Le criquet de fer : La violence ordinaire
"Tel fut le début. Et cela se resserra ainsi que l'enfance. Je commençai à prendre conscience de quelque chose de nouveau et d'imprévu, quelque chose de violent et d'évident : tu es kurde ; les Kurdes sont dangereux ; il est interdit de parler kurde à l'école. Voilà qui est nouveau parce que tu sais que les trois quarts des habitants de cette ville proche des monts Taurus sont kurdes. Tu prends alors conscience d'un fait : c'est à qui des instituteurs humiliera les élèves et les frappera. Et les Bédouins qui acclament chaque changement de régime envahissent la ville et scrutent les visages. Tu es un enfant mais tu as des yeux pour voir. Ils te détestent d'avance et tu ne sais pas pourquoi. Le maître te déteste, le fonctionnaire du gouvernement et le policier te détestent. "Voilà qui change les choses. Je serai donc violent, plus violent que nécessaire contre cette intrusion démoniaque."
A ton tour, tu regardes de travers les enfants des Bédouins à l'école. Tu railles leur coupe de cheveux étrange, le tatouage bleu qui leur couvre le nez, les joues et les mains, et leurs manières primitives. Mais tu ne comprends pas pourquoi on les préfère à toi. Aussi les attends-tu à la sortie de l'école, et inventes-tu n'importe quel prétexte pour te quereller. Le surveillant te punit le lendemain mais tu continues de te quereller jour après jour. Le surveillant demande que tu fasses venir ton père et il se rend à l'école. Le surveillant le méprise à cause de son accent mais ton père est violent et fier. Il réplique au surveillant : "Qui es-tu pour me parler ainsi !" Et l'autre l'abreuve d'injures.
Mon père repart furieux. Le jour même deux portefaix se postent dans la rue où habite le surveillant et ils le jettent à terre. Le surveillant porte plainte. Les policiers se présentent chez nous et mon père refuse de les suivre. Furieux, les gros bras du quartier et les proches se rassemblent. L'affaire remonte au gouverneur de la région, un colonel. Il se présente dans une voiture luxueuse. Hussein agha se précipite sur lui : "Je piétinerai ta casquette si tu prends cet homme." Le colonel règle le différend dans le calme, le surveillant réfrène son inimitié. Mais l'affaire ne se termine pas là et l'enfance devient un enfer, à l'image de ce qui commença lorsque tes petites mains saluèrent le président."
Le Criquet de fer, Salim Barakat, trad. François Zabbal, Actes Sud.
A ton tour, tu regardes de travers les enfants des Bédouins à l'école. Tu railles leur coupe de cheveux étrange, le tatouage bleu qui leur couvre le nez, les joues et les mains, et leurs manières primitives. Mais tu ne comprends pas pourquoi on les préfère à toi. Aussi les attends-tu à la sortie de l'école, et inventes-tu n'importe quel prétexte pour te quereller. Le surveillant te punit le lendemain mais tu continues de te quereller jour après jour. Le surveillant demande que tu fasses venir ton père et il se rend à l'école. Le surveillant le méprise à cause de son accent mais ton père est violent et fier. Il réplique au surveillant : "Qui es-tu pour me parler ainsi !" Et l'autre l'abreuve d'injures.
Mon père repart furieux. Le jour même deux portefaix se postent dans la rue où habite le surveillant et ils le jettent à terre. Le surveillant porte plainte. Les policiers se présentent chez nous et mon père refuse de les suivre. Furieux, les gros bras du quartier et les proches se rassemblent. L'affaire remonte au gouverneur de la région, un colonel. Il se présente dans une voiture luxueuse. Hussein agha se précipite sur lui : "Je piétinerai ta casquette si tu prends cet homme." Le colonel règle le différend dans le calme, le surveillant réfrène son inimitié. Mais l'affaire ne se termine pas là et l'enfance devient un enfer, à l'image de ce qui commença lorsque tes petites mains saluèrent le président."
Le Criquet de fer, Salim Barakat, trad. François Zabbal, Actes Sud.
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