Le criquet de fer : La neige et les ruines
"La neige tombe. Six jours durant, la neige tombe des hauteurs et de nos tréfonds. Le blanc nous déroute au point que la neige nous paraît une semence que les semoirs happent et répandent sur les choses. La neige nous déroute et nous apercevons des champs blancs, des animaux blancs qui tournent sur l'aire de battage, piétinent le blé avec leurs sabots et que conduisent des muletiers de neige.
Il y a de la neige dans les poêles, un feu de neige dans les poêles, six jours durant. Et pendant six jours vibrent autour de nous des guêpes de neige, des libellules de neige, des oiseaux de neige, des maisons de neige, des villages de neige, des plantes de neige qui grimpent le long des murs jusqu'à dépasser les terrasses et s'élever haut dans le vide en portant des brassées de fleurs de neige en hommage à cette folie blanche.
Nous savions nous prémunir contre les guêpes de l'été quand le midi brûlait et qu'elles étaient ivres de colère. Mais que faire avec les guêpes de neige et leur aiguille invisible qui transperce les couvertures jusqu'aux os ?
Nous, les enfants, provoquions les guêpes de l'été. Nous placions un bâton dans l'ouverture du nid et elles en jaillissaient furieuses ; nous les frappions avec les tue-mouches. Mais les guêpes de l'hiver sont de fer. Comment la chair agirait-elle sur le fer ? O le vide de l'espace ouvert, ô le royaume de ses guêpes et de ses ouvrières, ô les ailes des neiges : six jours durant et tout se figea dans un habit blanc ! Après quoi les maisons respirèrent petit à petit et les terrasses se parèrent de frises noires d'étourneaux telles des lignes d'écriture. Au sein de cette encre blanche divine, notre enfance se mélangeait à celle des grands. Les grands évoquaient leur enfance et nous les enfants écoutions. (Que de tendresse s'épanouit dans la neige !)
Les grands furent un jour petits comme nous. Ils l'affirmaient et nous ne les croyions pas. Mais nous écoutions comme pour entendre jusqu'au bout cette énormité savoureuse. Etait-il vrai que les grands avaient eu un jour une enfance ? Etait-il vrai que ceux-là aussi avaient été enfants, ceux-là qui naquirent pour nous surveiller, qui naquirent, adultes, pour nous et surent y parvenir ? Et voilà que nous restions médusés devant leurs récits mensongers d'une enfance qui ne fut jamais. Ils prétendaient nous faire plaisir en la racontant, mais plus sûrement ils voulaient se convaincre qu'ils avaient été des êtres aimables à une certaine époque."
Il y a de la neige dans les poêles, un feu de neige dans les poêles, six jours durant. Et pendant six jours vibrent autour de nous des guêpes de neige, des libellules de neige, des oiseaux de neige, des maisons de neige, des villages de neige, des plantes de neige qui grimpent le long des murs jusqu'à dépasser les terrasses et s'élever haut dans le vide en portant des brassées de fleurs de neige en hommage à cette folie blanche.
Nous savions nous prémunir contre les guêpes de l'été quand le midi brûlait et qu'elles étaient ivres de colère. Mais que faire avec les guêpes de neige et leur aiguille invisible qui transperce les couvertures jusqu'aux os ?
Nous, les enfants, provoquions les guêpes de l'été. Nous placions un bâton dans l'ouverture du nid et elles en jaillissaient furieuses ; nous les frappions avec les tue-mouches. Mais les guêpes de l'hiver sont de fer. Comment la chair agirait-elle sur le fer ? O le vide de l'espace ouvert, ô le royaume de ses guêpes et de ses ouvrières, ô les ailes des neiges : six jours durant et tout se figea dans un habit blanc ! Après quoi les maisons respirèrent petit à petit et les terrasses se parèrent de frises noires d'étourneaux telles des lignes d'écriture. Au sein de cette encre blanche divine, notre enfance se mélangeait à celle des grands. Les grands évoquaient leur enfance et nous les enfants écoutions. (Que de tendresse s'épanouit dans la neige !)
Les grands furent un jour petits comme nous. Ils l'affirmaient et nous ne les croyions pas. Mais nous écoutions comme pour entendre jusqu'au bout cette énormité savoureuse. Etait-il vrai que les grands avaient eu un jour une enfance ? Etait-il vrai que ceux-là aussi avaient été enfants, ceux-là qui naquirent pour nous surveiller, qui naquirent, adultes, pour nous et surent y parvenir ? Et voilà que nous restions médusés devant leurs récits mensongers d'une enfance qui ne fut jamais. Ils prétendaient nous faire plaisir en la racontant, mais plus sûrement ils voulaient se convaincre qu'ils avaient été des êtres aimables à une certaine époque."
Le Criquet de fer, Salim Barakat, trad. François Zabbal, Actes Sud.
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