mercredi, mars 05, 2008

"L'homme de 70 ans est aimé des Anges célestes".. et des sergents recruteurs


La Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg voit passer toutes sortes de cas, concernant les agissements de la Turquie envers "ses Kurdes". La plupart du temps, on ne sort pas des classiques : tortures, arrestations arbitraires, exécutions extra-judiciaires, etc. Parfois, ils doivent quand même se frotter les yeux, tant on ne sait s'il s'agit de bêtise pure ou de méchanceté. Mais je crois que le pire est toujours certain quand il s'agit d'administration, surtout militaire et surtout en Turquie : c'est probablement de la bêtise pure, non plus à front de taureau comme disait Flaubert mais à front de mammouth.

Ainsi, la Cour vient d'ordonner à la Turquie de payer en dédommagements 5000 euros à un Kurde de 71 ans qui avait été incorporé de force dans l'armée pour y faire son service militaire. Durant 4 semaines, malgré son âge et son état physique, il subit l'entraînement rude des appelés de 20 ans.

En fait, ce berger illettré n'avait jamais quitté son village et n'avait même jamais été enregistré à l'Etat-civil avant 1986. Oui, ces choses là arrivent, il suffit qu'on laisse passer quelques hivers enneigés avant de descendre en ville faire inscrire les naissances, ou que la famille meurt, ou qu'on oublie, bref, quelle qu'en soit la raison voilà un homme qui n'a eu, en tant que "citoyen turc" aucune existence légale pendant 57 ans.

Voici l'histoire de Hamdi Taştan, telle que l'expose la Cour dans son exposé des faits :

"Le requérant, Hamdi Taştan, est un ressortissant turc né en 1929 et résidant à Şanlıurfa (Turquie). Il fut inscrit sur le registre d'état civil en 1986 et y apparaît comme étant célibataire et sans enfant.

L'affaire concerne le fait qu'il ait été contraint d'effectuer son service militaire alors qu'il était âgé de 71 ans.
M. Taştan affirme avoir été berger depuis son enfance. En échange de son travail, des villageois lui fournissaient des vêtements, de la nourriture et un toit en hiver. Sa femme serait décédée lors de l’accouchement de leur fils. L'intéressé aurait alors arrêté de travailler pour s'occuper de son enfant. En conséquence, les villageois – contrariés par le fait qu’il ne travaille plus pour eux – l'auraient dénoncé comme déserteur. Il affirme, par ailleurs, être analphabète et ne parler que le kurde.

Le 15 février 2000, le requérant fut appelé sous les drapeaux et emmené par des gendarmes au bureau de recrutement militaire de Şanlıurfa. Un examen médical conclut qu'il était apte à remplir ses obligations militaires. Il fut transféré à Erzincan (Turquie), où il suivit l'instruction militaire des recrues pendant un mois. L'intéressé y fut contraint de participer à toutes les activités et tous les exercices physiques au même titre que les appelés de 20 ans. M. Taştan allègue avoir subi un traitement dégradant lors de cette formation, à l'instar de ses supérieurs hiérarchiques qui lui proposaient des cigarettes en échange d’une photo en sa compagnie, et avoir fait l’objet de diverses moqueries. Edenté, il éprouva également des difficultés pour se nourrir à la caserne, et souffrit par ailleurs de problèmes cardiaques et pulmonaires en raison de températures allant jusqu’à moins 30°C. Il allègue enfin n'avoir disposé d’aucun moyen pour communiquer avec son fils pendant toute la période où il fut maintenu sous les drapeaux.

A l'issue de l’instruction militaire, le requérant fut transféré à la 10e brigade d’infanterie à Erciş (Van), où son état de santé se dégrada. Il fut examiné par un médecin à deux reprises puis admis à l'hôpital militaire de Van, avant d'être transféré à l’hôpital militaire de Diyarbakır (Turquie).
Le 26 avril 2000, il obtint finalement un certificat d’inaptitude au service militaire, qui fit état d’une insuffisance cardiaque et de sa sénescence. Conformément à la pratique suivie dans des cas similaires, aux dires du Gouvernement turc, le dossier personnel du service militaire de l'intéressé fut détruit."

Le détail de l'arrêt de chambre peut être lu en ligne sur le site de la Cour.


Dans son Anthologie du renoncement, Abû Bakr Ahmad ibn al-Husayn al-Bayhaqî mentionne un hadith qui déclare que, passé un certain âge, l'homme voit de plus en plus ses fautes remises : "Dieu éloigne de tout homme qu'Il fait vivre dans l'Islam jusqu'à quarante ans toutes sortes d'épreuves : la folie, l'éléphantiasis et la lèpre. Quand il atteint cinquante ans, Il allège pour lui la Reddition des Comptes. Quand il parvient jusqu'à soixante ans, Dieu lui accorde le repentir en échange de ce qu'Il aime ou Le satisfait. S'il a soixante-dix ans, Dieu et les habitants du ciel l'aiment*. S'il arrive à quatre-vingts ans, Dieu accepte ses bonnes actions et passe sur ses mauvaises actions. S'il parvient à l'âge de quatre-vingt-dix ans, Dieu lui pardonne ses péchés anciens et ses péchés récents. Il est appelé "le captif de Dieu sur terre", et il devient un intercesseur auprès des membres de sa famille."

*Variante d'uthmân ibn Aftan : "L'homme de soixante-dix ans est aimé des anges célestes."

Mais apparemment, le fait d'être aimé des Anges ou des habitants célestes n'impressionne pas beaucoup la bêtise armée et casquée. La Turquie laïque et si prompte à hurler au danger islamiste pour un chiffon noué sous le menton ferait mieux de s'inspirer, parfois, de l'humanisme musulman, ou alors de mieux former ses médecins militaires.


'Stupidity, however, is not necessarily a inherent trait.'
Albert Rosenfield.

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