ERBIL : DÉCOUVERTE ARCHÉOLOGIQUE MAJEURE ET RESTAURATION DE LA CITADELLE
Une équipe d’archéologues tchèques, menée par Karel Nováček, de l’université de Bohème occidentale, a mis au jour dans la citadelle d’Erbil, des outils datant de 150 000 ans, soit le Paléolithique moyen. C’est jusqu’à présent les plus anciens artefacts humains retrouvés dans la région.
« Historiquement, a déclaré Karel Nováček, c’est la première fois que les Tchèques sont impliqués au nord de la Mésopotamie. Mais nous n’avions pas choisi Erbil – c’est elle qui nous a plus ou moins choisis. Une société privée tchèque spécialisée dans la conservation historique était présente sur place depuis 2004 et nous avons pu ainsi y démarrer une activité. Nous avions dans l’idée qu’Erbil – une cité dont l’histoire remonte à 6000 avant J.C– serait idéale pour une expédition tchèque. » Le projet a dû pourtant faire face à un certain nombre de contraintes, avec lesquelles l’équipe a dû composer, notamment le fait qu’au rebours de beaucoup de sites archéologiques, Erbil offre la particularité presque unique en son genre d’avoir été constamment habitée et de l’être encore : actuellement, avec une population d’un million, c’est la troisième ville d’Irak après Bagdad et Mossoul “Contrairement aux cités assyriennes de Nirud ou de Ninive, qui n’ont pas duré au-delà du Moyen-Âge, Erbil a survécu. Les autres sites ont été par conséquent bien plus faciles à fouiller. À Erbil, en comparaison, il a été bien plus difficile de fouiller dans le sous-sol. »
Travailler dans une ville encore en activité a en effet obligé les chercheurs tchèques à utiliser différentes méthodes pour sonder des endroits intéressants: “À Erbil, il est impossible de se contenter de fouiller un peu partout, en découpant une zone en morceaux, comme cela se faisait au XIXe siècle. Nous avons donc choisi une combinaison de méthodes pour une reconstitution en mosaïque – en prenant des mesures géophysiques non invasives, en étudiant les bâtiments existants, le terrain, en analysant les anciennes photographies aériennes et les clichés satellitaires. Nous avons aussi examiné les documents datant d’il y a 50 ans, avant que beaucoup des anciens sites de la ville n’aient été détruits ou altérés. » Selon le spécialiste tchèque, l'équipe a pu reconstituer des « rubans » d'informations qui serviront à une meilleure compréhension d'Erbil dans son ensemble - une ville dont l'ancien centre, appelé « citadelle », se dresse à une hauteur de près 30 mètres au-dessus du reste de la ville. Avec son mur d'enceinte – elle est bâtie sur une couche d'anciennes fondations et de bâtiments datant de 6000 ans avant JC. « La Citadelle selon toute vraisemblance, a une histoire ininterrompue allant de 6000, peut-être même 7.000 années avant Jésus-Christ. Dans ses niveaux, elle conserve des vestiges de l'architecture originale monumentale de la ville assyrienne: des temples et des palais royaux, le temple d'Ishtar etc.. Pour le reste de la ville, nous sommes sur un terrain plus hypothétique, mais nos recherches donnent à penser qu'il y avait une zone plus vaste, qui faisait partie de l'ancienne ville assyrienne. »
Les archéologues tchèques ont opéré aussi en-dehors de la citadelle, profitant de la construction prévue d'un immense hôtel et centre commercial dans la nouvelle partie de la ville. Ils ont été alors en mesure de creuser neuf mètres dans le sous-sol et c'est là qu'ils ont finalement découvert des outils datant du paléolithique moyen, vieux de 150.000 années : des silex tranchants utilisés par des Homo sapiens ou des hommes de Néanderthal (Homo neanderthalensis), puisqu’à l’époque les deux espèces se côtoyaient encore en Mésopotamie. “Nous ne saurons probablement jamais qui a véritablement fabriqué ces outils – pas sans preuves anthropologiques concrets : ce sont juste les vestiges de l’un des peuples préhistoriques qui ont habité la région. Ce n’était pas du tout prévisible sur un site comme Erbil. Dans une zone d’habitat, une telle trouvaille a un caractère presque unique. Aussi, l’identité de ceux qui utilisaient ces outils – servant à couper la viande ou des peaux d’animaux – restera probablement un mystère. »
Les outils découverts à Erbil pourraient être les plus anciens jamais retrouvés dans la région. “Nous ne sommes pas certains de leur âge exact et si ces objets sont plus vieux qu’une découverte faite par les Américains il y a 50 ans. Mais les leurs étaient situés à 150 km d’ici, donc il est certain que c’est au moins la plus ancienne trouvaille à Erbil. »
