lundi, septembre 11, 2006

Hewlêr J11-J12 : Nouvelles Frontières, music hall, Big Bang kurde

Avec le staff de la conférence, on a fait le point sur tout ce qu'on nous avait demandé. Une liste à la Prévert... Incroyable comme les gens quand ils voyagent en groupe peuvent être profondément neuneus... Attention, je parle de kurdologues qui sont censés avoir voyagé sur le terrain, tout seul, et pas toujours de façon très légale... Ben après deux jours je ne voulais plus me dire kurdologue. Je me cherche un autre nom... Déjà il paraît que toute la ville de Hewlêr est foudroyé par une épidémie de gastro, alors imaginez les étrangers, qui déjà en temps normal... Eh ben c'est hallucinant le nombre de médocs de bases (Immodi, doliprane qu'on a dû fournir, pompé sur nos propres réserves, bien sûr). Partir au Moyen-Orient en été sans pharmacie ça doit être ça l'aventure. Quand même entendu la réflexion : "Quand même, ils auraient pu prévoir une valise de médicaments pour tout le monde !" J'aurai halluciné, si on avait pas dû aussi fournir deux personnes différentes en serviettes hygiénique. Car c'est évidemment le genre de choses qui arrivent aux femmes de façon totalement imprévisible, hein... Pour finir on arrivait à se dépouiller de tout, comme Sidharta sous son arbre. J'ai même dû prêter mes écouteurs d'i-pod une matinée, sachant que ma source principale de recharge d'ondes positives réside dans mes mp3 de musique soufie et d'Arvo Pärt...

