"On Vulnerable Ground", rapport de HRW sur Ninive (suite)
Contrôle et protection kurdes :
Le début de ce passage commence par une interprétation discutable des élections provinciales de 2009, en tout cas à nuancer. HRW affirme ainsi que le scrutin fut un recul pour les Kurdes dans la province de Ninive, bien qu'ils aient largement arrosé d'argent les minorités de Ninive. Or, si, comme ils l'ont eux-mêmes indiqué plus haut, les élections de 2005 ont été remportées dans tout Mossoul en raison du boycott sunnite, il est évident que les résultats allaient être modifiés dès lors que les arabes sunnites, majoritaires, participaient. Mais 19 sièges sur 34, ce n'est pas non plus une victoire écrasante, même dans tout Mossoul-Ninive, et la liste Fraternité kurdo-chrétienne l'emporte dans les districts justement réclamés par le GRK (Sindjar, Sheikhan, plaine de Ninive) ce qui fait dire, aux officiels du GRK, que ces dernières élections ont bel et bien fait figure de référendum.
Élections provinciales de janvier 2009 :
* Al-Hadbaa Liste Nationale (nationalistes sunnites): 48.4% - 19 sièges sur 34
* Fraternité Ninive (Coalition Kurdo-chrétienne) : 25.5% - 10 sièges
* Parti islamique (parti sunnite, coalisé avec Maliki) : 6.7% - 3 sièges
* Front turkmène (proches d'Ankara) : 2.8% - 1 siège
* Rassemblement pour le projet irakien (sunnite) : 2.6% - 1 siège
* Al-Mehrab ou Liste des Martyrs (parti chiite de l'ayatollah Al-Hakim) : 1.9%
* Liste de l'Unité nationale irakienne : 1.8%
* Liste irakienne nationale (alliance laïque sunnites-chiites qui a rassemblé notamment deux anciens Premiers ministres, Allwai (chiite) et Yawer (sunnite)) : 1.8%
* Al-Hadbaa Liste Nationale (nationalistes sunnites): 48.4% - 19 sièges sur 34
* Fraternité Ninive (Coalition Kurdo-chrétienne) : 25.5% - 10 sièges
* Parti islamique (parti sunnite, coalisé avec Maliki) : 6.7% - 3 sièges
* Front turkmène (proches d'Ankara) : 2.8% - 1 siège
* Rassemblement pour le projet irakien (sunnite) : 2.6% - 1 siège
* Al-Mehrab ou Liste des Martyrs (parti chiite de l'ayatollah Al-Hakim) : 1.9%
* Liste de l'Unité nationale irakienne : 1.8%
* Liste irakienne nationale (alliance laïque sunnites-chiites qui a rassemblé notamment deux anciens Premiers ministres, Allwai (chiite) et Yawer (sunnite)) : 1.8%
Le texte poursuit ensuite sur un "on rapporte que" Sarkis Aghakan, l'ancien ministre des Finances, "aurait dépensé des millions de dollars dans les territoires disputés". Qu'il y ait eu énormément de dépensé pour les chrétiens, ça ne fait pas de doute mais je ne suis pas sûre que cela ne couvre pas aussi la chaîne Ishtar, les partis chrétiens pro-Kurdistan, la presse, l'accueil et le logement des réfugiés, l'ouverture d'école de part et d'autre de la frontière de la Région, en plus de financer la protection des villages de Ninive. Quoiqu'il en soit, la "marque" de Sarkis Aghajan est visible dans la région, avec nouveaux logements, églises, aide sociale, clubs de sport et de jeunesse, etc. Cela dit, ils n'ont qu'à aller à Ankawa et dans toutes les grandes villes du Kurdistan, même Shaqlawa, ils trouveront la même chose. Ce n'est pas réservé aux chrétiens de Ninive.
