TURQUIE : LES MESURES POUR RÉSOUDRE LA QUESTION JUGÉES DÉCEVANTES


Annoncé depuis le début de l’été, le plan du gouvernement turc pour résoudre la question kurde a finalement été révélé au public, suscitant des déceptions de la part des Kurdes qui jugent les mesures très insuffisantes, mais provoquant les protestations des partis nationalistes turcs, toujours prompts à dénoncer les compromis avec le « séparatisme ».

Parmi ces mesures, l’autorisation pour les localités kurdes ou syriaques de recouvrer leur ancien nom, turquisé d’office, lever les interdictions sur l’usage public du kurde dans les meetings électoraux, autoriser les familles de prisonniers à parler kurde au parloir. Le gouvernement souhaite également créer une commission indépendante pour résoudre les problèmes de torture et de discrimination. Mais ces mesures ne sont pas jugées suffisantes, selon la plupart des analystes, pour mettre fin au conflit. Comme le fait remarquer l’éditorialiste Murat Yetkin, dans le journal Radikal, « si ce qu’annonce Atalay [le ministre de l’Intérieur] sont de véritables pas en avant vers le développement de normes démocratiques, c’est une bonne chose... mais le PKK ne descendra pas de ses bastions montagneux uniquement parce qu’il y a une commission indépendante pour les droits de l’homme et que les gens peuvent parler leur langue maternelle en prison. » Le PKK a, pour sa part, déclaré dans un communiqué à l’agence Firat que « la question kurde ne pouvait être résolue sans reconnaître la volonté du peuple kurde et entamer un dialogue avec ses interlocuteurs [c’est-à-dire le PKK lui-même]. »

Une des revendications récemment lancées par le PKK est la reconnaissance du peuple kurde au niveau constitutionnelle, ce qui est une ligne rouge qui semble pour le moment infranchissable, au moins psychologiquement, pour la classe politique ou l’opinion turque, d’autant que l’AKP ne dispose plus des 367 députés sur 550 nécessaires pour faire passer un changement constitutionnel au parlement. C’est lors du débat parlementaire autour de la question kurde que le vice-président du CHP, Önür Öymen, a incidemment lancé une polémique annexe, concernant cette fois l’histoire kurde et la version officielle de la Turquie sur les révoltes au Kurdistan et la terrible répression qui s’en est suivie au Dersim, notamment.

Le 9 novembre, en effet, répliquant aux partisans des réformes et à l’AKP, cet ancien ambassadeur a déclaré que l’argument selon lequel la paix épargnerait à de nombreuses familles turques de porter le deuil de leurs enfants soldats n’était pas recevable : « Est-ce que les mères ne pleuraient pas pendant la guerre d’indépendance, pendant la révolte de Cheikh Saïd, et celle de Dersim ou à Chypre ? Est-ce que quelqu’un a demandé alors d’arrêter les combats pour que les mères cessent de pleurer ? » Mais l’envolée a non seulement indigné l’opinion kurde mais les Alévis en général, qui ont blâmé le fait qu’un élu turc compare une guerre contre un ennemi extérieur (les Puissances Alliées ou Chypre) à une répression militaire contre des citoyens comptés comme officiellement « turcs ». Les premiers concernés, les Alévis kurdes de Dersim, dont les grands-parents ont été victimes des massacres de 1937-1938 ont été les plus virulents. Des portraits d’Önür Öymen grimé en Hitler ont été affichés dans les rues de la ville. Les Alévis, par hostilité aux partis religieux et attachement à la laïcité votaient pourtant traditionnellement CHP, malgré une certaine poussée électorale en faveur de l’AKP en 2007 et aux dernières élections, le DTP avait fait un bon score à Dersim. Les propos du vice-président ont en tout cas eu le mérite de porter sur la place publique une des pages les plus sombres de l’histoire de la république, ignorée par la plupart des Turcs. Il remet aussi sur le devant de la scène la question religieuse des Alévis qui, officiellement recensés comme musulmans et relevant donc de la Diyanet (Direction des Affaires religieuses) de l’islam, réclament le statut de minorité religieuse qui ne leur est pas reconnu, au contraire des chrétiens et des juifs. Les élèves alévis doivent aussi suivre les cours de religion islamique sunnite obligatoire à l’école.

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