Les méfaits des moutons noirs et des moutons blancs
Le Sherefname affiche une hostilité très nette envers les dynasties turcomanes pré-ottomanes, bien plus qu'envers les Mongols et les Timourides, ce qui me semblait étrange. Mais il semble que ces Turcmènes n'aient finalement pas laissé de bons souvenirs aux chrétiens non plus. Iskandar, le fils de Kara Yusuf (des Kara Koyunlu) est ainsi décrit par les chroniques : "Il fit un désert de l'Arménie" (1426) ; un autre écrit alors : "Chaque fois Iskandar pillait et emmenait ses captifs loin de la région de Van et de Vostan. Il s'empara ensuite de la citadelle de Van, et nous tous, évêques et vardapet, moines et prêtres, tanoutêr (chefs de famille) et femmes, dûmes nous enfuir ; nous errâmes dans des terres inconnues et devînmes des étrangers." Un moine du couvent de Metzop' se plaint en 1427 de ce que la liturgie divine n'ait pas été célébrée depuis dix ans. Pendant cette même décennie, Iskandar attaqua également de nombreux chefs kurdes près du lac de Van et dans la région d'Ourmia."
Sous les Akkoyunlu, ça ne s'arrange pas :
"Ouzoun Hasan voulait effacer toute trace d'autonomie sur son territoire ; en 1473, il attaque Bitlis, l'antique forteresse des émirs kurdes qui gouvernaient la région du lac de Van. Il prit Bitlis ainsi que Khlat' et des territoires situés vers le sud et en Djézira."
"En 1499, l'Etat ak koyounlou fut partagé : Alwand reçut l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et son frère Mouhammad la Mésopotamie septentrionale et l'Irak. Le règne d'Alwand fut marqué par de sévères incursions et exactions dans les régions de Van et de K'adjbérouni. Les colophons déplorent les privations dues à la perception d'un impôt de 2000 tahégan par personne - somme dépassant toute imagination. Les pauvres gens devaient même donner leurs vêtements et leurs animaux, sans parvenir à satisfaire aux exigences des percepteurs : ils s'exposaient ainsi à des expulsions, à des châtiments corporels et même à des pendaisons. Tout cela ruina plus encore une économie déjà moribonde et un peuple persécuté. Les sources arméniennes reconnaissent d'ailleurs que les Kurdes et les Turcs sédentaires souffrirent autant que les Arméniens sous les derniers Ak Koyounlou."
Sous les Ottomans, mis à part l'agitation kizil bash et séfévide, les rapports s'améliorent, entre la capitale et les princes kurdes, tirant profit de la guerre turco-perse : "Dans les quelques cent ans qui suivirent, Van et Erzouroum allaient être les villes les plus disputées. En 1534, Soliman le Magnifique rejoignit son armée et obtint l'allégeance du khan kurde de Bitlis (pour cette ville et ses forteresses au sud du lac de Van), ainsi que celle de plusieurs princes géorgiens. Les Kurdes ne devaient cependant se soumettre totalement qu'au XVII° siècle, et les Ottomans ne s'emparèrent alors que de la région du lac de Van."
"Les Kurdes, peuple guerrier à demi nomade, musulmans sunnites, encourageaient les Ottomans ; ils servaient de tampon entre ceux-ci et les Turcomans chiites du châh de Perse. Nombre d'entre eux furent alors installés dans l'Artsakh, le Siounik', le Chirwan et dans la plaine d'Ayrarat.
Pendant les vingt-trois ans d'accalmie qui précédèrent la réouverture des hostilités, les Ottomans employèrent des Arméniens et des Kurdes pour construire et reconstruire des forteresses situées à Van et Ardchêch (d'après un colophon de 1566), et certainement dans d'autres régions. Peu après la mort de Soliman et du châh Tahmasp, les Ottomans encouragèrent, dans la région entre Van et Khoy, une rébellion kurde contre les membres de la dynastie séfévide, qui se disputait par les armes la succession au trône."
"Le mouvement djélalî :
Au cours de la seconde moitié du XVI° siècle, l'Etat ottoman connut une grave crise monétaire, en grande partie provoquée par l'afflux d'un argent de médiocre valeur venu des Amériques par l'Europe. La monnaie ottomane en fut dévalorisée, les prix montèrent. La cavalerie provinciale des sipahi se joignit aux soldats irréguliers d'Anatolie, les sebkan, qui étaient en général de jeunes paysans sans terres, recrutés en temps de guerre. La démobilisation consécutive à la paix de 1590 les contraignit à chercher des moyens de subsistance. Des nomades turcs et kurdes de joignirent à eux ; les bandes ainsi formées prirent le nom de djélali : villes et villages de l'Arménie, de la Cappadoce et de l'Anatolie furent continuellement à leur merci entre 1590 et 1610. Des colophons arméniens datant des cinq premières années du XVII° siècle mentionnent une dizaine de fois les exigences de Kara Yazidji, le plus connu de ces chefs indépendants, et de ses quelques 20 000 partisans. Le gouvernement ottoman se révélait incapable de les éliminer."
