Les Sables de Mésopotamie


Mot de l'éditeur

«Les Sables de Mésopotamie, récit d'une enfance, est un beau récit d'une grande fraîcheur. Le ton est juste, primesautier et dans le regard que l'enfant porte sur le monde apparaît la faculté de s'étonner et un ardent désir d'y participer.
Il se trouve que l'auteur est né kurde, donc issu d'une société minoritaire et qu'il nous initie, chemin faisant, à toute une tradition, avec ses codes, ses croyances, sa réalité quotidienne et ses rapports avec les autres groupes ethniques. Il nous donne à voir, avec beaucoup de talent et dans un style plein de charme ce qu'était la société kurde de Syrie dont les frontières furent fixées par la France lorsque celle-ci, au lendemain de la Première Guerre mondiale, devint puissance mandatrice du Levant.
À mes yeux, Les Sables de Mésopotamie, qui charrie tout un univers inscrit dans des strates anciennes dans un style tout à la fois précis et poétique est une réussite littéraire. Fawaz Hussain est un écrivain français, d'origine kurde, dont la patrie s'est réfugiée dans le langage.»

Gérard Chaliand


Fawaz Hussain est notamment l'auteur du Fleuve (Méréal 1997, réédition Motifs, 2006), Chroniques boréales (L'Harmattan, 2000) et Prof dans une ZEP ordinaire (Le Serpent à Plumes, 2006).

Extrait du livre :
CHAPITRE UN

dans lequel il est question d'un enfant de trois ou quatre ans qui quitte son village natal pour s'installer chez sa grand-mère en ville et comment il va découvrir l'électricité et deux écoles qui n'enseignent pas les mêmes choses.
Dans la cour de notre maison, au village, ma mère agitait ses bras au-dessus de sa tête comme pour se protéger de coups qui me restaient invisibles. Elle poussait des hurlements de bête blessée que l'on s'apprête à achever. Puis, elle tourna le visage dans ma direction et me vit ; j'avais un bout de pain à la main, trois ou quatre ans. Lorsqu'elle fut près des deux marches du perron, l'unique endroit cimenté de la maison, elle me fit peur avec ses yeux injectés de sang. Ses cheveux lui donnaient l'air d'une folle. Elle passa le revers de sa main sur son visage et sécha ses larmes. Elle se saisit du morceau que j'avais à la main et le jeta loin : elle ne voulait plus qu'on mangeât de ce pain-là.
Puis, de sa main droite, elle me plaqua contre sa poitrine, de l'autre, elle tira ma soeur aînée et nous partîmes sans que personne essayât de nous retenir. Je quittai pour toujours les maisons en pisé agrippées au versant de la colline, la rangée des cinq mûriers en bas, les abricotiers, les grenadiers et les figuiers de notre verger et nos vignes qui grimpaient le coteau, de l'autre côté du village.
Le soleil qui n'avait rien perdu de son acuité nous lacéra la peau et nous martela le cerveau. Ma mère marchait vite, elle enjoignait ma soeur d'avancer au même pas qu'elle, ce qui n'était pas aisé pour une fillette de cinq ou six ans. Une dizaine de kilomètres nous séparaient du chef-lieu du district, le port du salut, le havre de la paix. Elle ne devait surtout pas fléchir maintenant que les dés étaient jetés. Sa résolution était prise et le temps à venir s'apprêtait à tra­vailler pour nous ! Les quelques villages traversés ressemblaient étonnamment à celui que nous venions de quitter. C'était la même coulée de maisons de terre argileuse malaxée avec de la paille hachée et du sel, les mêmes collines vestiges des temps anciens où gisaient nos morts, les mêmes chiens qui s'attaquaient à ceux qui traversaient leurs territoires. Ma mère ne craignait pas ces bêtes féroces ou elle faisait semblant. En tout cas, elle savait comment s'y prendre. Gardant son sang-froid, elle se contentait de leur crier «tude, tude». Voyant bien que nous ne paniquions pas à la vue de leurs grosses gueules de monstres enragés, les chiens remplaçaient alors les aboiements par les grognements. La queue lovée entre les pattes arrière, ils nous escortaient jusqu'à la sortie du village."

Fawaz Hussein présentera son livre le samedi 31 mars, à 16 heures, à l'Institut kurde de Paris, 106 rue Lafayette, M° Poissonnière. Entrée libre.

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