Eclats de rire
On trouve des pépites dans la littérature de voyage. Ainsi dans l'article de Jacques Soubrier, paru dans Connaissance du Monde n°3, au premier trimestre 1947, le récit d'une expédition chez les Kurdes contient des détails et des répliques tellements savoureuses qu'elles seraient dignes de figurer d'un roman "ayyâr" (les Ayyârân étant ces brigands chevaleresques et insolents, très épris des valeurs de la futuwwat, qui remuèrent beaucoup les grandes villes de Syrie, d'Iran et de Mésopotamie au Moyen-Âge).
"A Damas, une première expédition est mise sur pied. Il s'agit, avec la complicité des Kurdes exilés, de recruter une petite troupe et de franchir la frontière, le Tigre, nuitamment. Peu de temps après mon passage à Damas, au cours d'un bref séjour à la pointe orientale de la Djezireh, l'affaire était au point, et la troupe recrutée parmi les plus authentiques bandits de la région.
Armés jusqu'aux dents, nous attendions, vers minuit, le moment propice pour traverser le fleuve. Un Arménien, qui avait été pris dans le nombre, commença à ce moment à faire quelques difficultés. Visiblement, le bonhomme n'était pas sûr du tout. J'en fis part au chef de bande qui m'accompagnait :
- Aucune importance, me dit-il, donne-lui tout ce qu'il te demande, nous le tuerons en arrivant de l'autre côté...
Et, en même temps, il faisait un geste caractéristique.
Tels furent mes premiers rapports avec les bandits kurdes."
"L'hospitalité des Kurdes est une de leurs plus vieilles coutumes ; le brigandage, il est vrai, en est une autre. A la manière des héros d'Homère : "l'hôte est un présent de Zeus"; ils disent volontiers : "L'hôte est un envoyé de Dieu", mais ils semblent aussi parfois se souvenir du vieil adage nomade : "Tant que mon voisin aura quelque chose, je ne manquerai de rien !"
Et ce trait qui est typiquement une règle ayyâr :
"Au temps des Turcs, beaucoup de jeunes chefs entretenaient une troupe d'hommes de main bien armés qu'ils employaient à combattre les voisins et à détrousser les caravanes. Mais les apuvres gens étaient épargnés, et, quand la victime avait la chance de reconnaître ses agresseurs, elle alalit devant leur chef qui devait, alors, restituer le butin, ne gardant qu'une guelte raisonnable pour sa peine. Un brigandage pratiqué avec autant d'élégance était plutôt un jeu dont l'auteur et la victime devaient respecter les règles. Un voleur déloyal, un voleur qui ne se serait pas montré régulier, renié par les siens, n'aurait plus eu comme ultime ressource que de s'enrôler dans le corps des gendarmes."
Voilà, quand tu n'es pas fichu d'être un bon voleur honnête, tu te fais gendarme, tout est dit...
"C'est ainsi qu'un jour, sous la tente d'un de ces Jafs à la mine farouche, et dont je ne peux pas dire que j'ai eue à me plaindre, je dis à mon hôte :
-On assure toujours que les Kurdes sont des bandits et pourtant je me promène ici sans être inquiété, et tu me reçois comme un ami...
- Oui, oui, me répondit-il, seulement, vois-tu, à 200 mètres de ma tente, je ne pourrais garantir qu'il ne t'arrivera rien...
Un autre, devant qui je me plaignais d'une façon très détachée, du reste, de mon escorte, se pencha vers moi et me dit, très cordial :
- Si tu veux qu'on les tue ce soir, c'est facile..."
Il lui arrive ensuite bien des mésaventures avec les gendarmes, l'administration, la justice, l'Etat irakien, puisqu'un peu comme Tintin dans Le Lotus bleu il se retrouve accusé de conspiration et de tentative d'assassinat du chef d'Etat-major irakien. Décidément, les brigands kurdes sont plus sûrs à fréquenter que le monde des villes... Le voilà donc arrêté par les gendarmes et de toutes les brimades et molestations qu'il subit des pandore, il note que le pire des supplice est de les entendre chanter :
"il n'y a rien de plus terrible, en Orient, qu'un gendarme qui chante... Cela commence par le bourodnnement d'un frelon, si bien imité qu'au début, machinalement, on fait le geste de chasser l'insecte. Puis cela se poursuit par les vagissements d'un nouveau-né, pour aboutir enfin aux hurlements d'un monsieur qu'on étrangle."
En prison à Mossoul, où il est soigné d'ailleurs d'une tourista persistante par le médecin de la prison "qui aimait d'autant son métier que la prison était, disait-il, le seul endroit où il pût suivre ses malades."