Ce qui est clair aussi, c'est que la guerre quasi permanente entre les deux empires, ruinent et dépeuplent la région intermédiaire, comme au temps des guerres entre Byzantins et Sassanides.
"Des voyageurs étrangers confirment que la province d'Ayrarat, Alachkert, Bayazet et la plaine de Nakhdchawan étaient dépeuplés. Des nomades kurdes et des Turcomans s'établirent dans les régions abandonnées. Les artisans et les marchands qui avaient échappé à l'émigration forcée rejoignirent leurs compatriotes en Iran, ou se rendirent dans des terres plus lointaines. L'économie était ruinée."
"Les nomades turcs et kurdes transformèrent rapidement les champs abandonnés en pâturages pour leurs troupeaux."
Avant cela, même sous les Turcomans, "la région du lac de Van était la plus active d'Arménie au XV° siècle, et sans doute au XVI° (nous en aurons la preuve lorsque les colophons du XVI° siècle seront publiés). Elle avait son propre catholicos, installé à Aght'amar depuis 1113 et reconnu par ceux de Sis et d'Edjmiatzin dans la deuxième moitié du XVI° siècle. Ses villes étaient animées : l'anonyme vénitien qui visita Aght'amar dans le premier quart du XVI° siècle affirme qu'il y avait 600 maisons édifiées sur l'île, formant une ville appelée Arménik'. Au XV° et au début du XVI° siècle, Khizan, Bitlis (Baghêch), Varag et Van étaient avec elles les plus importantes, les autres centres ayant été affectés à divers degrés par les guerres turco-persanes. Bitlis et quelques autres villes furent en effet protégées par des Kurdes, dont les Arméniens avaient loué les services ; mais ce ne fut pas le cas général."
"Au cours de la période de déclin en Cilicie, le catholicos d'Aght'amar - qui s'était auparavant réconcilié avec le "catholicos de tous les Arméniens" d'Edjmiatzin -, bénéficiant de sa situation centrale qui lui permettait, plus qu'au catholicos de Sis, d'être en contact avec la population arménienne, conserva des centres semi-autonomes dans le nord du pays et profita de la protection occasionnelle des émirs kurdes et des Kara Koyounlou pour exercer son autorité sur l'Eglise et la nation arménienne au-delà des confins immédiats de la région de Van."
IX. Sous le joug des Turcomans et des Turcs ottomans.
Sous les Akkoyunlu, ça ne s'arrange pas :
"Ouzoun Hasan voulait effacer toute trace d'autonomie sur son territoire ; en 1473, il attaque Bitlis, l'antique forteresse des émirs kurdes qui gouvernaient la région du lac de Van. Il prit Bitlis ainsi que Khlat' et des territoires situés vers le sud et en Djézira."
"En 1499, l'Etat ak koyounlou fut partagé : Alwand reçut l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et son frère Mouhammad la Mésopotamie septentrionale et l'Irak. Le règne d'Alwand fut marqué par de sévères incursions et exactions dans les régions de Van et de K'adjbérouni. Les colophons déplorent les privations dues à la perception d'un impôt de 2000 tahégan par personne - somme dépassant toute imagination. Les pauvres gens devaient même donner leurs vêtements et leurs animaux, sans parvenir à satisfaire aux exigences des percepteurs : ils s'exposaient ainsi à des expulsions, à des châtiments corporels et même à des pendaisons. Tout cela ruina plus encore une économie déjà moribonde et un peuple persécuté. Les sources arméniennes reconnaissent d'ailleurs que les Kurdes et les Turcs sédentaires souffrirent autant que les Arméniens sous les derniers Ak Koyounlou."
Sous les Ottomans, mis à part l'agitation kizil bash et séfévide, les rapports s'améliorent, entre la capitale et les princes kurdes, tirant profit de la guerre turco-perse : "Dans les quelques cent ans qui suivirent, Van et Erzouroum allaient être les villes les plus disputées. En 1534, Soliman le Magnifique rejoignit son armée et obtint l'allégeance du khan kurde de Bitlis (pour cette ville et ses forteresses au sud du lac de Van), ainsi que celle de plusieurs princes géorgiens. Les Kurdes ne devaient cependant se soumettre totalement qu'au XVII° siècle, et les Ottomans ne s'emparèrent alors que de la région du lac de Van."