Bref à la fin de la journée on était ravi de souffler entre gens potables. Donc on s'échappe au parc derrière le monument des martyrs, là où il y a un cinéma et un resto en plein air. Mis à part les inévitables brochettes et meze, ils servent des pizzas qui, contrairement à celles, délicieuses, des chrétiens de Ankawa, sont tout à fait identiques aux pizzas Lidl, de celles qu'on n'avale que lorsqu'on n'a vraiment pas le choix au fin fond du congélateur de l'Arabe d'à côté. Par contre le pain-galette (nan) est délicieux, servi tout chaud et croustillant, et finalement j'ai à peine touché à ma pizza pour m'empiffrer de ce pain, avalé nature comme ça.
Soirée musical et polyglotte : face à trois serveurs arabes (pas fufutes mais ça a l'air d'être une caractéristique du coin), deux Kurdes qui parlent turc, un Français qui parle arabe, une Française qui parle kurmandji, et deux Kurdes d'Iran qui totalisent à eux deux le persan, l'arabe l'italien, l'anglais, le suédois... Barzoo a imité à peu près tous les intervenants de la conférence, de l'italienne qui parle anglais avec un accent de Milan terribile, du Français qui parle soranî avec un accent franchouille du tonnerre, des anglophones avec le plus bel accent du Middle-East, puis une imitation de Saddam, d'un général français de la Première Guerre du Golfe, le tout avec des blagues du "menteur professionnel" de Silêmanî, impossibles à rendre en français. Pour vous représenter Barzoo : allure disco body buildée, jean et T shirt échancré sur un pendentif égypto-pharaonique, sociologue et polyglotte virtuose, avec un don indéniable pour le music hall et la faculté d'imiter à peu près n'importe qui en n'importe quelle langue.
En repartant, petite halte au monument des martyrs, pas ceux de l'Anfal comme j'ai dû le dire antérieurement, mais les victimes de l'attentat de Hewlêr en février 2004, un monument sobre, avec les noms illuminés. Depuis ils ont compris la leçon, et les ouvertures de sacs et les fouilles sont la règle dans presque tout les lieux à risque : les hôtels, les parcs publiques, etc.
En gros, ici on apprend à vivre comme en Israël mais comme les Kurdes ont réussi à isoler leur pays par une frontière non officielle mais réelle (un visa est requis même pour les Irakiens), on se sent très en sûreté ici. D'ailleurs vu le nombre d'Arabes, notamment de Mossoul ou de Baghdad qui viennent au Kurdistan, plous les Chrétiens qui fuient le centre et le sud de l'Irak par peur des excités sunnis ou chiites, il y a une crise du logement terrible ici. Pourtant la ville est couverte de chantiers, et même aux alentours on construit tout et partout. Le quartier le plus côté, le plus neuf et le plus cher est le quartier chrétien de Ankawa. Sinon Hewlêr c'est un peu l'anarchie du Far West : très grosses fortunes (souvent des anciens vendeurs d'armes qui ont su à temps prendre leur distance avec le régime), quartiers assez pauvres et souffrant de coupures d'électricité ainsi que de pénurie de carburant, et aussi une bourgeoisie aisée et snob, très conformiste et consumériste. Silêmanî est parait-il beaucoup plus moderne et dès qu'on monte dans le Bahdinan, comme on verra plus loin c'est totalement différent.
Et puis le lendemain samedi 9 c'était le tour des intervenants kurdes locaux. Là on a eu le droit à une belle brochettes de théoriciens du Big Bang kurde comme on intitule le courant de pensée : en gros, les Kurdes sont à l'origine de TOUT. Ils étaient là depuis la Nuit des temps, parce qu'un des intervenants sait qu'il y a une grotte où il y a un corps du paléolithique et à côté de lui un cailloux où il y a une encoche qui faisait un K comme Kurde, et ensuite Tell Ubayd a appris l'écriture à Sumer et non l'inverse, et les Sassanides étaient des Kurdes parce que Ardashir V dans une lettre à son frère aîné, à la ligne 7, a mentionné un mot qui ressemble à la façon dont on dit bonjour dans le village de son beau-frère...
Ah et aussi Amadiya : la citerne d'Amadiya n'est pas une citerne comme ce sale collaboratonniste menteur de Sheref Khan Bitlisî le prétend, c'est un élément du culte zoroastrien, sachant que le yézidisme est la plus vieille religion du monde comme chacun sait.
Bon cela dit, j'ai entendu d'Européens certaines théories tirées par les cheveux sur le yézidisme, en allant chercher du côté de Babylone des motifs de Lalesh qu'on trouve sur toutes les mosquées et monastères de la région du 12-13° siècle... Le pire c'est que ce paquet de conneries nationalistes, complètement décalquées sur les fantaisies nationalistes turques de la langue-soleil sont enseignées aux étudiants. ça promet pour les générations futures...
De toutes façon comme dit Khalil, l'argument majeur dans les débats contradictoires est : "Tout ce que tu dis est faux et ta soeur trompe son mari." Voilà. Dans ta face.

Pour souffler, en sortant de la salle, parlé un peu avec les deux femmes de ménages, deux vieilles femmes en tenue kurde, shalwar et coiffe, avec un enfant, le petit-fils de l'une d'elle. Comme la plupart des vieux, elles parlent un kurde très pur, ce qui fait que même étant hewlêrî, elles comprenaient mon bahdinanî aussi bien que je comprenais leur soranî. Il n'y a qu'avec ceux de Silêmanî que ça coince vraiment. Du coup à la pause, on leur a amené le thé et les petits gâteaux et on a pique niqué assis en rond dans la salle. Les vieilles n'arrêtaient pas de me complimenter sur mes bonnes manières de kurde, que j'avais été bien éduquées, (elles ont même dit "danishmend" ce qui est un vieux mot iranien, équivalent du 'arif au Moyen-Âge qui me ravit dans leur bouche). En tout cas ça me fait rire que malgré mon jean poussiéreux, mes reebock et ma façon de me vautrer sur tous les fauteuils des bureaux où j'atterris, je passe pour avoir des manières de filles de cheikhs auprès des gundî kurdes.

PHOTOS SANDRINE ALEXIE NON LIBRES DE DROIT

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