Mais cela suscite méfiance, suspicion, ou aigreur, de la part de "membres du clergé). Ainsi le propos d'un "prêtre de Qaraqosh" est transcrit tel quel : "Les Kurdes ont un agenda caché et utilise l'argent pour se coopter les chrétiens – ce n'est pas parce qu'il veulent aider notre peuple... Je crois que quiconque est en désaccord avec cet agenda risque sa vie."
Ce qui est dommage, quand HRW rapporte de tels propos, c'est qu'il ne mentionne pas à quelle faction politique appartiennent les chrétiens opposés à la liste Fraternité. Ni même qui ils sont et d'où ils viennent. Par exemple, tout le séminaire de Baghdad, la plupart du Patriarcat, se sont repliés entre Ninive et Ankawa, et pas parce que les Kurdes les menaçaient. Mais à l'intérieur même du clergé, par exemple chaldéen, la fraction arabe est à couteaux tirés avec la fraction kurdistanî. Quant au Patriarche il essaie à tout prix de garder le contrôle politique tout autant que spirituel sur l'ensemble des Chaldéens et a même écrit à Massoud Barzanî pour protester contre la mention des Assyriens Chaldéens etc, en voulant que, comme dans la Constitution irakienne, les Chaldéens soient mentionnés comme un peuple à part (et ceci contre la volonté de ses ouailles elles-mêmes dont les députés ont failli faire une crise pour des histoires de virgule, comme nous l'avons vu). D'autres chrétiens appartiennent au Mouvement démocratique assyrien, un temps soutenu par le PDK, brouillé avec depuis. Des chrétiens venus de Bagdad, ou de Basra se sentent "Irakiens" (en étant totalement arabisés), tandis que des chrétiens locaux, ou du Kurdistan ne parlent même plus l'arabe. Bref, ce qui est gênant dans le rapport, c'est qu'ils n'ont pas l'air d'interroger la neutralité des élites dès lors qu'elles protestent contre le GRK, les présentant comme parole absolument neutre, alors que les pro-Kurdistan sont présentés implicitement comme terrifiés ou achetés.
Or il y a très peu de factions neutres dans cette histoire. Et évidemment, le clientélisme à l'irakienne ou à la kurde joue à fond. Celui qui paie le plus a le plus de partisans, ce qui n'est pas une surprise. Ainsi d'autres "représentants chrétiens" (de quoi ? quel type de représentation ?), accusent le GRK d'acheter des allégeances tribales (c'est aussi de la même façon que l'Irak a rallié les tribus sunnites dissidentes) et de nourrir des "divisions internes" dans les minorités, en fondant des sociétés alternatives (à qui ?) qui favoriseraient le pouvoir kurde et bloqueraient les autres.
Ce que je crois sans peine, de même que les "églises" ou des ONG hostiles aux Kurdes se sont vu couper les fonds par le GRK. C'est tellement évident dans l'esprit des Kurdes qu'ils ne s'en cachent absolument pas et la réponse de Mohammed Ihsan, l'ancien ministre des Affaires extra-régionales, chargé de ces territoires donc, est des plus limpides et ingénues : "Nous ne sommes pas des anges, nous sommes des politiciens, et c'est la politique. Rejoignez-nous et nous vous donnerons ceci et cela", tout en niant les pressions et les menaces. Quant aux fonds dont disposait Sarkis Aghajan, le (toujours) ministre de l'Intérieur, Karim Sindjari, a répondu tout aussi nettement : "Ce n'est pas l'argent d'Aghajan, mais l'argent du GRK... Il n'a rien fait par lui-même, il l'a fait par le biais du GRK. Le Premier Ministe l'avait ordonné."
Ce qui est sûr, c'est que c'était effectivement la politique de Nêçirvan Barzani au sein même de la Région et pas seulement pour les chrétiens. Le Centre Lalesh des Yézidis à Duhok était soutenu financièrement par lui, ainsi que des programmes de relogement des chrétiens dans leurs anciens quartiers, comme à Zakho, en indemnisant les musulmans qui s'y étaient installés entre temps. Parfois c'était effectivement les Finances, parfois c'était directement le Premier Ministre.