L’équipe tchèque a commencé ses travaux en 2006 et fera part de ses découvertes dans des publications courant 2010. Mais Karel Nováček espère continuer les fouilles dans le futur. “Concernant le Palélolithique, il a encore une foule de recherches que nous pouvons mener, bien que cela requiert un matériel lourd. Mais il y a aussi d’autres possibilités : En 2007, les bâtiments datant de l’Empire ottoman – sans doute les seuls exemples restés intacts en Irak – ont été vidés de leurs habitants qui ont été relogés. Une rénovation attentive des édifices historiques a commencé. Mais le plan a rencontré des obstacles et les bâtiments sont restés vides deux ans, ce qui n’est pas bon. Nous espérons pouvoir conduire des recherches lorsque les choses redémarreront. »
De fait, les plans de restauration de la Citadelle sont trop lentement mis en place et plusieurs experts ont appelé le Gouvernement kurde à se soucier davantage de son patrimoine historique et archéologique, en soulignant que si des travaux importants n’étaient pas menés pour consolider les remparts, ils pourraient s’affaisser et des bâtiments s’effondrer. Plusieurs de ces grandes demeures ottomanes gardent en effet une décoration intérieure impressionnante, avec des fresques peintes, des fenêtres aux verres colorés, des arcades aux piliers en bois ou en marbre. Mais les murs et les toits (dont certains effondrés) sont en trop mauvais état pour assurer une protection efficace contre les intempéries.
Selon la Haute Commission pour la restauration de la citadelle d’Erbil (HCECR) 40 % des bâtiments courent un grave danger, 20% sont dans un état qualifié de « moyen ». Fin 2007, le gouvernement avait décidé la restauration de la Citadelle et demandé à ses habitants (des réfugiés dont les villages avaient été détruits par Saddam) de quitter les lieux moyennant compensation. Une seule famille avait été requise pour rester dans la Citadelle de sorte que l’occupation humaine continue depuis des millénaires ne soit pas interrompue. Après l’évacuation, le gouvernement a demandé au HCECR et à l’UNESCO de superviser les restaurations et d’œuvrer pour que le site soit sur la liste du Patrimoine mondial. Mais les lenteurs et l’échec des équipes ont décidé le gouvernement à remanier la direction de la Commission, il y a trois mois.
“Pendant presque un an, rien n‘a été fait pour la Citadelle », a déclaré Dara Yaquobi, le nouveau chef de la commission. Cet architecte, qui a déjà travaillé dans la Citadelle pendant les années 1980, s’est dit prêt, avec l’UNESCO, à reprendre le travail. La rénovation de la citadelle doit se faire en trois phases. D’abord, les maisons seront soigneusement documentées et un plan général mis en place. Dix maisons, parmi celles en plus mauvais état, seront immédiatement restaurées. Selon Dara Yaqoubi, l’UNESCO s’estime prêt à commencer ce sauvetage en avril prochain.
La deuxième phase du projet est de reconstruire les infrastructures de la Citadelle, dont le système de canalisation d’eau, l’électricité, le téléphone, Internet, et de rénover la plus grande partie des maisons restantes. Dara Yaquobi a indiqué que le Gouvernement kurde avait débloqué 12.9 de $US pour cette phase.
Enfin, la partie autour de la Citadelle appelée « zone-tampon », sera elle aussi remise à neuf : le voisinage, les boutiques, elles-mêmes assez anciennes et dans un état assez semblable à celui de la Citadelle. “Je pense que dans 10 ans, la Citadelle sera en assez bon état », assure Dara Yaqoubi. L’architecte se plaint cependant, de l’absence de contacts soutenus avec l’UNESCO dont les visites à son équipe sont trop rares : « Leur temps est très limité, je ne peux pas les rencontrer facilement. Quand ils viennent à la Citadelle, ils sont extrêmement prudents et protégés par des forces de sécurité. Il n’y a aucun besoin de telles procédures car le Kurdistan est sûr. »
Ce mois-ci, il a été cependant annoncé dans une conférence de presse que l’UNESCO a accepté de faire figurer « provisoirement » la Citadelle d’Erbil sur la liste du patrimoine mondial. Après la rénovation, cinquante familles seront autorisées à vivre sur place, dont Khalis Younis Mustafa, propriétaire d’un magasin d’antiquités situé dans la Citadelle même : “Les gens qui vivront dans la Citadelle devront être éduqués afin d’en prendre soin, de ne pas la détruire. Le gouvernement doit faire de cette citadelle un endroit vivant. Les gens qui y vivent doivent parler l’arabe et l’anglais car beaucoup de touristes la visitent et ils voudront poser des questions sur son histoire. »
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