jeudi, mai 10, 2007

Hewler 3

Hier matin, donc, comme Roxane l’a raconté, elle envoie un SMS à Khasro et s’entend intimer l’ordre de bien noter le numéro de téléphone avec lequel elle venait de le contacter. Non mais de bien le noter surtout. Leur logique m’éclatera toujours… Dans la série « passons pour des branques à cause d’eux », il nous demande de le rejoindre au Diwan du Président, en face du Parlement (vachement difficile à trouver) et dans la crainte qu’on ne sache y aller seules, nous demande de prendre un taxi « mais kurde, hein le taxi, surtout prends un kurde. Ou demande à la réception un taxi kurde".

Ben voyons. Je nous vois très bien arrêter les taxis les uns après les autres, en leur demandant « Tu es Kurde toi ? Non ? Ben dégage alors. » Ou bien de demander à la réception de l’hôtel, dont certains sont peut-être Turkmènes d’exiger qu’il nous trouve un taxi "mais 100 % kurde, hein, parce qu’on ne veut pas d’un qui pue ta race. " Bon d’accord, c’était peut-être par sécurité (l’attentat venait juste d’avoir lieu) ou pour qu’il s’esxplique mieux avec les peshmergas, ou avec lui-même par téléphone pour expliquer le chemin, (parce que bien sur si on dit à un taxi hewlêri qu’on va au Diwan du Président en face du Parlement il ne voit vraiment pas de quoi on parle)….par moment quand même, si on les écoutait, on passerait pour allumées.




Du coup, ne voulant pas prendre la responsabilité du tri ethnique, on descend à la réception on rappelle Khasro et on le passe à un des hommes de la réception. Au fur et à mesure que l’autre recevait les consignes « diwanê serokê, li hemberê Parlamanê » les regards se faisaient incrédules puis épatés puis « mais qu’est-ce que c’est qui est descendu incognito chez nous ? » Avant de partir, l’un d’eux tient à assurer que Khasro est son « frère » geste kurde de serrer et frotter les deux index, au cas où on irait se plaindre à lui de la qualité du service sans doute. D’ailleurs, il n’avait pas tout à fait tort de craindre, car ensuite Khasro nous a dit qu’il avait expliqué (gracieusement ?) que si on avait le moindre problème ou le moindre motif de plainte on s’adressait lui. Sachant à quel point ils peuvent être affables sous leurs manières angéliques, je me demande à quoi ressemblaient les recommandations…


Visite au Diwan, avec des contrôles plus sévères que chez Mohammed Ihsan, mais c’est quand même le Président et en plus on est à trois heures de l’attentat. En fait ce sont les mêmes contrôles qu’au Sheraton, avec fouille des sacs, sauf qu’on laisse tous les appareils photo, portables, et clopes (ce qui fait râler Roxane qui demande si on est déjà en dictature). Bon on bavarde, mais pas trop longtemps parce que monsieur avait une réunion. Typique kurde ça aussi faut qu’on se voit TOUT DE SUITE même si ce n’est que pour dix minutes. Cela dit, avec leur capacité à nous perdre de vue parce qu’on trace beaucoup au Kurdistan et que pas mal d’entre eux n’osent JAMAIS téléphoner préférant attendre 25 ans devant le même téléphone portable au cas où par hasard ça nous traverserait l’esprit de les contacter même un quart de siècle plus tard.




On va ensuite déjeuner au resto indien du Sheraton, vraiment très bon. Faut dire que le chef a l’air authentique, comme un des serveurs, l’autre étant philippin et le chef de rang chrétien kurdistanî. Séance très longue de blog dans la salle Internet, la connexion est longue quand même, et ça rame terriblement parfois, surtout en chargeant les photos. Quand on a enfin terminé, on file au Parc du Minaret voir ce qui reste de la mosquée de Gökburî. Pas grand chose disons, enfin surtout le minaret éponyme du parc et autour un restant de mur d’enceinte, à arcades et une entrée. Le minaret est très XII° djézireen, il fait penser à Siirt, et a le même décor de briques et glaçure. Par contre le panneau dit que l’entrée d’accès au minaret était à l’est, alors là je suis sceptique. Me semble plutôt que c’est l’inverse, porte à l’ouest, la mosquée devant s’étendre au sud.