Pas guéri de ses mésaventures et ayant décidément attrapé le virus redoutable de la kurdophilie (bien plus tenace que les amibes) il retourne sous la tente de Naïeff Bey puis de Mahmoud Pacha (dont il a photographié un beau portrait) où de son aveu, il a vécu "les plus belles heures peut-être de ma vie. Nous partions le matin dès l'aurore avec quelques hommes d'escorte, sur de jolies bêtes à longues crinières, sûres, ardentes, nerveuses, et nous galopions de longues heures à travers pentes et vallées, suivis par les poulains espiègles aux jambes raides. Nous suivions parfois les bords du Tigre, le long de ce sillon gigantesque où le grand fleuve nourricier, depuis des millénaires, a creusé son lit, ou bien nous visitions les campements de la tribu.
Le plus souvent, nous passions de longues après-midi à deviser dans cette atmopshère de paresse adorable et dans ce divin oubli du temps qui est le charme même de l'Orient.
Sous la tente, c'était un incessant va-et-vient de serviteurs. Comme je complimentais naïvement mon hôte, un jour, sur le nombre de ses domestiques, il me répondit avec un sourire :
- Mais, mon cher, dans ma tribu, ils sont tous mes domestiques..."
A part cela, il ne faudrait pas prendre ces chefs de tribus pour des pachas mollassons et poussifs, se prélassant sous la tente en permanence. Comme il est d'usage un chef de tribu doit faire ses preuves pour être désigné et les fistons, s'ils voulaient succéder à leurs aînés devaient le mériter :
"Il me souvient que, sous la tente d'un de ces grands chefs nomades auprès de qui j'ai vécu, son fils aîné, chaque soir, allait faire sentinelle avec les guerriers de la tribu. Son titre de bey ne le dispensait pas des longues attentes nocturnes, si fastidieuses. C'est ainsi que bien souvent, ces hommes aux moeurs primitives nous rappellent une grande leçon, à savoir que l'autorité ne se prend pas mais se mérite, et qu'avant de vouloir commander il faut savoir obéir."
L'article au complet décrit les beaux campements jafs, et cite beaucoup de chants et de poésie kurdes. Il y a surtout de belles photos de nomades. Malgré la mauvaise qualité de l'impression, il serait tentant de tout reproduire, les 20 pages de texte et les photos, mais bon, le copyright, tout ça...
Jacques Soubrier est par ailleurs l'auteur de plusieurs récits de voyage (et aussi de livres pour la jeunsse), dont Moines Et Brigands. De L'adriatique Aux Marches Iraniennes - paru en 1945.
"A Damas, une première expédition est mise sur pied. Il s'agit, avec la complicité des Kurdes exilés, de recruter une petite troupe et de franchir la frontière, le Tigre, nuitamment. Peu de temps après mon passage à Damas, au cours d'un bref séjour à la pointe orientale de la Djezireh, l'affaire était au point, et la troupe recrutée parmi les plus authentiques bandits de la région.
Armés jusqu'aux dents, nous attendions, vers minuit, le moment propice pour traverser le fleuve. Un Arménien, qui avait été pris dans le nombre, commença à ce moment à faire quelques difficultés. Visiblement, le bonhomme n'était pas sûr du tout. J'en fis part au chef de bande qui m'accompagnait :
- Aucune importance, me dit-il, donne-lui tout ce qu'il te demande, nous le tuerons en arrivant de l'autre côté...
Et, en même temps, il faisait un geste caractéristique.
Tels furent mes premiers rapports avec les bandits kurdes."
"L'hospitalité des Kurdes est une de leurs plus vieilles coutumes ; le brigandage, il est vrai, en est une autre. A la manière des héros d'Homère : "l'hôte est un présent de Zeus"; ils disent volontiers : "L'hôte est un envoyé de Dieu", mais ils semblent aussi parfois se souvenir du vieil adage nomade : "Tant que mon voisin aura quelque chose, je ne manquerai de rien !"
Et ce trait qui est typiquement une règle ayyâr :
"Au temps des Turcs, beaucoup de jeunes chefs entretenaient une troupe d'hommes de main bien armés qu'ils employaient à combattre les voisins et à détrousser les caravanes. Mais les apuvres gens étaient épargnés, et, quand la victime avait la chance de reconnaître ses agresseurs, elle alalit devant leur chef qui devait, alors, restituer le butin, ne gardant qu'une guelte raisonnable pour sa peine. Un brigandage pratiqué avec autant d'élégance était plutôt un jeu dont l'auteur et la victime devaient respecter les règles. Un voleur déloyal, un voleur qui ne se serait pas montré régulier, renié par les siens, n'aurait plus eu comme ultime ressource que de s'enrôler dans le corps des gendarmes."