Est-ce un si grand traumatisme pour les chrétiens de se faire arroser de partout ? Sheikh George Kako, un leader chrétien "pro-Kurdistan" (un chrétien qu'on appelle Sheikh et Kako, celui là on est SÛR qu'il est ne vient pas du sud arabe...) raisonne comme un paysan madré, en confirmant à HRW : " Je souhaite que la région reste disputée cent ans car nous continuerons à recevoir des fonds des deux côtés. Laissons-les nous entretenir."
Il est intéressant –ou significatif – que HRW n'ait pas relevé "les deux côtés" de ces propos en demandant quel était l'autre parrain. De façon générale, les "représentants des minorités" interrogés viennent des factions anti-Kurdistan, que ce soit les Shabaks, les chrétiens, les yézidis. On aurait quand même pu équilibrer les dires en présentant les points de vue divergents, mais ce n'est jamais le cas. Les leaders hostiles au GRK "représentent" toute leur communauté, les leaders pro-Kurdistanî sont quasi-absents du rapport ou confondus avec "les Kurdes"
Il est dit ainsi que "les Kurdes" soutiennent le centre culturel Lalesh, et paient les employés, centre qui a des branches dans la plupart des villes kurdes (toujours sans distinguer la Région et les territoires extérieurs). Il aurait été judicieux de préciser que le siège en est à Duhok et que cette politique des minorités n'est pas seulement destinée aux territoires revendiqués, c'est celle que le GRK applique dans la Région (le clientélisme aussi et pas seulement envers les minorités). Et que par ailleurs les dirigeants de ces centres sont des notables politiques, parfois députés, de la Région du Kurdistan. Il est d'ailleurs étonnant qu'ils ne soit jamais fait mention de Mîr Tahsin Beg, qui est quand même le chef, en principe spirituel et politique des Yézidis, et qui n'est pas dur à trouver à Sheikhan. Il aurait été intéressant de l'entendre à ce sujet.
Vient un point sur lequel vont se planter royalement les rapporteurs de HRW, c'est la question des ethnies. Tout commence par un propos de Qusay Abbass, le seul élu shabak au Conseil provincial de Ninive (les autres boycottent, s'ils font partie de la liste Fraternité, ou n'ont pas eu de siège), qui accusent les Kurdes de vouloir les "kurdifier" comme les Arabes ont voulu les arabiser auparavant. Tout comme les partis yézidis "indépendants" c'est-à-dire anti-GRK, qui se plaignent d'être marginalisés en étant écartés de la manne financière du GRK. À vrai dire, je ne vois pas trop comment le GRK aurait le devoir de financer des partis adverses ou pro-"on reste dans l'Irak"...
La question est plus pertinente concernant l'administration et la sécurité assurées par les milices locales. Étant financées par le GRK, il est évident que ce n'est pas une force neutre. Karim Sinjari souligne que les Peshmergas sont dans la Région depuis 2004 à la demande des USA et de l'Irak du temps où Mossoul-Ninive ressemblait à Falloujah. Le fait est que la "protection" kurde a sécurisé les lieux, même si ce n'est pas autant que dans la Région du Kurdistan (mais on ne peut demander aux Peshmergas de moins contrôler Ninive et en même temps d'assurer la sécurité quasi-totale qu'il y a dans les provinces de Duhouk, Erbil et Suleïmanieh, c'est pourtant ce qu'on va leur reprocher plus loins).
Karim Sinjari affirme que les gens qui vivent dans les territoires revendiqués souhaitent le rattachement au GRK. Bassem Bello, maire chrétien de la ville mixte de Tell Kaif (mi-chrétiens mi-arabes sunnites), voit les forces kurdes comme "illégales". À ce stade, on se dit que vivement un référendum qui éclaircirait les positions des uns et des autres, mais on peut l'attendre encore longtemps...
Vient ensuite les plaintes concernant les Peshmergas et les Asayish.
(à suivre)
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