Gökburî était Turkmène et c’est un des plus grands princes d’Erbil-Hewlêr. C’est même lui qui a fondé cette ville d’une certaine façon, en faisant de cette bourgade une capitale qui allait bien au-delà de la Citadelle à partir de 1200… Il faut dire qu’il a mis une certaine obstination à s’imposer entre les Zenguides et les Ayyoubides, mais il a fini en souverain assez indépendant, avec une principauté qui englobait Sindjar, Cizîr et une partie du nord de la Syrie à l’est de l’Euphrate. Ses débuts ne furent pourtant pas si aisés, il avait succédé à son père comme gouverneur d’Erbil mais pas vraiment prince et en plus il avait aussi un frère, qui finit par mourir, et que de méchantes langues ont dit avoir été assassiné. Finissant tout de même par être reconnu (ou accepté) comme souverain d’Erbil par le Zenguide de Mossoul, il lui fallut ensuite composer avec la puissance ayyoubide. Saladin avait en effet l’intention de mater aussi les princes de l’Irak adjam et de Djezireh. Il assiégea même Mossoul en 1185 sans pouvoir la prendre. Gökburî, politique, reconnut la suzeraineté ayyoubide et épousa la sœur du général syrien (petit aparté de son vivant Saladin ne prit jamais au contraire de ses successeurs le titre de sultan, même si des chroniqueurs comme Ibn Shaddad l’appellent ainsi). Bref devenu le beau-frère de Saladin, il n’avait plus qu’à attendre tranquillement que le grand ayyoubide meurt, ses successeurs étant trop occupés à se disputer la Syrie et l’Egypte pour contester le pouvoir du prince turc de l’autre côté du Tigre. Ayant les mains libres, Gökburî se consacra à sa capitale, qu’il couvrit, comme tout prince qui se respecte de mosquées, de bains, d’hôpital, d’hôtelleries, etc. Il paraît qu’il institua même une sorte de revenu minimum pour les indigents (le RMI quoi). Ce fut lui aussi qui lança la mode du mawlid à Erbil, soit la célébration de l’anniversaire de naissance du prophète, et cette fête finit par se répandre dans tout le machrek et est maintenant une institution… Comme les chrétiens étaient très nombreux à Erbil (peut-être la moitié) et qu’à l’époque les musulmans et les chrétiens assistaient volontiers aux fêtes des uns et des autres, c’est peut-être des fêtes de la Nativité que lui est venue l’idée.