Voilà, quand tu n'es pas fichu d'être un bon voleur honnête, tu te fais gendarme, tout est dit...
"C'est ainsi qu'un jour, sous la tente d'un de ces Jafs à la mine farouche, et dont je ne peux pas dire que j'ai eue à me plaindre, je dis à mon hôte :
-On assure toujours que les Kurdes sont des bandits et pourtant je me promène ici sans être inquiété, et tu me reçois comme un ami...
- Oui, oui, me répondit-il, seulement, vois-tu, à 200 mètres de ma tente, je ne pourrais garantir qu'il ne t'arrivera rien...
Un autre, devant qui je me plaignais d'une façon très détachée, du reste, de mon escorte, se pencha vers moi et me dit, très cordial :
- Si tu veux qu'on les tue ce soir, c'est facile..."
Il lui arrive ensuite bien des mésaventures avec les gendarmes, l'administration, la justice, l'Etat irakien, puisqu'un peu comme Tintin dans Le Lotus bleu il se retrouve accusé de conspiration et de tentative d'assassinat du chef d'Etat-major irakien. Décidément, les brigands kurdes sont plus sûrs à fréquenter que le monde des villes... Le voilà donc arrêté par les gendarmes et de toutes les brimades et molestations qu'il subit des pandore, il note que le pire des supplice est de les entendre chanter :
"il n'y a rien de plus terrible, en Orient, qu'un gendarme qui chante... Cela commence par le bourodnnement d'un frelon, si bien imité qu'au début, machinalement, on fait le geste de chasser l'insecte. Puis cela se poursuit par les vagissements d'un nouveau-né, pour aboutir enfin aux hurlements d'un monsieur qu'on étrangle."
En prison à Mossoul, où il est soigné d'ailleurs d'une tourista persistante par le médecin de la prison "qui aimait d'autant son métier que la prison était, disait-il, le seul endroit où il pût suivre ses malades."
Pas guéri de ses mésaventures et ayant décidément attrapé le virus redoutable de la kurdophilie (bien plus tenace que les amibes) il retourne sous la tente de Naïeff Bey puis de Mahmoud Pacha (dont il a photographié un beau portrait) où de son aveu, il a vécu "les plus belles heures peut-être de ma vie. Nous partions le matin dès l'aurore avec quelques hommes d'escorte, sur de jolies bêtes à longues crinières, sûres, ardentes, nerveuses, et nous galopions de longues heures à travers pentes et vallées, suivis par les poulains espiègles aux jambes raides. Nous suivions parfois les bords du Tigre, le long de ce sillon gigantesque où le grand fleuve nourricier, depuis des millénaires, a creusé son lit, ou bien nous visitions les campements de la tribu.
Le plus souvent, nous passions de longues après-midi à deviser dans cette atmopshère de paresse adorable et dans ce divin oubli du temps qui est le charme même de l'Orient.
Sous la tente, c'était un incessant va-et-vient de serviteurs. Comme je complimentais naïvement mon hôte, un jour, sur le nombre de ses domestiques, il me répondit avec un sourire :
- Mais, mon cher, dans ma tribu, ils sont tous mes domestiques..."
A part cela, il ne faudrait pas prendre ces chefs de tribus pour des pachas mollassons et poussifs, se prélassant sous la tente en permanence. Comme il est d'usage un chef de tribu doit faire ses preuves pour être désigné et les fistons, s'ils voulaient succéder à leurs aînés devaient le mériter :
"Il me souvient que, sous la tente d'un de ces grands chefs nomades auprès de qui j'ai vécu, son fils aîné, chaque soir, allait faire sentinelle avec les guerriers de la tribu. Son titre de bey ne le dispensait pas des longues attentes nocturnes, si fastidieuses. C'est ainsi que bien souvent, ces hommes aux moeurs primitives nous rappellent une grande leçon, à savoir que l'autorité ne se prend pas mais se mérite, et qu'avant de vouloir commander il faut savoir obéir."
L'article au complet décrit les beaux campements jafs, et cite beaucoup de chants et de poésie kurdes. Il y a surtout de belles photos de nomades. Malgré la mauvaise qualité de l'impression, il serait tentant de tout reproduire, les 20 pages de texte et les photos, mais bon, le copyright, tout ça...
Jacques Soubrier est par ailleurs l'auteur de plusieurs récits de voyage (et aussi de livres pour la jeunsse), dont Moines Et Brigands. De L'adriatique Aux Marches Iraniennes - paru en 1945.
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