"Les Kurdes, peuple guerrier à demi nomade, musulmans sunnites, encourageaient les Ottomans ; ils servaient de tampon entre ceux-ci et les Turcomans chiites du châh de Perse. Nombre d'entre eux furent alors installés dans l'Artsakh, le Siounik', le Chirwan et dans la plaine d'Ayrarat.
Pendant les vingt-trois ans d'accalmie qui précédèrent la réouverture des hostilités, les Ottomans employèrent des Arméniens et des Kurdes pour construire et reconstruire des forteresses situées à Van et Ardchêch (d'après un colophon de 1566), et certainement dans d'autres régions. Peu après la mort de Soliman et du châh Tahmasp, les Ottomans encouragèrent, dans la région entre Van et Khoy, une rébellion kurde contre les membres de la dynastie séfévide, qui se disputait par les armes la succession au trône."
"Le mouvement djélalî :
Au cours de la seconde moitié du XVI° siècle, l'Etat ottoman connut une grave crise monétaire, en grande partie provoquée par l'afflux d'un argent de médiocre valeur venu des Amériques par l'Europe. La monnaie ottomane en fut dévalorisée, les prix montèrent. La cavalerie provinciale des sipahi se joignit aux soldats irréguliers d'Anatolie, les sebkan, qui étaient en général de jeunes paysans sans terres, recrutés en temps de guerre. La démobilisation consécutive à la paix de 1590 les contraignit à chercher des moyens de subsistance. Des nomades turcs et kurdes de joignirent à eux ; les bandes ainsi formées prirent le nom de djélali : villes et villages de l'Arménie, de la Cappadoce et de l'Anatolie furent continuellement à leur merci entre 1590 et 1610. Des colophons arméniens datant des cinq premières années du XVII° siècle mentionnent une dizaine de fois les exigences de Kara Yazidji, le plus connu de ces chefs indépendants, et de ses quelques 20 000 partisans. Le gouvernement ottoman se révélait incapable de les éliminer."
Ce qui est clair aussi, c'est que la guerre quasi permanente entre les deux empires, ruinent et dépeuplent la région intermédiaire, comme au temps des guerres entre Byzantins et Sassanides.
"Des voyageurs étrangers confirment que la province d'Ayrarat, Alachkert, Bayazet et la plaine de Nakhdchawan étaient dépeuplés. Des nomades kurdes et des Turcomans s'établirent dans les régions abandonnées. Les artisans et les marchands qui avaient échappé à l'émigration forcée rejoignirent leurs compatriotes en Iran, ou se rendirent dans des terres plus lointaines. L'économie était ruinée."
"Les nomades turcs et kurdes transformèrent rapidement les champs abandonnés en pâturages pour leurs troupeaux."
Avant cela, même sous les Turcomans, "la région du lac de Van était la plus active d'Arménie au XV° siècle, et sans doute au XVI° (nous en aurons la preuve lorsque les colophons du XVI° siècle seront publiés). Elle avait son propre catholicos, installé à Aght'amar depuis 1113 et reconnu par ceux de Sis et d'Edjmiatzin dans la deuxième moitié du XVI° siècle. Ses villes étaient animées : l'anonyme vénitien qui visita Aght'amar dans le premier quart du XVI° siècle affirme qu'il y avait 600 maisons édifiées sur l'île, formant une ville appelée Arménik'. Au XV° et au début du XVI° siècle, Khizan, Bitlis (Baghêch), Varag et Van étaient avec elles les plus importantes, les autres centres ayant été affectés à divers degrés par les guerres turco-persanes. Bitlis et quelques autres villes furent en effet protégées par des Kurdes, dont les Arméniens avaient loué les services ; mais ce ne fut pas le cas général."
"Au cours de la période de déclin en Cilicie, le catholicos d'Aght'amar - qui s'était auparavant réconcilié avec le "catholicos de tous les Arméniens" d'Edjmiatzin -, bénéficiant de sa situation centrale qui lui permettait, plus qu'au catholicos de Sis, d'être en contact avec la population arménienne, conserva des centres semi-autonomes dans le nord du pays et profita de la protection occasionnelle des émirs kurdes et des Kara Koyounlou pour exercer son autorité sur l'Eglise et la nation arménienne au-delà des confins immédiats de la région de Van."
IX. Sous le joug des Turcomans et des Turcs ottomans.
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