Le soir on rejoint Ahmet Zeki à son bureau. Encore un grand moment de logique kurde ! En général, quand on explique à quelqu’un un itinéraire, ça se résume à lui expliquer la position géogrpahique de l’endroit où il faut se rendre. Hé ben non, pas ici. On a droit à une longue explication embrouillée (très) de tous les endroits où il ne faut PAS aller, avant qu’avoir, avec de la chance, une vague indication sur le lieu où l’on voudrait se rendre. Donc là, Ahmet me demande si je connais le restaurant Pushî (une lokanta tenue par des Kurdes de Diyarbakir). Oui, je vois bien quel restaurant c’est mais je ne me souviens plus du tout de la rue et du chemin. Donc je demande l’adresse. Mais de cette façon là ça serait trop simple aussi. Non, il faut prendre un taxi (cette fois-ci on nous a épargné le « mais prenez un Kurde, hein) et de là rappeler Ahmet qui va parler au taxi et lui expliquer. Ben déjà d’avance je plains le taxi si c’est un soran de capter le kurde d’Ahmet. En plus dans le taxi, (conduit par un jeune et gentil Kurde) la carte SIM KOREK refuse d’appeler. Oui, on a des problèmes avec ce tel, on peut recevoir des appels, envoyer des SMS mais pas appeler. Doit y avoir un truc qu’on a pas débugué. Du coup ça roule et le chauffeur, qui se marre, attend mes indications. Je crois me souvenir que Pushî était entre shesti meter et shoresh, avant le pont. Mais bon, pour trouver. Enfin Ahmet qui avait appelé toutes les trois secondes à l’hôtel pour savoir ce qu’on foutait et quand on arrivait, et puis ensuite s’était tu une fois qu’on était dans le taxi alors qu’on aurait eu besoin de lui, Ahmet donc se décide enfin à rappeler. Là on lui passe le chauffeur toujours hilare, qui repart dans une toute autre direction et finit par s’arrêter devant un magasin de rideaux en nous disant que d’après les indications données c’est là. Bon, on descend, on voit pas de restaurant. On attend tranquille devant le ministère de la Justice que le brillant guide se décide à rappeler. Le temps qu’il sorte de son bubreau et nous cherche à côté du ministère alors que j’avais dit li HEMBERÊ « en face » (parce que c’était quand même pas le jour à poireauter le soir devant un ministère avec un méga sac photo qui peut contenir trois bombes) le temps qu’on se rappelle et se trouve, on a désespéré au moins trois taxis qui ne comprenaient PAS ce que deux Françaises pouvaient attendre, plantées sur un trottoir de grand boulevard, sac au pied, sinon un moyen de transport.

Finalement l’explication était que 1/ le restaurant pushi n’était pas le lieu de rendez-vous mais son bureau, mais le restaurant était pas loin à l’angle du carrefour d’à côté et ça lui a semblé une indication commode (s’il le dit).


2/ finalement au taxi il a dû changer d’avis car il ne lui a pas dit de nous déposer à Pushi mais à l’angle d’une rue nommé shesti wezrat ankawa. Mais sans nous dire à NOUS qu’il avait changé d’avis, et qu’en plus il ne serait pas au lieu où le taxinous déposerait.
3/ Pourquoi n’a-t-il pas donné l’adresse de son bureau au chauffeur ou bien simplement de nous déposer devant le ministère de la Justice en précisant qu’il viendrait nous chercher ? Si des experts en logique kurde ont la réponse, qu’ils se fassent connaître…

Mais bon on s’est vengé en repartant de chez lui après un repas bien arrosé, à 2 heures du mat’, parce qu’on a décliné l’incitation (ordre-supplique-bougonnerie fâchée) de rester dormir dans cette baraque immense, tout ça parce qu’on n’avait pas nos affaires avec nous (toilette, crème, fringues enfin tout un tas d’impératifs que les mecs peuvent pas comprendre), parce qu’il fakllait charger et préparer le matériel photo (un truc que les novices en photographie ne peuvent pas comprendre en tout cas lui avec son mini sony avec lequel il voulait nous mitrailler ne comprenait pas) et enfin parce que se lever tard, prendre le petit dej, revenir à l’hôtel vers midi une heure sans avoir préparer les apapreils ni écrit ça fait perdre une journée (une notion de perte que les Kurdes ne peuvent pas comprendre). Bref on part à deux heures du mat’ alors qu’Ahmet nous prédit, vengeur, qu’on ne trouvera pas de taxi.En fait dans un premier temps on se préoccupera de trouver le bon chemin. Disons que c’était presque ça mais pris dans le mauvais sens. O marchait donc allégrement dans un boulevard désert vers Mossoul et Duhok, quand un taxi qui roulait sur l’autre voie, nous apercevant avant qu’on ait eu le temps de faire signe, tourne, change de voie, et ient vers nous qui agitions les bras comme des sémaphores. Ils sont top les taxis à Hewlêr, on dirait les sauveteurs du SAMU qui tournent dans les rues en quête de SDF à ramasser. Bon il nous embarque, sans même poser de questions (quand les choses sont trop surprenantes les points d’interrogations s’envolent), demande à un chek point de peshmergas où est l’hôtel, nous dépose, et voilà.

PHOTOS SANDRINE ALEXIE NON LIBRES DE DROIT

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