Oubliez les lois internationales, ils se moquent complètement de leurs propres lois et procédures...

Mais voici mes dernières paroles : Si dans l'esprit de ces dirigeants et de ces oppresseurs, ma mort va les débarrasser du «problème» appelé Kurdistan, je dois dire que ce n'est qu'une illusion. Ni ma mort, ni la mort de milliers de personnes comme moi ne seront un remède à ce mal incurable, et peut-être même seront-elles le carburant de cet incendie. Il ne fait pas de doute que chaque mort tend vers une vie nouvelle.

Dernière lettre d'Ehsan Fattahian, prison centrale de Sanandadj, pendu le 11 novembre, entre 6h et 7h du matin, à l'âge de 27 ans.


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