Le criquet de fer : prologue

"Tu es un enfant ! Voilà que tu recueilles dans tes poches les fèves sauvages et les fleurs sucrées du chèvrefeuille. Voilà que tu t'arranges pour te faire apercevoir par les gardiens de la récolte pour mieux les tromper. Tel est ton passe-temps, celui d'un âge ivre comme ton sang. Tel est le passe-temps que tu as glissé dans tes pièges pour y capturer tous les champs. Et tu as ri quand ils se sont fait prendre, entraînant dans ton rire le vent qui siffle autour de toi. Le vent et toi avez joint vos efforts et soufflé dans un même cor pour attirer l'attention des vivants étourdis. Après un long périple, nous avons su, de toute certitude, que c'est toi qui a creusé un trou pour que les pattes du mulet de Semaan, tirant la charrette de paille, s'y brisent. Toi qui a tendu un câble électrique devant la boulangerie de Mradou pour que celui qui ouvre la porte prenne une décharge. Toi qui a roulé la meule de pierre sur la terrasse et l'as fait tomber sur le chien de Filmiz qui en est resté à moitié paralysé. Toi qui as tué le coq de Hilane, petit coq au cou dénudé et à la crête coupée par une pierre. Toi qui as saupoudré de poivre le bassin pour affoler les oies de Sakmour. Toi qui as volé la canne de Kitam l'aveugle. Toi qui as cassé une corne du bélier de Mir. Toi qui t'es endormi d'un sommeil peuplé de rêves où tu ouvrais, l'une après l'autre, les tombes du cimetière Hilaliya pour voir comment les morts conversaient dans leurs étroites cachettes.

Mais tu es un enfant. Qui gronderait un enfant que les foudres de chrysanthèmes ont frappé et qui s'est éparpillé en bourgeons au milieu des plantes et d'un nuage d'acier ?"

Le Criquet de fer, Salim Barakat, trad. François Zabbal, Actes Sud.

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